Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur et éditeur Stéphane Dompierre.

L’hiver dernier, quand nous avons emménagé dans notre nouveau logis, ma blonde et moi, nous nous sommes gâtés et nous avons engagé un peintre pour gagner du temps.

Mais récemment, le choix de mettre un mur de couleur dans le salon tout blanc s’est imposé. Un seul mur… on n’allait pas engager un professionnel juste pour ça, non ? A priori, j’aurais dit oui, mais ma blonde, plus sage que moi, m’a demandé si j’étais meilleur au découpage ou au rouleau. Je l’ignore, ça fait 30 ans que j’ai pas peinturé.

Et pour cause.

Dans ma vingtaine, j’étais optimiste et peu outillé. « Peindre un plafond ? Ça doit pas être ben ben compliqué ! »

Oui, ça l’est. Je me souviens d’un salon où j’ai dû mettre trois couches de blanc sur un plafond que je voulais tout juste rafraîchir, simplement parce que l’après-midi mon travail me semblait impeccable, mais le lendemain matin, quand le soleil entrait par les grandes fenêtres, tous mes coups de rouleau étaient apparents.

Et c’était comme ça pour la moindre rénovation, le moindre petit travail. « Poser des tablettes sans pentures apparentes ? Ça doit pas être ben ben compliqué ! »

Oui, ça l’est. Au bout du compte, après avoir fait des trous partout pour trouver du soutien derrière le mur de gypse, les tablettes penchaient tellement vers l’avant que mes livres de poche glissaient par terre quand le camion de poubelles passait en faisant vibrer les murs.

On pourrait penser que j’exagère, mais non. Je suis capable d’égratigner tout un mur en tentant d’y installer un innocent tableau en liège. J’ai déjà pensé que ma mort serait prévisible : je mourrais dans mon lit, la gorge tranchée par un morceau de verre du lourd cadre que j’avais eu la folie d’installer moi-même au-dessus du lit. Je l’entendais parfois grincer dans la nuit et je me disais : « Ça y est, c’est maintenant que ça se passe, mon incompétence va me tuer. »

Dans l’espoir de vivre plus longtemps et d’économiser, je tente de m’améliorer. Et puis, je ne peux pas toujours appeler un professionnel pour me venir en aide. Pour changer le panneau électrique, oui. Pour arranger la cuvette des toilettes, ce qui ne demandait que de revisser un machin, ai-je découvert sur YouTube, peut-être pas.

Ce qui me fâche, c’est que si j’avais été plus attentif et intéressé pendant l’adolescence, je serais capable de rénover n’importe quoi. Parce que mon père l’était.

Il a bâti un cabanon dans la cour de la maison familiale qui est encore debout et bien droit 40 ans plus tard. Mais à l’âge où j’aurais pu aider mon père à travailler sur le cabanon, ou à installer une salle de bains supplémentaire au sous-sol de la maison, j’étais trop occupé à tenter de maîtriser I Love Rock’n Roll de Joan Jett & The Blackhearts à la guitare électrique. Compétence qui, somme toute, ne me sert plus du tout aujourd’hui.

J’ai rangé ma guitare depuis longtemps, alors que je me retrouve au moins une fois par semaine avec un tournevis ou un marteau à la main, à me demander si je vais réussir ce petit travail assez simple ou empirer la situation.

C’est en regardant ma mère du coin de l’œil que j’ai appris à recoudre un bouton, ainsi qu’à cuisiner quelques repas. Il ne me serait jamais venu à l’idée de me lever du divan et d’abandonner pour quelques minutes ma lecture d’un Bob Morane, d’un Gotlib ou d’une revue Inexpliqué pour dire à ma mère : « Peux-tu me montrer comment tu fais ça ? » Les mystères des statues de l’île de Pâques ou de la combustion spontanée me semblaient toujours plus palpitants que de maîtriser une sauce à spaghetti.

Évidemment, je ne peux pas m’en vouloir ; je ne crois pas qu’il soit donné aux adolescents et aux adolescentes de savoir ce qui leur sera utile plus tard, malheureusement. Quand je suis parti de chez mes parents, je savais comment réchauffer des burritos congelés au micro-ondes, et commander de la pizza.

Je ne suis pas du genre à vivre dans les regrets, mais disons que si je pouvais revenir dans le temps et donner un petit conseil à l’ado que j’étais, ce serait plutôt simple : apprends tout ce que tu peux de tes parents pendant que c’est le temps.

Nos parents nous transmettent souvent leurs valeurs, aussi leurs qualités et leurs défauts, mais pour ce qui est de leurs connaissances, il faut parfois faire l’effort de leur demander.

Si j’analyse la parentalité seulement sous l’angle de la transmission, ma vraie mère, c’est Ricardo, et mon vrai père, c’est un Marseillais moustachu dans des tutoriels mal éclairés sur YouTube. Je suis maintenant un orphelin ignorant, et c’est entièrement de ma faute !

Mais, si jamais vous vous demandiez, grâce au Marseillais moustachu, le mur du salon est impeccable.

Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion