Après le peintre Serge Lemoyne, Simon Beaulieu a tenté de cerner un autre personnage mythique du Québec moderne, Gérald Godin, «le député-poète». Parcours d'un jeune homme curieux.

«Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas assez l'histoire du Québec pour comprendre la réalité...»

Simon Beaulieu avait 15 ans au référendum de 1995 et, de son propre aveu, l'événement lui est «passé par-dessus la tête complètement». Puis le jeune homme a quitté Sainte-Agathe pour venir étudier à Montréal. Au cégep de Rosemont. En cinéma.

Le cinéma, cet art plus difficile qu'il en a l'air, cet art qui, au-delà des techniques, commande de «raconter une histoire». Une histoire inventée ou vécue, mais une histoire...

Pour son premier film, Simon Beaulieu a raconté l'histoire spectaculairement tragique de Serge Lemoyne, peintre iconoclaste et homme-événement qui a fait accoucher le Québec des années 60 de l'art contemporain. Lemoyne (2005) a amené le jeune cinéaste devant des pans d'histoire inexplorés, de faits à raccorder, de personnages à découvrir. Et lui a fait voir la vérité absolue du cinéma documentaire: l'histoire se construit avec «la matière qui existe»...

Et de questions en réponses qui suscitent cent autres questions, de conversations en visionnements, le jeune homme curieux - belle qualité «artistique» - a découvert Gérald Godin, poète et journaliste, éditeur et nationaliste, député et ministre péquiste et, à travers ou avant tout ça, compagnon de vie de la chanteuse Pauline Julien.

Images inédites

Par où prendre ce «personnage fascinant», comment le cerner, replacer son histoire dans celle, plus vaste, du pays qu'il n'a jamais cessé de construire? Simon Beaulieu a commencé par la vieille façon: il a lu. Pendant deux ans. Des écrits du sociologue et poète Fernand Dumont (1927-1997) aux ouvrages de Jean-François Lisée sur l'ancien premier ministre Robert Bourassa.

Puis, il s'est lancé dans la passionnante recherche de la matière dont on ne sait pas qu'elle existe... Ainsi, en fouillant dans les voûtes des Archives nationales du Québec, Simon Beaulieu est tombé sur des séquences tournées par le cinéaste Gilles Groulx (1931-1994) - le mentor de Pierre Falardeau - pour un film dont le titre de travail était Québec. «Des images inédites, en 35 millimètres, rares», précise Simon Beaulieu en soulignant un des grands paradoxes du cinéma documentaire: «Plus on remonte dans le temps, plus l'image est belle. La télévision a adopté la vidéo dans les années 80, mais les images étaient plus nettes quand elles étaient tournées en 16 ou en 35 mm.»

Beaulieu voulait aussi «d'autres images» de la crise d'Octobre au cours de laquelle Gérald Godin, alors directeur de l'information de Québec-Presse, a été arrêté, une expérience qui l'a marqué. Et il y avait cette masse d'images des campagnes électorales - Godin a fait une entrée fracassante en défaisant Robert Bourassa dans Mercier quand le PQ a pris le pouvoir en 1976 - ou référendaires.

Ça fait beaucoup de stock, aurait dit Gérald Godin, fils d'un médecin de Trois-Rivières «qui écrivait des alexandrins», mais qui choisira, lui, la langue du peuple comme support de sa poésie. L'auteur des Cantouques - de l'anglais cant-hook, outil dont se servaient les draveurs de la Mauricie - écrivait sa poésie «avec les mauvais mots», dit Gaëtan Soucy dans le film. Ce (mauvais) choix esthétique mettra Godin au ban de l'establishment littéraire de son temps, peu ému devant les références au «fédéralisme enculatif» que le poète pas encore député évoquera à la Nuit de la poésie du 27 mars 1970 par laquelle Simon Beaulieu a décidé d'ouvrir son film.

Les mots de Godin

Après avoir lu tout Godin, bien sûr, de Chansons très naïves à Soirs sans atout, qu'a-t-il trouvé dans cette poésie? «Un homme foncièrement bon, sans la moindre malice. Une simplicité aussi, à l'opposé de certains qui se cachent derrière des excès parce qu'ils ont peur de se mettre à nu.»

Tellement de mots, tellement d'images... L'art difficile de choisir... «Le plus dur a été le montage», explique le documentariste qui a monté Godin avec Alexandre Chartrand et René Roberge. «À un certain moment, il a fallu répondre à la question: est-ce qu'on fait un film sur l'indépendance du Québec ou sur Gérald Godin?» Mais comment séparer l'indissociable? Gérald Godin était plus qu'un nationaliste. Le premier - Jacques Parizeau le rappelle sans ambages -, il a propagé l'idée d'un Québec appartenant à tous ses citoyens, quelle que soit leur origine. Simon Beaulieu a découvert l'homme d'«un projet possible, totalement assumé» et à l'avancement duquel il est passé «de la parole à l'action».

Et comment «placer Pauline», ce «paquet de nerfs» en qui Gérald Godin voyait «la femme absolue» ? Et absolument indispensable à quiconque veut replacer dans son contexte l'Autre qui, explique Denys Arcand, «aimait toutes les femmes». «Pauline Julien, c'est un sujet en soi», dira Simon Beaulieu, conscient de l'euphémisme. «On en a mis; on en a enlevé. À la fin, Pauline est devenue la trame sonore du film.»

La renarde et le mal peigné... Pendant 30 ans, jusqu'à ce que la mort les sépare, ils ont marché ensemble vers le «pays de la prochaine fois» ...