Après 45 minutes de conversation téléphonique, l'entrevue s'achève. On échange quelques détails secondaires, on parle météo et cinéma et puis, au détour d'une phrase, la réalisatrice Rose Bosch lâche cette réflexion, lourde de sens.

«Vous pouvez imaginer comment a été ma vie durant cinq ans. Chaque fois que j'écrivais les dialogues d'un de ces enfants, c'était un enfant mort.»

Rose Bosch a porté, porte et portera visiblement à jamais les stigmates créés par la recherche et le tournage de son nouveau film, La rafle, consacré à cette mise à sac des quartiers de Paris où la police française a arrêté quelque 13 000 Juifs. Ces derniers, parmi lesquels se trouvaient plus de 4000 enfants, ont été dirigés et entassés dans le Vélodrome d'hiver (le Vel d'hiv) du XVe arrondissement avant d'être déportés, d'abord au camp nazi de Beaulne-la-Rolande, puis à Auschwitz où ils ont été exterminés.

Bien connue, l'histoire est toutefois longtemps demeurée taboue dans l'Hexagone. Mais l'an dernier, deux films ont coup sur coup abordé celle-ci de front, La rafle, basé sur un scénario original et historique, et Elle s'appelait Sarah, adaptation du roman de Tatiana de Rosnay par Gilles Paquet-Brenner.

«Pendant longtemps, il n'y avait que trois ou cinq lignes consacrées à cette affaire, dit Rose Bosch. Maintenant, l'époque et le pays étaient prêts pour en entendre parler.»

En France, son film a connu un immense succès avec trois millions d'entrées.

La réalisatrice est enchantée de constater que ce sont les jeunes de 12 à 25 ans qui constituaient la plus importante tranche de spectateurs. «Nous sommes arrivés à un moment où les gens veulent savoir», affirme-t-elle.

Dans son cas, la rafle du Vel d'hiv est aussi une histoire familiale. Chrétienne, Mme Bosch est mariée à un Juif, le producteur Ilan Goldman (Coco, 99 francs, La môme). La famille de ce dernier, résidante du quartier Montmartre, a échappé de justesse à la razzia policière parce qu'elle était partie aux Halles acheter des légumes.

Plus héros que collabos

La rafle s'ouvre au pied du Sacré-Coeur le 6 juin 1942. C'est ce jour-là que les Juifs français commencent à porter - par décret - l'étoile jaune sur leurs vêtements. L'ambiance reste bon enfant. Les gens ne croient pas leur vie en danger. Ils ont le sentiment d'être sous protection française et que la situation finira par se tasser.

Puis, le climat se dégrade. Rapidement. Les décrets s'additionnent, les Juifs sont de plus en plus ostracisés. Plusieurs sont l'objet d'insultes par des compatriotes.

Le film aborde cette question des Français collabos ou antisémites. Mais le scénario s'attarde davantage sur tous ces Français non juifs qui ont aidé leurs amis, leurs voisins, leurs camarades de travail à se soustraire des griffes nazies. À preuve, l'opération devait permettre l'arrestation de 24 000 personnes.

«Il ne fallait pas confondre le régime vichyste qui était antisémite avec les Français, dit Mme Bosch. Les gens qui ont caché des Juifs risquaient d'être envoyés dans les camps s'ils se faisaient prendre. Ils ont eu un courage énorme et ils sont très, très nombreux.»

Le film est basé sur des personnages réels et des faits, assure Rose Bosch, qui n'aurait pas tourné cette histoire sans d'abord retrouver des survivants.

«Ça s'est fait dans des circonstances exceptionnelles, raconte-t-elle. J'ai d'abord retrouvé dans une émission vieille de 17 ans un monsieur qui disait s'être évadé de Beaulne-la-Rolande alors qu'il avait 10 ans. Il était encore vivant. Je l'ai interviewé. Il ne voulait pas trop parler de sa vie de famille parce qu'il ne le supportait pas; il en était le seul survivant. Et tout autour de lui, j'ai trouvé les traces de plusieurs autres vies, par des lettres, des journaux intimes des enfants, etc.»

Sur ce, elle énumère un par un les personnages de son film et donne des détails historiques sur chacun d'eux. «Bien sûr, il faut parfois inventer, car je n'ai pas suivi ces gens à la trace, souligne-t-elle. Mais je ne me suis pas permis d'inventer des vies tragiques. J'aurais trouvé cela abominablement malhonnête et prétentieux. J'avais tellement de témoignages que cela aurait été d'une arrogance incroyable d'aller raconter autre chose que ce qui s'est passé.»

La rafle sort en salle le 17 décembre.

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Prochain film: Raspoutine

Réalisatrice d'un autre film, Animal, sorti en 2005, et scénariste de 1492: Christophe Colomb de Ridley Scott (1992), Rose Bosch consacrera son prochain film à Raspoutine, cet aventurier russe devenu un des favoris de la cour des tsars au tout début du XXe siècle. Le tournage, qui a lieu à Saint-Pétersbourg, capitale de l'empire avant la révolution de 1917, mettra en vedette Jean Reno dans le rôle-titre.