Je rencontre Emmanuelle Seigner au restaurant XO, dans le Vieux-Montréal. L'actrice française vient de publier un premier disque, Ultra Orange et Emmanuelle. Chanteuse rock. Il s'agit d'une nouvelle incarnation pour l'ancien mannequin, soeur de l'actrice Mathilde Seigner, petite-fille de l'acteur Louis Seigner, et femme du cinéaste Roman Polanski, qui l'a révélée au cinéma (Frantic, Lunes de fiel). Thème: la famille.

Marc Cassivi: La presse française a été dure avec vous au début de votre carrière. Croyez-vous que cela avait à voir avec le fait que vous étiez dans les films de votre mari?

Emmanuelle Seigner: Absolument. On m'a jugée en tant que femme, pas en tant qu'actrice. Je n'étais peut-être pas à l'époque la plus grande actrice du monde. Mais qui l'est quand elle débute? Frantic a été mon premier film. Je n'étais peut-être pas géniale, mais je n'étais pas si mal... Excusez-moi (son BlackBerry sonne: c'est Polanski. «Je ne peux pas te parler, je suis en interview. Ça va? Je te rappelle. Gros bisous.») Donc, la presse a été dure. En même temps, ç'a été très positif pour moi. Au lieu de me laisser abattre, je me suis dit qu'un jour, je leur montrerais que je suis une bonne comédienne, que j'ai du talent et que je ne suis pas juste une jolie fille qui est mariée à Polanski. Je crois les avoir convaincus avec Place Vendôme, La vie en rose, Le scaphandre et le papillon. En même temps, je comprends qu'ils aient eu cette réaction.

M.C.: Si c'était à refaire, feriez-vous moins de films avec Polanski?

E.S.: Si c'était à refaire, j'aurais été plus exigeante sur les rôles. J'aurais accepté seulement un rôle principal, un rôle mortel qui tue. Je n'aurais pas fait La neuvième porte. Je n'aurais pas fait des trucs qui ne sont pas assez bien.

M.C.: Très tôt, on vous a campée dans des rôles de sex-symbol...

E.S.: J'étais tellement jeune. Comment peut-on savoir tout ça à cet âge-là? C'était horrible. C'était humiliant. C'était une question, à la limite, d'identité. J'y ai perdu mon identité. Mais en même temps, je suis contente de m'être battue. Parce que j'aurais pu tout accrocher et devenir Mme Polanski. Si j'avais fait ça, ç'aurait été une petite mort. J'aurais renoncé. Le fait que je me sois battue me donne du plaisir maintenant.

M.C.: Croyez-vous que votre côté vamp vous a nui ou au contraire avantagé? C'est quelque chose que vous dégagez naturellement...

E.S.: Ce n'est pas quelque chose qui me fait plaisir. On me propose beaucoup de rôles comme ça. Même aujourd'hui, on ne peut pas m'imaginer en avocate, en médecin ou en maîtresse d'école. Je suis contente que La vie en rose ait un peu cassé ce moule, même si c'est le rôle d'une pute. Je ne me vois pas du tout comme un sex-symbol. Il y a des filles comme Emmanuelle Béart ou Monica Bellucci qui jouent vachement sur leur sexualité. Elles sont là, les seins en avant, le rouge à lèvres... Moi, je ne suis pas comme ça. Je ne montre pas cette image (elle porte une robe t-shirt moulante et des bottes de cow-boy rouges). Je n'essaie pas d'être un sex-symbol. Je ne joue pas cette carte-là. Ce n'est pas quelque chose que je revendique du tout.

M.C.: Comment votre mari a-t-il vécu le fait que vous soyez le souffre-douleur de la critique dans certains de ses films?

E.S.: C'est comme si les critiques s'étaient payé Polanski à travers moi. Je pense qu'il ne l'a pas bien vécu du tout. Ç'a été très dur pour lui. C'est pour ça que si on refait quelque chose ensemble - et je crois qu'on le fera - il ne faut vraiment pas qu'on se plante. Il faut que ce soit un sujet super pour lui et pour moi. Mais les choses changent. Je viens de faire deux jours d'interview à Toronto et il n'y a pas un seul journaliste qui m'a parlé de mon mari. Un seul m'a demandé si Roman s'occupait des enfants. C'est vrai que les enfants m'ont ralentie beaucoup dans ma carrière, mais je ne le regrette pas du tout. Je suis contente de les avoir eus jeune. Ma soeur a 40 ans et elle vient juste d'avoir un bébé. Franchement, je n'aimerais pas être à sa place. C'est dur. Mon mari m'appelle toutes les 10 minutes. «Pour le pied de Morgane, je l'emmène voir un spécialiste? Est-ce que tu es libre pour la réunion parent d'élèves du 13?» C'est génial les enfants, mais c'est vrai que ça représente des sacrifices.

M.C.: Il y a une part d'abnégation dans le fait d'être parent. Dans le milieu artistique, on est vite oublié...

E.S.: Ç'a été dur. En plus, c'était au moment où ma soeur explosait vachement. Je me sentais Ça n'a pas été facile pour moi.

M.C.: C'est vrai qu'on a beaucoup plus vu votre soeur au cours des 10 dernières années. Vous vous entendez bien avec votre soeur?

E.S.: On s'entend bien, mais... En fait, c'est bizarre. Elle vient d'avoir un enfant et donc elle va se retrouver dans la situation dans laquelle j'étais il y a 10 ans. On est très différentes. On s'entend bien. C'est ma soeur et je l'aime beaucoup. Mais on n'est pas proches parce qu'on est très différentes. On ne conçoit pas du tout ce métier de la même manière. On n'a pas les mêmes ambitions. Elle est très franco-française. Ses films ne sortent pas de la France. Aux États-Unis, ils ne savent même pas qu'elle existe. Ils ne savent même pas que j'ai une soeur. C'est la même chose en Asie. Ma soeur est connue dans la francophonie, mais même en Italie et en Espagne, ils ne savent pas qui elle est. On n'a pas la même carrière.

M.C.: J'ai déjà interviewé votre soeur. J'ai aussi rencontré votre mari. C'était aux studios de Babelsberg, pendant le Festival de Berlin. Il tournait Le pianiste.

E.S.: Je me rappelle qu'à cette période, il était complètement investi par son projet. À la limite, ça me saoulait, parce qu'il ne parlait que des Juifs et de la déportation. À longueur de journée. Il fallait parfois que je sorte m'aérer l'esprit. En même temps, c'était super important pour lui et il a fait un film magnifique. Il était complètement possédé. Mais c'est vrai que pour moi et pour son entourage, ce n'était pas facile. Ç'a été la pire période. Je ne m'occupais que des enfants, qui étaient petits. Lui ne s'occupait que des Juifs. Et il y avait ma soeur qui disait des conneries à la télé. Elle avait tellement besoin d'exister qu'elle était prête à tout. J'avais envie de me tuer! (rires) En entrevue, on me parle parfois du meurtre de Sharon Tate (la deuxième femme de Polanski, assassinée par la «famille» de Charles Manson, alors qu'elle était enceinte de huit mois). Ce n'est pas mon histoire. J'avais 3 ans. Je n'ai rien à voir avec ça. J'ai dû subir des trucs qui étaient hors de mon contrôle. Je ne m'en rendais pas compte quand j'ai épousé mon mari. Je l'ai épousé parce que j'étais amoureuse de lui. Je n'ai pas pensé au meurtre et à tout le reste. Mais ç'a fini par me retomber sur la gueule! (rires) Ce qui m'a sauvée, c'est l'humour... Plutôt que de me jeter par la fenêtre, j'ai décidé d'en rire.