On la voit parfois portée par des employés de supermarché, des éducatrices de garderie ou des serveurs de restaurant. Mais la visière seule, sans masque, n’est pas efficace pour freiner la propagation de la COVID-19, montre une nouvelle étude.

« Nous voyons de plus en plus de visières parmi le grand public, et il y a même des experts médicaux qui ont recommandé le port de la visière plutôt que celui du masque.

« Notre motivation était que les gens puissent voir par eux-mêmes le trajet des gouttelettes avec ce type de protection », explique Siddhartha Verma, professeur adjoint au département de génie mécanique et océanique à la Florida Atlantic University et l’un des auteurs de l’étude publiée dans la revue Physics of Fluids.

Ce n’est pas la première fois que l’inefficacité de la visière pour freiner la propagation de la COVID-19 est relevée. Dans un document produit en mai dernier, l’Institut national de santé publique du Québec recommande le port de la visière seule comme « solution de tout dernier recours », soit seulement dans les cas où des problèmes de buée causés par un masque nuiraient à la sécurité d’un travailleur et qu’aucune autre solution n’aurait pu être trouvée.

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) la qualifie aussi de « solution exceptionnelle à appliquer en dernier recours », précisant clairement que « la visière seule n’apporte pas une protection suffisante ». Rappelons que la visière n’a jamais été conçue pour empêcher la propagation d’une maladie contagieuse, mais pour protéger les yeux de celui qui la porte.

Malgré cela, la visière continue d’être portée par plusieurs travailleurs et citoyens contre la COVID-19. Les auteurs de la nouvelle étude estiment que sa popularité s’explique par le fait qu’elle est considérée comme plus confortable qu’un couvre-visage, qu’elle est réutilisable et facile à nettoyer et qu’elle ne cache pas les expressions du visage.

Faire tousser des mannequins

Pour mesurer l’efficacité de la visière à freiner la propagation de la COVID-19, les chercheurs ont conçu un montage expérimental qui simule une personne qui tousse. Pour ça, ils ont utilisé un mannequin qui expulse 500 millilitres d’air, la limite inférieure du volume projeté par une vraie personne. Pour reproduire les gouttelettes potentiellement infectieuses projetées pendant cette toux, ils ont dispersé des gouttelettes faites d’eau et de glycérine dans l’air, puis ont suivi leur déplacement avec des lasers.

L’expérience montre que le jet d’air frappe d’abord la visière, où les plus grosses gouttelettes sont arrêtées. Le hic est que le nuage des plus petites gouttelettes se propage ensuite rapidement sous la visière, puis sur les côtés et même sur le dessus, se diffusant rapidement autour de la personne. Quant au couvre-visage, les chercheurs ont montré que son efficacité dépend beaucoup du modèle choisi, mais qu’elle est largement supérieure à celle de la visière.

Les gouttelettes utilisées pendant l’expérience vont de 0,3 micron à 10 microns, soit les plus petites gouttelettes émises par une véritable personne qui tousse.

C’est un modèle simplifié qui a ses limites, mais nous croyons qu’il représente bien la situation réelle de quelqu’un qui tousse.

Manhar Dhanak, professeur titulaire à la Florida Atlantic University

Selon lui, les conclusions générales s’appliquent aussi au fait de parler, chanter et rire, même si la vitesse d’expulsion des gouttelettes est alors moindre.

« Cette étude est bien faite », juge Geneviève Marchand, microbiologiste, biochimiste et chercheuse en prévention de risques chimiques, biologiques, mécaniques et physiques à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).

« Dans l’expérience, le mannequin est statique, rappelle Mme Marchand. Imaginez maintenant que le mannequin est une véritable personne qui fait ses commissions. Ce qui va être émis dans l’environnement risque de s’étendre encore plus. »

Attention aux masques munis de valves

En plus de la visière, les chercheurs de l’étude publiée dans Physics of Fluids mettent les citoyens en garde contre les masques munis de valves d’expiration. On trouve par exemple des masques N95 munis d’une valve en leur centre. D’autres modèles sont dotés de deux valves de chaque côté. Ces masques, conçus pour faciliter l’expiration de ceux qui les portent, filtrent l’air inspiré, mais pas l’air expiré. Il s’agit donc d’un très mauvais choix à porter en public, car ils mettent les autres en danger si vous êtes infecté. Les simulations des chercheurs montrent que ces masques diffusent des gouttelettes de façon très importante. « Je pense que plusieurs personnes ne savent pas que la valve laisse passer toutes les gouttelettes. Encore une fois, c’était la motivation de notre étude : leur montrer ce qui se passe », dit Siddhartha Verma.