Au terme d'une entrevue fascinante, Jean-Claude Labrecque répond à une question sans doute trop large en deux courtes phrases remplies de sagesse.

Après 50 ans de carrière, qu'est-ce que le cinéma pour vous? «Le cinéma m'a aidé à apprendre à vivre. Et à devenir meilleur», répond-il.

On s'étonne un instant de cette réflexion plus philosophique que professorale. Mais Labrecque s'empresse d'apporter un éclairage juste et dosé, digne du grand directeur photo qu'il est, à sa réponse, revenant sur son parcours de jeunesse où, en dépit des écueils et des pièges, il a su prendre le bon chemin.

«À 17 ans, orphelin et vivant seul dans une chambre de la rue Laval à Québec, j'avais tout ce qu'il faut pour devenir un vrai bum, dit ce fils unique à qui les Rendez-vous du cinéma québécois rendront hommage samedi. Mais la photographie me touchait.»

Chaque jour, lorsqu'il se rendait à l'école, Labrecque passait devant la façade de la boutique de photo Lefaivre et Desroches, dans Limoilou. «Les propriétaires changeaient la présentation deux fois par semaine. Un jour, je suis entré en demandant s'ils avaient besoin d'un photographe. Ils m'ont répondu non, mais qu'ils avaient besoin de quelqu'un pour envelopper et envoyer les photos. J'ai accepté. Petit à petit, ils m'ont tout montré. Ce fut mon école de base.»

Tout en faisant ses premières armes en photographiant des mariages, Labrecque rêve d'entrer à l'ONF. Ce qui survient au début des années 60. D'assistant, il grimpe les échelons rapidement. En 1963, il est directeur photo du film Un jeu si simple de Gilles Groulx, documentaire sur le hockey et le Canadien de Montréal. Trois ans plus tard, il signe le documentaire 60 cycles, son premier film à titre de réalisateur.

Depuis cinq décennies, ça ne s'est pas arrêté. Labrecque a mis sa griffe sur plusieurs classiques du cinéma québécois à titre de directeur photo (À tout prendre, La vie heureuse de Léopold Z, Entre la mer et l'eau douce) et sur d'autres comme réalisateur (La visite du général de Gaulle au Québec, Les smattes, Les Jeux de la XXIe Olympiade, L'affaire Coffin).

Deux constantes

Deux constantes jalonnent ce parcours: l'homme et l'histoire.

«Je suis très attaché à l'homme, dit-il. En même temps, je suis en pâmoison devant l'histoire, surtout celle qu'on ne connaît pas.»

Cette ligne de pensée l'a amené à faire trois films sur La nuit de la poésie. Quant aux individus, Labrecque leur a consacré de nombreux documentaires. Pensons à Marie Uguay, Claude Gauvreau, Claude Léveillée, Félix Leclerc, André Mathieu, Bernard Landry, Gaston Miron, etc.

«Filmer une tête de personnage, c'est comme photographier un pays, philosophe-t-il. La tête de Leclerc, celle de Marie Uguay, ce sont des pays en soi.»

Critique envers lui-même, il lui arrive de terminer un projet en se disant qu'il aurait pu s'y prendre autrement, qu'il manque quelque chose, qu'il referait le montage. Mais il sait en contrepartie reconnaître la valeur de ce qu'il a légué à ce jour au cinéma québécois.

«Ce dont je suis le plus heureux est que mes films vieillissent bien, lance-t-il. Prenez l'Histoire des trois (1990), qui portait sur trois étudiants partis faire le siège du bureau de Maurice Duplessis en 1958 pour obtenir l'éducation gratuite. C'est encore d'actualité aujourd'hui!»

Maria Chapdelaine

En complément à l'hommage qui lui sera rendu samedi, M. Labrecque présentera aux RVCQ son plus récent film intitulé Sur les traces de Maria Chapdelaine. Essai documentaire, le film de Labrecque revient sur le tournage réalisé en 1934 à Péribonka par le réalisateur français Jean Duvivier avec Madeleine Renaud et Jean Gabin. Duvivier fut le premier à adapter au cinéma le roman de son compatriote Louis Hémon.

«Au départ, je savais que la recherche serait difficile parce que ça s'est passé il y a 80 ans, raconte le cinéaste. Alors, avec la recherchiste Nancy Marcotte, j'ai joué au grand "quêteux", allant de porte en porte pour savoir si des gens avaient de vieilles photos du tournage dans leurs albums de famille.»

Heureuse initiative, car ils ont ainsi découvert quatre bobines de film de 16 mm tournées sur le plateau de Duvivier. Des extraits de ce making of amateur et avant la lettre retrouvent une vie à travers Sur les traces de Maria Chapdelaine.

Âgé de 76 ans, Jean-Claude Labrecque se dit «un peu gêné» de cet hommage, car il veut encore faire d'autres projets. Mais il n'entend pas bouder son plaisir pour autant. «J'ai bien hâte de voir comment ça va se passer», dit-il, une lumière dans les yeux.

Une collaboration RVCQ/ONF, l'hommage a lieu samedi à 15h au Bistro SAQ de la Cinémathèque québécoise. Sur les traces de Maria Chapdelaine sera projeté le même jour à 16h à la salle Claude-Jutra.