La suspension des activités judiciaires régulières au Québec va provoquer des « engorgements » dans le système de justice, prévient un juge de la Cour supérieure. Néanmoins, il est impératif d’appliquer ces mesures « très importantes » pour diminuer la propagation de la COVID-19, a-t-il martelé. Des mesures toutefois appliquées de façon très variable au palais de justice de Montréal, a observé La Presse.

« On est une goutte dans toute la population. Mais on doit faire le maximum pour vraiment limiter les possibilités de propagation du virus », a déclaré le juge Boucher, alors qu’il annonçait aux jurés la suspension pour deux semaines de leur procès au palais de justice de Montréal. Une décision saluée par les parties.

La « crise de la COVID-19 » au Québec et dans le monde exige de « tout faire » pour « éviter la catastrophe » en matière de santé publique, même si la suspension de toutes les causes criminelles va provoquer un inévitable « effet domino », a souligné le juge.

Le magistrat a été persuadé de reporter le procès à la suite de la recommandation des autorités publiques de garder une distance d’au moins un mètre entre les personnes. « Vous êtes assis côte à côte dans la boîte du jury. Je sais que votre salle de délibérations est exiguë. C’est une situation qui n’est pas raisonnable dans les circonstances », conclut-il.

Pourtant, lundi au palais de justice de Montréal, c’était « business as usual », selon la criminaliste MAudrey Amzallag. « Je n’ai pas vu de changements. Je n’en ai pas vu », déplore-t-elle. En effet, le palais de justice fourmillait comme un jour normal d’été lundi, malgré la décision du ministère de la Justice de suspendre toutes les activités judiciaires régulières et d’imposer le quasi-huis clos. Seules les audiences urgentes comme les comparutions et les enquêtes sur remise en liberté peuvent avoir lieu.

Dans les salles « à volume » du palais de justice, une dizaine, voire une quinzaine d’avocats patientaient en salle d’audience debout ou assis épaule à épaule, en attendant leur tour pour reporter une cause devant un juge. Sans compter les accusés en liberté et le personnel de la cour. Dans les six salles d’audience visitées par La Presse, aucun juge n’a pressé les avocats ou le public à respecter la règle de base d’un mètre.

« C’est stressant. Tout le monde veut garder une distance, mais malheureusement, ce n’est pas possible dans les salles de cour », a déploré la criminaliste MAudrey Amzallag.

De nombreux avocats montrent du doigt les directives du ministère de la Justice. « On est complètement désorganisé ! », s’exclame MElfriede Duclervil. La criminaliste n’en revient pas à quel point l’information transmise par le ministère de la Justice n’est pas claire. « Le justiciable ne sait pas s’il doit venir au palais ou pas ! Il a peur d’avoir un mandat d’arrêt », déplore-t-elle.

« Nous n’avons pas eu de directives assez claires. Aujourd’hui, on était tous dubitatifs. Est-ce qu’on devait venir ? Est-ce que les dossiers allaient être reportés automatiquement ?  », a commenté le criminaliste MAntonio Cabral. « Je pense qu’entre vendredi 16 h 30 et hier soir 23 h 30, on a reçu six, sept communiqués différents ! », s’étonne sa consœur MAmzallag.

Dans les corridors du palais, il était très difficile de garder la distance recommandée d’un mètre lundi matin, alors que des avocats, des accusés et des membres de la cour faisaient les cent pas devant des salles d’audience. Une situation décriée par plusieurs personnes interrogées par La Presse.

Les règles d’hygiène semblent également à géométrie variable. Dans la salle du juge Boucher, on exigeait que chacun se lave les mains avec une lingette désinfectante. Une mesure inexistante dans les salles très fréquentées. « Dieu seul sait que ce n’est pas très propre ici. Je n’ai vu personne nettoyer », lâche MAmzallag.

Une journée de « rodage », selon le ministère de la Justice

Le ministère de la Justice défend leurs mesures mises en place pour éviter la propagation du virus, mais concède que la situation n’a pas été « parfaite » lundi. « C’est sûr que c’est une première journée pour nous. Il va y avoir du rodage. On voit que ça fonctionne. Est-ce que c’est parfait ? C’est sûr que non. Mais demain on a bon espoir », a expliqué MAlex Pothier, porte-parole au ministère de la Justice.

Plusieurs avocats saluaient d'ailleurs les mesures sanitaires déployées par les autorités judiciaires. « Je pense que la politique gouvernementale est plus qu’adéquate en ce moment », estime le criminaliste Me Marc Giroux. « Les mesures font en sorte qu’il y a une saine gestion des accusés dans le palais de justice. Ça permet de réduire le nombre de personnes s’y trouvant », soutient Me Alexandre Goyette.

Le criminaliste Me Michael Morena se résignait lundi à assister à la valse des avocats en salle d’audience. « On fait ce qu’on peut. Il faut faire les dossiers », lâche-t-il. Selon lui, il est impératif de maintenir le palais de justice ouvert pour maintenir les droits des accusés détenus. Il se réjouit également que les juges acceptent que certains accusés en liberté ne soient pas là. « On s’arrange pour le moment pour éviter que les gens ne se déplacent pour rien », dit-il.

Dans ce contexte, les criminalistes s’entraidaient lundi matin. Il était plusieurs à représenter des confrères et consœurs, comme Me Audrey Amzallag. « On a pris les choses entre nos mains, les travailleurs autonomes de la défense, pour essayer de s’entraider », explique-t-elle.

Selon elle, les autorités devraient mettre en place le report automatique des causes impliquant des accusés en liberté. « Ça devrait être reporté en bloc, que ce soit pour sentence ou pro forma ! », lance-t-elle. Son confrère Me Antonio Cabral estime qu'on devrait privilégier d'abord les audiences et les enquêtes sur remise en liberté d'accusés détenus dans les circonstances.