En 1993, Juliette Binoche obtenait le prix d'interprétation féminine de la Mostra de Venise grâce à Trois couleurs: Bleu. Trois ans plus tard, The English Patient lui a valu le prix équivalent à la Berlinale. Le laurier reçu en 2010 à Cannes pour Copie conforme en a fait l'une des rares actrices à avoir été primées dans les trois plus grands festivals de cinéma compétitifs du monde. L'inoubliable interprète de Rendez-vous, le film d'André Téchiné qui l'a révélée au monde dans les années 80, parcourt le circuit festivalier de long en large depuis maintenant plus de 30 ans. À titre de présidente du jury de la 69e Berlinale, Juliette Binoche sait pertinemment que le palmarès qu'elle établira avec les cinq autres membres sera contesté. Forcément.

«Oui, et après? a-t-elle lancé en riant au cours d'une rencontre de presse à laquelle La Presse a pu assister, hier. Dès notre première rencontre, j'ai tout de suite dit à mes collègues que nous aurons peu d'amis et beaucoup d'ennemis! Ayant déjà fait partie de ce genre de compétition à maintes reprises, il faut prendre ce genre de chose exactement comme ce qu'est la vie : parfois tu gagnes, et parfois pas. On ne peut jamais savoir si le vent viendra de la gauche ou s'il tournera à droite. J'ai parfois été très surprise de gagner et à d'autres moments, j'ai été étonnée de ne pas avoir le prix. Ça fait partie du jeu!»

Élever les consciences

Dix-sept longs métrages sont en lice pour l'Ours d'or cette année, parmi lesquels Répertoire des villes disparues. Le nouveau film de Denis Côté sera d'ailleurs présenté à Berlin en primeur mondiale aujourd'hui même. De par sa position historique, la Berlinale a toujours été reconnue pour sélectionner des films à teneur politique et sociale. Fondé sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, le festival de Berlin a longtemps fait le pont entre le cinéma occidental et celui issu de l'Europe de l'Est. Le Mur est tombé il y a 30 ans, et avec lui plus de 40 ans de guerre froide, mais il reste quand même ici une sensibilité particulière à cet égard. D'autant que la montée des extrémismes un peu partout est en train de chatouiller de vieux démons.

«Il est important de se concentrer sur ce qui se passe maintenant. Le festival de Berlin s'est toujours fait un devoir de monter une programmation constituée de films politiques et d'oeuvres qui aident à élever les consciences. C'est très spécifique à cet événement», estime Juliette Binoche.

«Le film qui aura l'Ours d'or ne sera peut-être pas le plus accompli sur le plan cinématographique, mais il évoquera, peut-être, un sujet très important pour notre époque. Cela dit, ma voix n'est pas préférentielle aux autres. Nous serons six à voter et chaque vote a la même valeur. Ce sera donc un vote collectif, et je peux vous dire que même si nous sommes des personnes très différentes l'une de l'autre, que nous ne partageons pas toujours les mêmes opinions, il y a beaucoup d'écoute. Notre état d'esprit est harmonieux. Et nous n'allons rien voir dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Nous ne voulons pas être influencés par quoi que ce soit.»

Précisons que Juliette Binoche préside un jury duquel font aussi partie l'actrice allemande Sandra Hüller, la productrice britannique Trudie Styler, le cinéaste chilien Sebastián Lelio, le journaliste américain Justin Chang et Rajendra Roy, curateur du département de cinéma du MoMA.

Avancée pour les femmes

L'actrice voit aussi comme une avancée le fait que 7 des 17 films en lice sont réalisés par des femmes - une représentation jusqu'ici inédite dans la compétition d'un grand festival -, mais elle prévient cependant que le genre du cinéaste ne sera pas du tout un critère.

«Je veux être impartiale. C'est avant tout une question de sujet, de la façon dont on l'aborde, et de l'impact émotif qui en découle.»

En plus de présider le jury, Juliette Binoche a accompagné la présentation de Celle que vous croyez, présenté ici hors concours. Dans ce film de Safy Nebbou (L'empreinte de l'ange), l'actrice incarne avec brio une femme dans la cinquantaine qui, plutôt que de devenir «invisible», s'invente une nouvelle identité sur les réseaux sociaux - une jeune femme de 24 ans - et se laisse prendre au piège de l'amour avec un jeune homme (François Civil). Mettant aussi en vedette Nicole Garcia dans le rôle d'une psy, Celle que vous croyez a été acheté par Axia Films pour une future distribution au Québec.

