Reconnu comme un «homme de peu de mots», Roy Dupuis s'enflamme pourtant dès qu'il est question de cinéma, d'environnement et de justice sociale. Être acteur, c'est aussi se nourrir du monde qui nous entoure.

Vingt-cinq ans qu'il incarne l'idéal masculin québécois à l'écran. Dans toutes ses différences et ses diversités. De la même manière qu'il peut imposer son autorité à l'écran avec une grande économie de moyens, comme dans le très beau Roche Papier Ciseaux par exemple, Roy Dupuis sait très bien qu'il n'a pas besoin d'y aller de grandes sorties publiques pour se faire comprendre. Il est Roy Dupuis. Pas besoin d'en rajouter.

Son engagement social, notamment pour la cause environnementale, est bien connu. Le climat d'ébullition dans lequel a baigné le Québec l'an dernier n'a évidemment pas laissé indifférent cet homme dont le coeur est placé à gauche. «Le printemps érable est à mon sens beaucoup plus significatif que ce que certaines personnes, et certains médias, ont bien voulu le laisser croire, dit-il. Il s'est passé chez nous quelque chose de très important. Et j'ai l'impression que c'est loin d'être fini. Je crois même que les gens sont encore tous sur le bord de leurs balcons!»

Président et porte-parole de la Fondation Rivières, une organisation vouée à la préservation des cours d'eau, l'acteur connaît bien la difficulté de mobiliser une population. Aussi a-t-il été impressionné par le nombre de Québécois qui sont descendus dans la rue l'an dernier pour faire entendre leur insatisfaction.

«Vous vous rendez compte? demande-t-il. Plus de 200 000 personnes dans la rue pour une seule manifestation? C'est comme si tout s'était cristallisé d'un coup et que les gens étaient tous sortis ensemble spontanément. J'y vois un signe très encourageant. J'ai d'ailleurs toujours tendance à voir l'aspect plus positif des choses. Quand des gens me disent qu'il ne sert à rien de militer pour la cause environnementale parce que le mal est déjà fait et qu'il est déjà trop tard, je réponds que c'est simplement une justification pour ne rien faire. Des solutions, il y en a. On peut faire quelque chose. Rien n'est encore irréversible.»

L'influence amérindienne

À ses yeux, la société québécoise est l'une des plus démocratiques du monde. Il loue l'influence des Amérindiens à cet égard.

«Les ancêtres des Québécois francophones viennent de France, mais j'ai l'impression que notre conception de la vie et notre vision du monde ont été beaucoup plus influencées par la culture amérindienne, fait-il remarquer. En tout cas davantage que ce que l'éducation catholique et les institutions officielles nous ont enseigné. En France, la société est encore très hiérarchisée. Je me rappelle que le chauffeur qu'on m'avait assigné sur une production européenne était ému aux larmes quand je l'ai invité à ma table! Il m'a dit que jamais cela n'arrivait sur les plateaux français. Chez nous, ces divisions hiérarchiques n'existent à peu près pas. Les Amérindiens ont eu une grande influence sur ce que nous sommes, notre façon de vivre, notre philosophie, notre vision de la politique et du pouvoir. Ce sera d'ailleurs là le sujet d'un documentaire auquel je participerai bientôt, un peu sur le modèle de Chercher le courant

Une exigence

Si le citoyen est très actif, l'acteur l'est tout autant. Dans la discussion actuelle à propos du cinéma québécois, Roy Dupuis se range résolument du côté des créateurs.

«Il faudra toujours défendre le cinéma d'auteur, dit-il. C'est de ce côté-là qu'on prend des risques, qu'il y a de la nouveauté, que la créativité s'exprime, qu'on trouve plus de poésie et de profondeur. C'est bien de se poser des questions et de rester alerte, mais il ne faut quand même pas virer fou parce que certains films ont connu moins de succès l'an dernier. Personnellement, je ne me pose jamais de questions à propos du potentiel commercial d'un film, ni même de sa qualité à l'arrivée. Ce n'est pas mon job.»

Invité à préciser sa pensée, Roy Dupuis explique qu'il est simplement à la recherche de «belles histoires». Il souligne aussi sa capacité à détecter s'il peut trouver son compte ou pas dès qu'il commence à lire un scénario.

«Quand je suis entré à l'École nationale de théâtre, je ne connaissais rien de la culture. C'est là que j'ai fait la rencontre de bons auteurs et que j'ai découvert de très grands textes. Je suis sorti de là plus exigeant. Aujourd'hui, je ne veux plus jouer pour simplement jouer. Il faut que j'adhère à l'histoire qu'on raconte, même si le rôle est moins important. Et puis, il faut aussi que l'écriture appartienne vraiment au cinéma. Cela devient de plus en plus rare, car on la distingue de moins en moins de celle de la télé.»

À l'aube de la cinquantaine, Roy Dupuis est aujourd'hui en pleine possession de ses moyens. Si l'action citoyenne est bien présente dans sa vie, il ne se voit quand même pas franchir le pas et jouer un rôle politique. «On m'a déjà approché, c'est-à-dire qu'on a tâté le terrain, mais même si on ne peut jamais dire jamais, je suis très loin de ça. Je n'ai jamais été à l'aise avec les discours», conclut-il avec un grand sourire.

Un repris de justice dans Cyanure

Dans Cyanure, un film suisse de Séverine Cornamusaz (coproduit avec la société québécoise Item 7), Roy Dupuis incarne un repris de justice qui, à sa sortie de prison, est confronté à l'image idéalisée que se faisait de lui un fils aujourd'hui âgé de 13 ans (Alex Etzlinger), qu'il n'a vu qu'une fois à sa naissance.

«Quand j'ai lu le scénario, j'ai été attiré par le fait que cette histoire, un peu lourde par définition, était racontée du point de vue de l'enfant et de ses fantasmes, explique l'acteur. J'ai ensuite vu Coeur animal, le film précédent la réalisatrice. J'ai trouvé qu'elle avait un univers cinématographique fort.»

Tout comme Coeur animal, inédit au Québec (mise à part une présentation en compétition officielle au Festival des films du monde en 2009), Cyanure est coscénarisé par Marcel Beaulieu, qui a notamment travaillé sur les scénarios d'Anne Trister, Cap Tourmente et, plus récemment, La peur de l'eau.

Seul Québécois sur le plateau, Roy Dupuis a dû emprunter l'accent français pour le rôle.

«C'est certain que l'accent est une préoccupation supplémentaire, mais l'origine du personnage n'est pas précisée dans le film, fait-il remarquer. Si ça se trouve, ce type pourrait bien être un Québécois installé en Europe depuis longtemps. Pour un acteur, le travail est le même, peu importe la nationalité de l'équipe avec laquelle il tourne. Il n'y a que les horaires qui sont différents. Ils sont beaucoup plus lousses là-dessus là-bas que chez nous. Et ils prennent le temps de bien manger!»

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Roche Papier Ciseaux est présentement à l'affiche. Cyanure prend l'affiche le 15 mars.