Grâce aux initiatives de ciné-clubs montréalais, les cinéphiles trouvent moult manières d’assouvir leur passion pour le septième art. La Presse s’est entretenue avec ceux qui réinventent ce rituel culturel. Et avec ceux qui en profitent.

Il est 19 h et ça grouille au troisième étage d’un immeuble de Villeray qui héberge des cours de taekwondo et des ateliers de samba. Les portes du ciné-club La Cenne viennent d’ouvrir, et les participants se rassemblent déjà près de la machine à pop-corn.

Né d’une envie de promouvoir les films québécois qui ont une courte durée de vie en salle, le ciné-club offre depuis 2022 des projections à bas prix accompagnées de discussions avec les créateurs des films. « Les films plus audacieux, ou plus pointus, n’ont pas le temps de trouver leur public autrement », explique Alexandre Leblanc, cinéaste, qui fait partie du comité organiseur de l’évènement avec, entre autres, ses collègues Abeille Tard et Alain Chevarier.

Tous les trois travaillent dans le domaine du cinéma et leur but est de permettre aux moins initiés d’apprécier les longs métrages. « Ça fait changement des festivals, où on se retrouve entre pairs qui connaissent ça. Là, c’est parfois du monde qui n’avait même pas nécessairement entendu parler des films qu’on projette », illustre Abeille Tard.

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Alexandre Leblanc

« Les gens se prennent d’affection pour la démarche de l’artiste et ça influence beaucoup leur perspective », ajoute son collègue Alexandre, qui précise que la sélection de films est guidée par quelques principes, dont la parité et le fait de ne pas avoir profité d’une grosse machine promotionnelle.

La force de la discussion

Madeleine Poisson et Pierre Roberge, couple d’habitués, sont absents ce soir, à leur grand désarroi. C’est la faute à la COVID-19. Le sympathique duo était tout de même enthousiaste à l’idée de nous rencontrer virtuellement pour jaser de son expérience au ciné-club de La Cenne, qu’il fréquente depuis ses débuts.

La présence d’artisans du film et la possibilité d’échanger avec eux font la grande force de cette initiative, selon Pierre Roberge, sous le charme du lieu qui lui rappelle ses années de cégep et les cercles de cinéphiles qu’il fréquentait à une certaine époque. « Un plancher qui craque, je trouve ça rassurant », dit-il.

  • Au ciné-club de La Cenne, on peut profiter de chics sièges rouges, qui servaient auparavant au Théâtre de Quat’Sous.

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    Au ciné-club de La Cenne, on peut profiter de chics sièges rouges, qui servaient auparavant au Théâtre de Quat’Sous.

  • Le 14 décembre, Emmanuel Martin-Jean, de Fragments Fugaces – initiative montréalaise qui valorise les films de famille d’antan –, était à La Cenne pour présenter des images tournées en 8 mm avant le programme principal.

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    Le 14 décembre, Emmanuel Martin-Jean, de Fragments Fugaces – initiative montréalaise qui valorise les films de famille d’antan –, était à La Cenne pour présenter des images tournées en 8 mm avant le programme principal.

  • Les participants prennent le temps de discuter avant de s’asseoir, alors qu’Alexandre Leblanc fait jouer un vinyle.

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    Les participants prennent le temps de discuter avant de s’asseoir, alors qu’Alexandre Leblanc fait jouer un vinyle.

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« Il y a peut-être un film sur deux [vus à La Cenne] qui nous aurait laissés perplexes, qu’on n’aurait pas compris. Ce sont parfois des œuvres plus difficiles d’accès et c’est vraiment incroyable ce que ça donne comme chance. Pour nous, ç’a été très bénéfique », explique Pierre Roberge.

Parmi les films découverts à La Cenne, Madeleine Poisson cite Kuessipan, de Myriam Verreault, qui lui a « chaviré le cœur », et Souterrain, de Sophie Dupuis. Lors de la projection de ce dernier, l’enseignante de formation a été « transportée » grâce à la présence de la mère de la réalisatrice, venue parler de sa réalité en tant qu’infirmière dans les mines de l’Abitibi, industrie au cœur du long métrage de fiction.

