Le réalisateur Martin Provost ne l'avait pas tout à fait prévu comme cela, mais Violette pourrait très bien être la deuxième partie d'un diptyque amorcé avec Séraphine.

Q L'artiste peintre Séraphine de Senlis il y a cinq ans, Violette Leduc aujourd'hui. Vous semblez être attiré par les artistes dont les destins sont parsemés de difficultés...

R Il y a certainement une communauté d'esprit entre Séraphine et Violette. Même si ce n'était pas le cas au moment du tournage, j'y vois un diptyque, en effet. Au départ, mon idée était de faire une trilogie avec un portrait d'artiste peintre, d'une écrivaine, et ensuite d'une musicienne. Comme je n'ai pas trouvé cette musicienne inconnue dont l'oeuvre m'aurait bouleversé au point de vouloir y consacrer un film, je vais maintenant passer à autre chose.

Q Quel est l'aspect du destin de Violette Leduc qui vous a poussé à vouloir lui consacrer un film?

R La difficulté. Je ne connaissais pas du tout l'oeuvre de Violette au moment où l'auteur René de Ceccatty m'a parlé d'elle. C'était en 2007. J'ai été bouleversé. Violette était une femme modeste qui n'avait pas accès au monde auquel elle voulait appartenir. Et qui y est parvenue, à sa façon. Si Séraphine de Senlis était touchée par la grâce, Violette Leduc, elle, a dû faire face à de nombreuses épreuves. C'était difficile de s'imposer en littérature à l'époque, surtout en tant que femme. Ça l'est toujours autant, d'ailleurs. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas voulu me lancer dans le biopic traditionnel, mais plutôt aborder cette histoire sous l'angle précis de la création. Dans le cas de Violette, les difficultés et les contraintes ont été des moteurs.

Q Même si Violette Leduc aurait assurément voulu que l'amour qu'elle portait à Simone de Beauvoir soit réciproque, il reste que cette relation entre les deux femmes a été très féconde. Et s'est étalée sur le parcours d'une vie...

R J'ai souhaité faire de cette relation le fil conducteur du film. Je ne vois pas Simone comme une manipulatrice du tout. Elle était d'une intelligence extrême et elle a bien senti qu'il était important que Violette écrive. Elle a aimé Violette comme un «père», si j'ose dire. Avec cette distance bienveillante qui a fait que l'écrivaine a pu accoucher de son oeuvre.

Q Dans l'entourage de Violette, de grands contemporains, parmi lesquels Albert Camus, Jean Genet, Jean-Paul Sartre. De telles figures mythiques pourraient-elles émerger dans le monde de la littérature aujourd'hui?

R Cela me semble peu probable. C'est la même chose en politique. Où sont les grandes personnalités politiques aujourd'hui? Où sont les grands intellectuels? Les grands penseurs? Ils sont là, très certainement, mais on ne les voit pas, on ne les entend pas. On ne les met plus en avant. Les vedettes médiatiques ont pris toute la place. L'argent est devenu la seule valeur fondamentale. Est bon ce qui se vend, ce qui rapporte. Point. Tout le reste a désormais moins de valeur. La poésie est disparue. Les poètes qui résistent publient maintenant à compte d'auteur. On est dans la grande confusion. Et, pardonnez-moi de le dire, mais je crois que les médias, toujours à la recherche du profit, ont une grande part de responsabilité dans cette confusion.»

Q Emmanuelle Devos étant plutôt liée au cinéma français contemporain, son nom ne nous vient pas obligatoirement à l'esprit quand on évoque un personnage à caractère historique. Or, c'est elle que vous vouliez et personne d'autre. Pourquoi?

R Parce qu'Emmanuelle est une grande actrice et, surtout, une actrice que j'aime. Je savais qu'elle serait formidable. Dès notre première rencontre, j'ai su que ça fonctionnerait entre elle et moi. Je me suis aussi beaucoup inspiré d'Emmanuelle pour l'écriture du scénario.

Q Par où commence-t-on si on veut se familiariser avec l'oeuvre de Violette Leduc?

R Je vous suggérerais de faire ce que j'ai fait. Commencez avec La bâtarde, son livre le plus connu. On en retrouve certains aspects dans le film, d'ailleurs. Ensuite La folie en tête, La chasse à l'amour. Après cette trilogie, allez vers les premières oeuvres: L'asphyxie et L'affamée. À l'occasion de la sortie du film, plusieurs oeuvres de Violette Leduc sont rééditées. Je suis content pour elle!