Juillet 2006. La place de la Constitution, à Mexico, a des allures de terrain de camping. Les milliers de «campeurs» qui ont élu domicile dans le centre historique de la capitale n'ont pas l'intention de plier bagage. Ils sont venus crier à l'injustice. Les résultats du scrutin présidentiel qui ont permis d'élire de justesse Felipe Calderon sont truqués, croient-ils.

Cette scène tirée du récent documentaire de Luis Mandoki, Fraude: Mexico 2006 à l'affiche depuis le 15 novembre , figure parmi les 3000 heures d'images que lui ont fournies les citoyens pour lui permettre de réaliser son film. L'objectif du réalisateur: remettre en doute la légitimité de l'élection présidentielle du 2 juillet 2006 opposant le candidat de droite Felipe Calderon (PAN) et celui de gauche André Manuel López Obrador (PRD).

«Jamais un documentaire qui conteste ouvertement le pouvoir en place n'avait pris l'affiche des cinémas mexicains auparavant, souligne Lorenzo Francisco Meyer, historien au Collège de Mexico. Pour cette raison, c'est sans doute le plus important documentaire politique réalisé au pays.»

Avec ce film, Luis Mandoki - qui a également réalisé Voces inocentes, portant sur les enfants soldats , devient un peu comme le Michael Moore du Mexique, illustre M. Meyer. «Comme Moore, il a fait un film que tout le monde peut comprendre, qui ne s'adresse pas seulement aux intellectuels.» Résultats serrés, absence de noms sur la liste électorale, faux bulletins de vote, manipulation suspecte de boîtes de scrutin, bulletins rejetés, sont autant d'éléments dont le spectateur est témoin.

La sortie de Fraude: Mexico 2006, distribué à 200 exemplaires - du jamais vu pour un documentaire mexicain , ne s'est toutefois pas faite sans heurts. Problèmes de financement, refus de distribuer de la part de deux importantes compagnies, Warner et Videocine, sont autant de problèmes rencontrés par Mandoki. Pour ajouter aux difficultés, la publicité et les bandes-annonces n'ont été diffusées qu'une semaine avant la parution du documentaire. Mais depuis qu'il a pris l'affiche, plus de 170 000 personnes ont vu Fraude: Mexico 2006, un record d'assistance pour un documentaire au Mexique. Au cours de sa première fin de semaine sur les écrans, l'oeuvre de Mandoki a attiré plus de spectateurs que le film américain The Curious Case of Benjamin Button, mettant en vedette Brad Pitt. De plus, plusieurs courriers aux lecteurs et lettres d'opinions publiées dans les journaux font état des salves d'applaudissements que l'on peut entendre à la fin de chacune des représentations.

Impact

«Quiconque verra le film ne sera plus le même, déclarait le réalisateur mexicain Sergio Olhovich lors de la première. C'est sans doute la meilleure oeuvre de Mandoki.»

«En voyant le film, j'ai revécu l'indignation énorme et la douleur d'un peuple», a pour sa part mentionné l'actrice Jesusa Rodriguez.

Par ailleurs, plus de 16 mois après les élections, André Manuel López Obrador rejette toujours les résultats et se présente comme le président «légitime» du Mexique. Selon Lorenzo Francisco Meyer, le tiers de la population croit qu'il y a bel et bien eu fraude lors du dernier scrutin. Mais le documentaire de Mandoki pourra-t-il réellement convaincre l'ensemble des Mexicains? «Je ne pense pas que ce film aura un impact crucial dans l'opinion publique parce que je crois qu'au maximum 300 000 personnes iront le voir au cinéma, soutient-il. Mais je crois que l'oeuvre est une arme politique de taille et qu'elle sera un témoignage important pour expliquer ce qui s'est passé dans l'histoire politique du pays.»

«Y a-t-il une démocratie à Mexico? Que s'est-il passé lors des dernières élections présidentielles?» Voilà deux questions qui reviennent comme un leitmotiv tout au long de Fraude: Mexico 2006. C'est que les résultats enregistrés lors des élections opposant le candidat de droite Felipe Calderon (PAN) et celui de gauche André Manuel López Obrador (PRD) étaient si serrés que la commission électorale ne pouvait proclamer de gagnant.

Après recomptage de 9 % des bureaux de vote, le verdict tombe: Felipe Calderon succédera à Vincente Fox. Le candidat défait aux dernières élections - qui refuse toujours de reconnaître les résultats est en quelque sorte le personnage principal de Fraude: Mexico 2006.

Pendant toute la durée du film, qui dure une heure 40 minutes, on peut voir des extraits de l'entrevue qu'il a accordée au réalisateur où il raconte le fil des événements: du début de la campagne électorale jusqu'au jour des élections.

Felipe Calderon et Vincente Fox ont décliné l'invitation lancée par Luis Mandoki. «Ce n'est pas un film sur André Manuel López Obrador, se défend toutefois le réalisateur, mais bien sur ce qui s'est passé l'année dernière», a-t-il tenu à préciser dans une entrevue accordée au quotidien La Jornada.