Alors qu’une dalle de béton s’écroule sous un mystérieux tas de terre au Parc olympique, le film L’empire Bo$$é arrive sur nos écrans avec un survol du Québec inc. des 40 dernières années. Survol où rires et indignation se fondent autour d’un thème : l’émergence de l’entrepreneuriat québécois ne s’est pas réalisée sans tache. Loin de là !

Si Guy A. Lepage était à la tête d’une grande entreprise, celle-ci n’aurait aucune sorte de lien avec un régime politique comme celui du colonel Kadhafi.

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« Dans mon éthique de compagnie, il n’y aurait pas eu de deal ou même de rencontre avec Kadhafi », dit l’animateur, auteur et acteur qui, pour une troisième fois, devient comédien pour le grand écran.

Cette fois, Lepage incarne Bernard Bossé dans le film L’empire Bo$$é qui retrace, par la fiction et le faux documentaire, les 40 dernières années de la vie économique du Québec, caractérisées par l’émancipation d’entrepreneurs francophones.

Une évolution qui ne s’est pas faite sans travers. En fait, L’empire Bo$$é est comme un grand bol où l’on a mélangé éphémérides économiques et politiques assaisonnées de copinage, de rumeurs de corruption et d’échanges plus ou moins licites de bons procédés. Le tout à travers les yeux de Bossé, un « self made man » devenu un des hommes les plus riches de la province sur le dos de Monsieur et Madame Tout-le-monde et de son entourage qui n’y voit que du feu.

Geste de colère que ce film ? « C’est plutôt un constat, indique Guy A. Lepage en entrevue. La colère est quelque chose de spontané, alors que dans ce film, ce que les auteurs avaient à dire est très réfléchi. Autant les auteurs (Yves Lapierre, Luc Déry, André Ducharme) que le réalisateur, Claude Legault et moi partageons la même indignation. »

Et indignation, il y a. Dans toutes les entrevues faites pour ce film, on a autant parlé de technique et des personnages que des événements qui ont nourri la rédaction du scénario.

« Les jeunes d’aujourd’hui, en raison de l’information qui circule, ont une façon de percevoir le monde beaucoup plus exacte que nous l’avions. À cet égard, on évolue. Mais par contre, quand je regarde le Plan Nord, je trouve qu’on n’évolue pas du tout », dit par exemple Claude Desrosiers.

« Parfois, je deviens extrêmement agressif face à ces gens-là, dit Claude Legault au sujet des bandits à cravate. Je trouve qu’ils ont la vie trop facile. Nos lois sont molles. Et j’ai l’impression qu’elles ne sont pas endurcies parce que les politiciens ont eux-mêmes peur de se faire pogner. Jusqu’à maintenant, les commissions n’ont rien donné. Moi, c’est des enquêtes que je veux. Qu’on donne l’argent aux enquêteurs et des pouvoirs aux procureurs pour mettre ces gens-là en dedans. »

À l’anglaise
Lorsqu’on lui demande de qualifier son film, Claude Desrosiers déclare : « C’est une comédie sur la corruption teintée d’humour britannique. Il y a un côté retenu, quelque chose de flegmatique là-dedans. »

En ce sens, ajoute le réalisateur, Guy A. Lepage a été d’une grande générosité en incarnant Bernard Bossé.

« La qualité première de Guy est son ouverture, dit-il. Il s’est abandonné dans cette forme de jeu qui n’est pas naturelle pour lui. Guy est davantage proche du sketch, une représentation grossie des situations (la famille Slomeau, par exemple). Alors qu’ici, nous sommes dans une forme plus “straight”, précise et sérieuse. Il avait tout à perdre de faire quelque chose qui est loin de lui. Et il a accepté ce défi. »

Guy A. Lepage renvoie l’ascenseur. « On savait dès le départ où on allait avec une totale confiance dans le réalisateur, dit-il. Ce que j’ai remarqué dans n’importe quel film ou pièce de théâtre que j’ai vus dans ma vie, c’est que tu acceptes le niveau de jeu proposé si tout le monde le fait. À partir de là, on t’a offert une vision cohérente du texte. À toi, après, de dire si tu as aimé ça ou non. Et ce film est très cohérent. Tout le monde joue dans le même ton. Je déniche facilement ceux qui tirent la couverte vers eux et j’haïs ça. Dans le film de Claude, je ne l’ai pas trouvé. Ou il n’existe pas, ou c’est moi (rires). Mais non, je ne l’ai pas tirée… »

Et qu’est-ce qu’on lirait sur l’épitaphe de Bernard Bossé ? « Il fut le Québécois le plus riche et le plus corrompu de notre époque », dit Claude Desrosiers en riant. « L’argent achète tout sauf l’amour, l’amitié et le respect », répond un Guy A. Lepage plus sérieux. À l’image du film, les visions des deux hommes se complètent.