C'est la pire chose qu'une mère puisse imaginer. La mort de son enfant. Ce drame, le personnage qu'incarne Julia Roberts dans Secret in Their Eyes de Billy Ray le vit de la pire des façons. Jess Cobb est détective. Elle arrive sur une scène de crime. Une jeune femme a été violée, tuée. Et jetée dans une benne à ordures. Cette jeune femme est sa fille.

«Le personnage était écrit de façon tellement claire dans le scénario que la plus grande partie de ma préparation a été de déterminer à quoi Jess ressemblait au début et à quoi elle ressemblait 13 ans plus tard, puis de construire ma performance autour de ça», a indiqué la comédienne qui, la semaine dernière, a rencontré les journalistes par très petits groupes (chose rarissime pour les stars de son envergure) dans un hôtel de Santa Monica.

Treize ans. C'est le temps qui sépare le meurtre de Caroline du retour à Los Angeles de l'agent du FBI Ray Kasten (Chiwetel Ejiofor), ancien collègue de Jess et de la procureure Claire Sloan (Nicole Kidman), persuadé qu'il a retrouvé l'homme ayant commis le crime. Celui-ci avait été appréhendé à l'époque. Et libéré, parce qu'il servait d'indic à un autre agent. Grâce à lui, une cellule terroriste pouvait être démantibulée. Coupable ou pas, l'homme avait ainsi été protégé. Avant de disparaître.

«Il fallait trouver le moyen de transposer aux États-Unis la situation campée dans le film original. Dans quelle circonstance politique le gouvernement en viendrait-il à protéger quelqu'un qui a commis un viol et un meurtre? Ma réponse se trouvait dans les mois qui ont suivi les attentats de 2001», fait Billy Ray (scénariste de Captain Phillips) qui a eu la mission d'adapter à un contexte américain le drame argentin El Secreto de Sus Ojos.

Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2009, ce film de Juan José Campanella se déroulait pendant la «guerre sale», alors que, sous un régime corrompu, des criminels ont échappé à la justice, et 25 ans plus tard. Secret in Their Eyes est pour sa part campé dans l'après-2001 - «La peur était telle, alors, que nous étions prêts à laisser tomber nos droits civils si c'était le prix à payer pour la sécurité», poursuit le réalisateur - et 13 ans après.

Changement de sexe

Autre changement majeur: là où El Secreto de Sus Ojos suivait un homme dont la femme était assassinée, Secret in Their Eyes met en scène une femme qui a perdu sa fille.

En fait, quand Julia Roberts a reçu le scénario, c'était encore le cas. Mais le document était accompagné d'une note laissant la porte ouverte. Pourquoi ne serait-ce pas une femme dont la femme serait assassinée? «Je trouvais l'idée intéressante et très XXIe siècle», lance Julia Roberts. Puis, à mi-chemin de sa lecture, elle a pensé qu'il fallait vraiment que tout le monde soit derrière Jess, que tout le monde s'identifie à elle dans ce qui lui arrive et dans ce qu'elle fait.

Cette résonance plus vaste, universelle même, se trouvait dans le meurtre d'un enfant. Puisque «même si on n'en a pas, on en a été un. Impossible, dans ce cas, de ne pas comprendre et sentir son deuil. Et de la comprendre permet de la croire».

Et on y croit d'autant plus facilement que les retours en arrière montrent la complicité de la mère et de la fille, qui est incarnée par Zoe Graham - un choix fabuleux tant elle ressemble à Julia Roberts, en silhouette et en énergie.

Le sentiment de perte, à partir de ce moment, est d'autant plus grand. Pour les spectateurs qui regardent comme pour celle qui joue. Julia Roberts s'est mise à nu pour interpréter cette partition. Nu, le visage où le maquillage ne servait qu'à tirer les traits, accentuer les cernes, affadir la peau jusqu'à la rendre grisâtre. Nu, le regard qui ne contient que du vide, de la perte.

Encore vivante, mais morte à l'intérieur.

Derrière cette transformation se trouvent les mots et conseils de Daniel Moder. Au boulot, le directeur photo du film. À la vie, le mari de Julia Roberts, le père de leurs trois enfants.

Mise à nu

«Je commençais à paniquer avec ce saut dans le temps de 13 ans et il m'a dit: «Souviens-toi d'une chose, d'un moment. Chiwetel joue celui qui a été ton ami, ton grand ami, et il ne t'a pas vue depuis 13 ans quand tu pénètres dans le bureau où il se trouve. Il ne peut y avoir aucun doute quand il te voit. Il ne peut pas penser une seconde que tu ressembles à ça parce que tu es malade. Il y a une ligne directe, très claire, entre ce qui s'est passé ce jour-là dans un parking et la personne qu'il a devant les yeux aujourd'hui.» »

Encore vivante, mais morte à l'intérieur.

Ce conseil a permis à l'actrice de ne pas s'appuyer sur «ces trucs d'acteur un peu cons». Et d'ironiser sur les souvenirs d'enfance, la mort du chat chéri, la nuit blanche et les pleurs, etc. Mais peut-être n'avait-elle pas besoin de ces «conneries»: ce tournage s'est fait pendant que sa mère mourait du cancer à l'hôpital.

«Elle allait régulièrement lui rendre visite et parfois, sur le plateau, on la voyait dans les bras de Danny, qui la soutenait et l'épaulait dans l'épreuve», se souvient le producteur Mark Johnson.

Et, le tournage se faisant à Los Angeles, à retomber sur ses pieds le soir venu, à la maison, avec les enfants. «Et avec Danny, qui est très présent. Quand je ne suis pas là, c'est seulement un petit élément de notre cellule qui est absent. Mais... j'aime croire que cet élément est tout de même important.»

Elle éclate alors de rire. Magnifique d'assurance paisible. Heureuse. Troublant quand, quelques heures plus tôt, on l'a vue à l'écran, morte vivante dans la peau de Jess. Preuve que jouer n'est pas un jeu.

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Secret in Their Eyes (Dans ses yeux) prend l'affiche le 20 novembre.

Les frais de voyage ont été payés par Les Films Séville.