Consultez la page du ciné-club de La Cenne

Plus on est de fous, plus on en sait

Si l’échange avec les cinéastes est une valeur ajoutée profitable, celui avec les autres participants aussi. C’est ce qui est au cœur de la démarche de Sayeed Devraj-Kizuk, qui organise et anime le Ciné-club international de Montréal, rassemblant des gens de tous horizons les dimanches soir à l’Anticafé, rue Sainte-Catherine. L’initiative du Montréalais d’adoption, arrivé de l’Alberta en 2019, a surtout été motivée par un constat : plusieurs films qu’il considère aujourd’hui comme parmi ses préférés sont des longs métrages qu’il avait initialement du mal à comprendre – avant d’échanger avec d’autres cinéphiles.

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L’espace où le Ciné-club international de Montréal a lieu, au 3e étage de l’Anticafé, rue Sainte-Catherine

« Lorsque j’ai commencé à regarder des films en présence d’autres personnes, j’ai réalisé qu’un groupe qui discute a une capacité d’observation, de compréhension et d’interprétation bien supérieure à celle que je possède seul », explique-t-il.

Lors de la soirée passée en compagnie de la dizaine de curieux rassemblée à l’invitation de Sayeed, l’impact de ces discussions semblait sans équivoque. Le drame franco-indien de 2015 Maasan était au menu, suggestion de la participante Garveen Dang, d’origine indienne. Après avoir regardé le film avec attention, les personnes présentes ont échangé durant près d’une heure. Il a été question tant des qualités narratives du long métrage que des nombreux thèmes sociaux et, plus largement, de la répression et du système des castes en Inde.

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Sayeed Devraj-Kizuk

Alice Guérin La Flèche, qui enseigne le français en ligne chaque jour et dont l’Anticafé est l’espace de travail partagé, participe assidûment au Ciné-club international. Selon elle, il est essentiel de « faciliter les rencontres sociales, en particulier depuis la pandémie », et le cinéma est un art tout particulièrement fédérateur.

Consultez le site du Ciné-club international de Montréal

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Charles-Olivier Gendron, Yuan Zha et Charles Gourde

Partager une passion

Le plaisir de partager une passion avec des êtres chers explique aussi l’appétit des cinéphiles pour ce genre de soirée. Charles Gourde, diplômé en cinéma à l’Université de Montréal, fait partie de ceux qui aiment se rassembler autour d’un projecteur. Il réunit régulièrement une poignée d’amis pour regarder des films asiatiques, type de cinéma qu’ils aiment particulièrement.

Lorsque nous visitons son ciné-club informel, dans le salon d’un trois et demie du quartier Rosemont, Charles Gourde reçoit ses anciens collègues de classe Charles-Olivier Gendron et Yuan Zha. Qu’est-ce qu’on regarde ce soir ? « Le sorgho rouge, un classique chinois des années 1980, et après, Drunken Master, un film d’action avec Jackie Chan », nous annonce l’hôte de la soirée. « Ça donne une idée de l’éventail d’œuvres qu’on peut visionner », dit-il en rigolant.

  • Charles Gourde transforme son salon en salle de cinéma lorsqu’il accueille ses amis pour regarder un film.

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    Charles Gourde transforme son salon en salle de cinéma lorsqu’il accueille ses amis pour regarder un film.

  • Dans quelques minutes, les amis seront installés pour regarder un film asiatique, type de cinéma qu’ils aiment particulièrement.

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    Dans quelques minutes, les amis seront installés pour regarder un film asiatique, type de cinéma qu’ils aiment particulièrement.

  • Charles Gourde fait partie de ceux qui aiment se rassembler autour d’un projecteur.

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    Charles Gourde fait partie de ceux qui aiment se rassembler autour d’un projecteur.

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Les amis ont de la chance de pouvoir compter sur la présence de Yuan, né en Chine, qui peut approfondir le contexte culturel de l’œuvre et ponctuer la projection de précisions sur les traditions et les rituels représentés. Leurs rencontres ont même parfois un volet culinaire, car celui-ci concocte parfois des plats traditionnels chinois à déguster devant le film.

Le générique du Sorgho rouge à peine terminé, Charles, Yuan et Charles-Olivier sont déjà engagés dans une discussion animée sur les défis de regarder des films sous-titrés, les particularités du cinéma chinois, mais aussi sur les techniques de coloration, « très avancées pour 1987 », selon eux.

« On discute toujours après le visionnement, mais on ne cherche pas à décortiquer le film de manière pragmatique, précise Charles Gourde. On saute du coq à l’âne en parlant de nos impressions générales, ce qu’on a aimé et moins aimé. »

L’impétuosité de leurs interventions ne laisse aucun doute : nous avons affaire à des passionnés… qui ont déjà hâte à la prochaine découverte.