Bel accueil pour Une colonie

Cette projection d'Une colonie était belle à voir. Pas un seul - ou presque - des 1018 sièges que compte la salle de la Haus der Kulturen der Welt (Maison des cultures du monde) n'était libre. Les images du film de Geneviève Dulude-De Celles, serties de sous-titres anglais et allemands, ont eu droit à un accueil attentif, ponctué parfois de rires plus inattendus. Deux salves d'applaudissements nourris se sont fait entendre quand est apparu le générique de fin. Après la projection, toute l'équipe est montée sur la scène pour un échange avec le public, auquel ont d'ailleurs participé beaucoup de jeunes spectateurs. Rappelons qu'Une colonie est en compétition à la Berlinale dans la section Génération Kplus, réservée à des thématiques liées aux adolescents. Flanquée des trois acteurs principaux du film, Émilie Bierre, Jacob Whiteduck-Lavoie et Irlande Côté, la réalisatrice s'est aussi prêtée à une séance de signatures d'autographes fort courue.

«Ça dépasse mes attentes, a déclaré Geneviève Dulude-De Celles, tout de suite après la projection. Je ne m'attendais pas du tout à être reçue comme ça, avec le traitement très glamour, le tapis rouge, tout ça. Et ce public allemand au rendez-vous. Quand les spectateurs sont venus me voir après, plusieurs d'entre eux m'ont dit s'être reconnus dans ce personnage, même des adultes à qui cela rappelait des sensations de leur adolescence. J'ai entendu ce genre de choses au Québec, mais de l'entendre ici, ça résonne autrement!»

Melvil Poupaud se souvient de Laurence Anyways

Lors d'un entretien accordé à La Presse, Melvil Poupaud a révélé que son rôle dans Grâce à Dieu, de François Ozon, ne lui avait pas demandé d'efforts particuliers. À titre d'acteur, il pouvait facilement ressentir les émotions de son personnage, victime d'agression sexuelle par un prêtre dans son enfance. En revanche, il affirme que son personnage dans Laurence Anyways, de Xavier Dolan, un homme qui veut changer de sexe, a été l'un des plus difficiles à incarner. «Ce fut un cap dans ma carrière, a-t-il déclaré. J'ai eu la chance inouïe de rencontrer un cinéaste encore tout jeune et en pleine maîtrise. Mais ce fut très difficile à jouer. Le tournage a été long et il faisait très froid en robe! Xavier est aussi très exigeant. Comme il est aussi très bon acteur, il y avait le défi pour moi d'être à son niveau. En plus, je n'étais pas chez moi. Je me suis retrouvé un peu isolé dans un monde très dolanien, avec ses meilleurs amis, bref... Mais je suis heureux que ce film soit resté. Encore aujourd'hui, pas un jour ne passe sans que quelqu'un vienne me dire à quel point ce film a compté dans sa vie!»

«L'affaire» Liam Neeson

En s'amenant à Berlin pour présenter en compétition officielle Out Stealing Horses (un très beau film avec, notamment, Stellan Skarsgård), Hans Petter Moland se doutait bien qu'il allait devoir commenter «l'affaire» Liam Neeson. Aux yeux du cinéaste norvégien, la vedette de Cold Pursuit, dont il signe la réalisation, n'a strictement rien d'un raciste. «Je le sais par expérience, a-t-il déclaré au Hollywood Reporter. Mais il est extrêmement honnête, parfois à son détriment.» Rappelons que l'acteur, dont on peut voir la photo sur plusieurs affiches de la ZDF, partenaire médiatique de la Berlinale, a enflammé les réseaux sociaux la semaine dernière à cause d'une confidence faite au cours d'une entrevue accordée à The Independent, laquelle faisait écho à une pulsion raciste survenue il y a 40 ans. Il a aussi ajouté en avoir été «horrifié».

Stéphane Lafleur en toute discrétion

Croisé à la faveur de la projection officielle d'Une colonie, le film de Geneviève Dulude-De Celles dont il signe le montage, Stéphane Lafleur a indiqué ne pas avoir encore de projet de film précis en vue. «Je suis dans les balbutiements d'une écriture de scénario, indique-t-il. Depuis Tu dors Nicole, la musique a pris beaucoup de place avec le band [Avec pas d'casque], même si c'était un passe-temps au début. Et puis, j'apprends beaucoup en montant les films des autres. Être monteur te donne un siège privilégié, car tu as alors accès à toutes les images. Tu peux voir ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins bien. J'aime aussi changer de chapeau et passer de scénariste à réalisateur, d'auteur-compositeur à monteur. Je n'ai pas assez d'idées pour faire un film chaque année!» Rappelons que Stéphane Lafleur a aussi signé l'an dernier le montage de La disparition des lucioles, de Sébastien Pilote.