Après Mariages, la réalisatrice Catherine Martin fait de nouveau appel à Guylaine Tremblay dans son nouveau long métrage de fiction. Et la cinéaste explore les mêmes thèmes: la mort, les silences et une voie à trouver vers une renaissance. Rencontre.

Catherine Martin n’a pas d’enfant. Cela n’a pas empêché la réalisatrice de saisir avec une acuité étourdissante, presque terrifiante, les sentiments qui habitent les parents, ne serait-ce qu’en imaginant la mort d’un enfant.

Dans Trois temps après la mort d’Anna, son troisième long métrage de fiction qui prend l’affiche vendredi prochain, elle explore les moindres recoins de la douleur qui envahit, qui prend littéralement au corps Françoise (Guylaine Tremblay) à la suite de l’assassinat d’Anna (Sheila Jaffé), sa fille unique.

Quelle démarche Martin a-t-elle entreprise pour communiquer de façon aussi organique ce désarroi extrême dont sont victimes ceux qui restent derrière? A-t-elle lu des tonnes de livres? Consulté des spécialistes de l’âme? Rencontré des parents meurtris?

Non. Catherine Martin «appelle des images» au fond d’elle-même, explore intérieurement la douleur et renvoie le tout avec, tout de même, un mot d’espoir. «Je suis entrée en moi. Je sais ce que c’est que d’avoir de la peine et de souffrir», dit-elle.

Mère de deux filles, Guylaine Tremblay a ressenti l’abîme sous ses pieds à la lecture du scénario de la réalisatrice de Mariages et Dans les villes. Au point qu’il lui a fallu du temps pour apprivoiser le personnage de Françoise, pour le laisser entrer en elle.

«Au départ, je ne savais pas dans quelles zones cela allait m’amener, confie la comédienne en entrevue. Moi qui suis une fille très game, moi qui, dans les répétitions, essaie toutes sortes de choses, j’ai été obligée de dire à Catherine que je ne voulais pas aller dans ces zones-là. J’avais peur. Je me protégeais, car cela me ramenait à ma propre condition de mère. Juste de penser qu’une de mes filles pourrait disparaître, ça me donne le vertige. Tu deviens presque mal physiquement.»

Elle ajoute que le rôle lui a permis de définir, de sentir plus que jamais la ligne de séparation entre vie quotidienne et travail d’acteur. Une fois dans les vêtements, le corps et la pensée de Françoise, elle s’est abandonnée.

Trouver des correspondances

N’empêche! Comment se préparer à un rôle si intense, si violent dans les sentiments? D’autant plus qu’elle est pratiquement toute seule dans le premier tiers du film jusqu’à l’arrivée d’Édouard (François Papineau), son amour de jeunesse qui la sauve de la mort.

Guylaine Tremblay répond que le tournage dans la région de Kamouraska, en plein hiver, lui a permis de «trouver des correspondances» avec ce que vit Françoise.

«Lorsque nous avons commencé le tournage, c’était l’hiver. Nous étions dans une vague de froid incroyable, se souvient-elle. Je regardais le fleuve avec les glaces et tout. Je me disais que c’était exactement comme l’intérieur de Françoise. Cette espèce de douleur figée qui faisait qu’elle ne pouvait même pas faire une crise de larmes au début. Je trouvais des correspondances avec la nature. Les arbres figés, le fleuve, cette espèce de blancheur.»

Dans la vraie vie comme dans le film, le printemps se glisse petit à petit et, avec celui-ci, l’envie de mourir de Françoise s’estompe. Lentement, très lentement...

Catherine Martin respecte le choix de ceux qui éviteront d’aller voir le film parce qu’ils ont vécu cette douleur. Mais elle croit que son travail ouvre la porte à la lumière.

«Je souhaite que le film transcende cela, dit-elle. Il peut y avoir quelque chose qui fait du bien aussi. Je l’ai fait pour cela. J’essaie de montrer que, malgré le deuil, la douleur, et l’extrême de cette douleur, la beauté est possible. Elle peut encore s’offrir à nous. Je pense que si je n’avais pas fait ce film pour faire du bien, je ne l’aurais pas fait. J’ai voulu placer mon personnage dans des situations de bienveillance, de bonté, de douceur. J’imagine que le spectateur va être dans cela aussi.»

Silences

Comme dans Mariages, c’est l’individu mort qui constitue le fil conducteur entre les personnages. Ce qui nous amène à demander à la réalisatrice quel est son rapport à la mort.

«Je ne réfléchis pas à ça, dit-elle, un peu surprise. Dans mon film Dans les villes, la mort est aussi très présente. Mais personnellement, j’y pense très peu. Ce qui me préoccupe est la mort des gens que j’aime. La mienne? Je me dis que cela fait partie de notre finalité. J’espère juste que ça va se passer très vite (rires). Mais la mort des gens que j’aime... houlà ! je ne veux pas m’arrêter à cela. Et pourtant, c’est ce que je viens de faire avec ce film.»

Le silence, les silences en fait, font aussi partie du fonds de commerce de la réalisatrice. Et encore plus dans cette nouvelle mouture. Une nécessité pour elle.

«Le cinéma nous permet cela : entendre des choses et ressentir le silence. Dans ce film-là, en particulier, je sentais que c’était nécessaire, car je demande une part de recueillement aux spectateurs. Un recueillement qui est aussi celui de Françoise, même si son agitation intérieure est très grande. Lorsqu’on vit des choses très dures comme ça, si on perd la capacité de se recueillir, on risque, à mon avis, de souffrir encore plus.»

Un nouveau projet «un peu différent»

Très discrète sur ses projets à venir, Catherine Martin lève un coin de voile sur sa prochaine idée de film. Intitulée Une jeune fille, l’histoire mettra en scène des personnages qui viennent de milieux distincts de ceux qu’on a l’habitude de croiser dans sa filmographie. «C’est un film un peu différent de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant», glisse-t-elle sans donner plus de détails. Le projet sera déposé en septembre auprès des institutions publiques de financement. Si tout se passe comme prévu, le tournage aura lieu à l’automne 2011. «Idéalement, ce serait tourné en Gaspésie», ajoute la réalisatrice. En mai dernier, elle s’est d’ailleurs rendue dans cette région afin de faire du repérage.