Un journaliste vous présente un essai récemment publié

Savez-vous pourquoi la Chine a un jour décidé d’autoriser l’organisation de conventions de science-fiction et de fantasy à l’intérieur de ses frontières alors qu’elle avait pendant plusieurs années censuré ce genre de littérature ?

L’auteur britannique Neil Gaiman l’a expliqué dans un de ses ouvrages. Et sa réponse est fascinante.

« Les Chinois excellaient à créer des choses si d’autres leur en apportaient les plans. Mais ils n’innovaient pas, ils n’inventaient pas. Ils n’imaginaient pas. Aussi ont-ils envoyé une délégation aux États-Unis, chez Apple, Microsoft, Google, et ils ont posé là-bas aux gens qui inventaient le futur des questions sur eux-mêmes. Et ils ont découvert que tous avaient lu de la science-fiction quand ils étaient enfants. »

J’avais, il y a quelques années, été frappé par cette anecdote. Elle m’est revenue en tête à la lecture de l’essai Par-delà les livres, car elle est en droite ligne avec ce que tente de prouver Normand Baillargeon avec cet ouvrage collectif.

Dans ce livre, diverses personnalités québécoises donnent leur avis sur « l’empreinte du littéraire » sur leurs métiers.

À l’aide de courts essais, ils témoignent du pouvoir des livres. Un vaste pouvoir qui peut agir « dans toutes les sphères de notre vie, y compris professionnelle, et ce, peu importe notre métier ».

Les exemples fournis sont nombreux autant qu’ils sont diversifiés.

La psychologue Rachida Azdouz raconte qu’elle a « développé un intérêt pour la psychologie grâce à la littérature philosophique » découverte pendant ses études, mais aussi aux romanciers russes comme Tolstoï et Dostoïevski.

Elle précise par ailleurs que dans sa pratique, les contes peuvent être des « outils précieux », entre autres pour « accompagner des enfants réfugiés traumatisés par la guerre ».

L’avocate Julie Latour explique pour sa part que « la littérature irrigue le droit, car la pensée juridique s’abreuve à la source du langage et de l’imaginaire social qu’elle reflète ».

Elle démontre par la suite que la lecture d’œuvres complexes (elle cite l’autrice Marguerite Yourcenar, et elle n’est pas la seule à le faire dans cet ouvrage) la stimule intellectuellement et a un impact positif direct sur son travail de juriste.

Tout comme, raconte-t-elle, le minimalisme des œuvres de Jacques Poulin, d’Ernest Hemingway et de Gabrielle Roy. « La sobriété est souvent un véhicule plus puissant que l’emphase pour dénouer un conflit, car elle favorise la clarté et permet au lecteur d’accueillir la proposition à travers sa propre subjectivité et d’y adhérer ensuite. »

La journaliste Josée Boileau dit avoir lu de nombreuses œuvres de fiction qui lui ont permis « d’aiguiser [ses] réflexions sur la société ».

La comptable Chantal Santerre démontre que la littérature lui a appris « le rapport des gens à l’argent ».

On pourrait poursuivre cette liste encore longtemps tant ce petit essai est riche en démonstrations quant à l’utilité des livres. Quant à ce don qu’ils ont de nous éclairer. Quant au fait qu’ils changent des vies, ni plus ni moins !

Ce pouvoir, la psychiatre (et poète) Ouanessa Younsi le résume avec élégance, en quelques mots. « Le médecin sauve des vies, le poète sauve la vie », écrit-elle.

Normand Baillargeon dit espérer que cet ouvrage confirmera « l’importance de la littérature dans la culture générale » et « la place qui lui revient dans le curriculum – notamment au cégep ». Rassurons-le : ce noble objectif est atteint.

Par-delà les livres – L’empreinte du littéraire sur nos métiers

Par-delà les livres – L’empreinte du littéraire sur nos métiers

Éditions Poètes de Brousse, collection Essai libre

241 pages

Extrait

Le philosophe de l’éducation que je suis est depuis toujours sensible aux grands enjeux entourant la justification de la place de la littérature dans le curriculum, et en particulier, de sa place en tant que composante d’une culture générale offerte à toutes et tous. Ce sujet devient vite polémique, surtout si on aborde le fait qu’on ne peut guère, ou du moins pas au sens usuel, justifier cette place en arguant de la valeur instrumentale de la littérature, de sa valeur économique ou si l’on préfère de son importance comme capital humain, au sens le plus étroit de ce terme – et c’est bien entendu aussi le cas, je le sais fort bien, de la philosophie. Je pense pourtant qu’il revient à la littérature, comme à la philosophie, une place importante et irremplaçable dans le déploiement de cette culture générale que l’on devrait offrir au plus grand nombre.

Qui est Normand Baillargeon ?

« Partisan de L’ordre moins le pouvoir et de L’autodéfense intellectuelle. » C’est la façon dont Normand Baillargeon, philosophe qui fut longtemps professeur à l’UQAM, se décrit sur son compte Twitter. Pour ce collectif, il a recruté pas moins de 12 collaborateurs : Brigitte Alepin, Rachida Azdouz, Josée Boileau, Alain Deneault, Jean Désy, Lucia Ferretti, Julie Latour, Sonia Lupien, Thierry Pauchant, Yannick Rieu, Chantal Santerre et Ouanessa Younsi.