Il y a un avant et un après Jaws. Alors que le film paraît en Blu-ray, Carl Gottlieb, scénariste et acteur dans ce qui peut être considéré comme le premier film à succès estival, évoque les raisons d'un succès phénoménal et parle d'un jeune réalisateur appelé Steven Spielberg.

Carl Gottlieb n'était pas destiné à lancer sa carrière de scénariste pour le grand écran avec Jaws. Après tout, il travaillait surtout pour le petit, particulièrement sur des sitcoms. Mais il avait le même agent qu'un jeune réalisateur de télévision en quête d'un premier succès au cinéma, un certain Steven Spielberg, avec qui il s'était lié d'amitié. «Il m'a parlé de ce film qu'il allait réaliser au sujet d'un poisson (rires). Il m'a proposé de lire le scénario pour ajouter un peu d'humour, et il m'a dit que si je voyais un rôle pour moi, je pourrais peut-être faire partie de l'aventure», raconte le scénariste en entrevue téléphonique.

Un personnage périphérique, Harry Meadows, l'éditeur du journal local, lui a fait de l'oeil. Et tout en lisant le scénario, Carl Gottlieb a pris des notes. Beaucoup. Il a ainsi remis un imposant document, bourré de suggestions, à Steven Spielberg. Qui l'a fait passer aux producteurs. Une rencontre a suivi. Et celui qui travaillait alors sur The Odd Couple s'est retrouvé à accompagner l'équipe à Martha Vineyard où, de mai à septembre 1974, s'est déroulé le tournage de Jaws.

Il allait réécrire le scénario dont l'auteur du roman, Peter Benchley, avait signé une première version, et camper Meadows. Deux rôles, donc, l'un qui allait presque «tuer» l'autre: «Quand j'ai commencé la réécriture, il m'est apparu évident que Meadows n'était pas essentiel alors que nous avions besoin de temps pour des choses qui, elles, l'étaient. Le personnage est devenu une ombre se tenant derrière le maire. Me couper moi-même a été une des choses les douloureuses que j'ai eu à faire en tant que scénariste», admet-il.

Mais, bon, il devait laisser de l'espace à celui qu'il appelle «le meilleur vilain de tous les temps», le grand requin blanc qui a fait le succès de Jaws. «Ce requin, le fait que le film mette en scène trois personnages très différents les uns des autres et que l'histoire soit intemporelle, il suffirait d'ajouter des téléphones cellulaires et l'intrigue pourrait se dérouler aujourd'hui. C'est une des qualités qui définissent les classiques.»

Résultat: un film sorti en juin 1975 sur 400 écrans - «C'était une première et c'était considéré comme énorme à l'époque» - a changé la donne sur les écrans. «Les jeunes allaient voir le film cinq, six, sept fois! Du jamais vu. Les studios ont alors réalisé qu'en lançant un film à grand déploiement l'été, sur un nombre imposant d'écrans, il était possible de gagner beaucoup d'argent. Il marque une pause et ajoute: «Mais aussi en perdre beaucoup!»

Parce que pour lui, l'un des ingrédients magiques de Jaws est son réalisateur. Qui, à 27 ans, possédait déjà les qualités qui ont fait de lui le cinéaste important qu'il est devenu. «Il possédait déjà cette connaissance quasi surnaturelle de ce que le public aime. Ses goûts sont ceux de trois milliards de personnes sur la planète. Il connaissait aussi les politiques des studios en matière de financement et de distribution, il savait donc comment distraire les producteurs quand le budget était en voie d'être dépassé. Et il était déjà un technicien exceptionnel, il maîtrisait et maîtrise encore l'art de faire un film. Peu de personnes possèdent ces trois qualités-là», résume Carl Gottlieb avant d'assurer qu'un remake de Jaws «est fort peu probable du vivant de Steven Spielberg. Légalement, il a peu de contrôle sur le film mais Universal et l'industrie le respectent tellement qu'ils n'iront pas à l'encontre de sa volonté. Or, il est extrêmement protecteur à l'égard de Jaws. Il a d'ailleurs supervisé lui-même tout le transfert sur Blu-ray».

Le meilleur défenseur pour le pire méchant, quoi.