Ils sont nés en Corée du Sud, au Brésil, en Australie, au Rwanda et au Sri Lanka. Ils ont tous été adoptés. Ont tous grandi en France. Et aujourd’hui, ils se racontent.

Une histoire à soi, long métrage documentaire écrit et réalisé par Amandine Gay, en salle dès le vendredi 26 août, donne pour une rare fois le micro aux principaux intéressés en matière d’adoption. Non pas les parents adoptifs, encore moins les institutions, mais bel et bien les enfants… devenus grands. Un recul qui permet de proposer, au-delà de l’intime, un angle carrément politique au discours.

« On vient de quelque part. On est le fruit d’une histoire avant. On vient tous de quelqu’un », dira d’ailleurs l’un d’eux en analysant son parcours.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Amandine Gay, réalisatrice d’Une histoire à soi

« L’idée, c’est de montrer que l’adoption n’est pas un moment circonscrit dans le temps », explique la réalisatrice en entrevue. « Mais que ça dure toute la vie. »

Une idée dans l’air du temps, exploitée plus tôt cette année par Nicolas Ouellet dans sa websérie Tu viens d’où, puis l’an prochain par Phara Thibault dans son monologue autobiographique Chokola, sur les planches de la Petite Licorne.

Cela dure, cela habite quelqu’un toute une vie, et cela évolue aussi. Il suffit de la naissance d’un enfant (à soi), la perte d’un être proche (le parent adoptif ?), une lettre aussi (d’un parent biologique, par exemple), pour que ressurgisse le passé. Une guerre, une catastrophe naturelle, un scandale médiatique dans le pays d’origine, et l’adoption refait également « irruption », illustre la réalisatrice, pour qui cela ne fait aucun doute : « L’adoption est politique. »

Elle en sait quelque chose, Amandine Gay, ayant elle-même été adoptée, quoique « localement », comme elle dit (et non pas à l’international).

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Amandine Gay, réalisatrice

Toutes les inégalités qui existent dans l’adoption en général sont magnifiées dans l’adoption internationale.

Amandine Gay, réalisatrice

L’adoption est politique, explique-t-elle, parce qu’elle « déplace » typiquement des enfants d’un certain milieu dans un autre. Un premier milieu, plus pauvre et défavorisé, dans un second, généralement plus aisé. Un enfant du sud, vers le nord. « Mais qu’est-ce que ça donne, déplacer un enfant d’un milieu à un autre ? », s’interroge-t-elle. Quand on vient d’une favela au Brésil et qu’on grandit dans un milieu bourgeois en Europe (exemple non fictif, raconté dans le film), « comment on se rapproche ensuite de nos communautés, comment on négocie ce déplacement social ? ».

Disons qu’on est loin du fantasme des retrouvailles à la Disney.

Un film d’archives

Ces questions politiques se posent aussi au spectateur tout au long du documentaire, quoiqu’en toute subtilité. Pour cause : film d’archives au sens strict, Une histoire à soi ne compte, pour toute image, que les photos et vidéos des familles (d’hier à aujourd’hui), en plus de quelques extraits, ici ou là, d’archives médiatiques ou historiques. Comme seule narration : la voix off des protagonistes. Apparaissent ainsi, coup sur coup et sans transition (et avec très peu de musique, et exclusivement dans des moments choisis), les récits de cinq personnages distincts (Joohee, Mathieu, Anne-Charlotte, Niyongira et Céline), aux parcours aussi variés qu’uniques.

Dans ce film d’archives, on a fait le choix de ne pas montrer le participant [aujourd’hui], pour plonger [le spectateur] dans le récit de vie. L’idée, c’est de plonger dans leurs histoires.

Amandine Gay, réalisatrice

Le tout, sans tomber ni dans le pathos émotionnel ou larmoyant ni dans le sensationnalisme. Quoiqu’en abordant de front les questions de l’identité (et ce sentiment constant d’avoir « le cul entre deux chaises »), de la gratitude (et du mythe de l’enfant soi-disant « sauvé »), et de l’éternel « déracinement ».

Pour ce faire, la réalisatrice a rencontré près d’une centaine de personnes, fait quantité d’enregistrements, fouillé des montagnes de photos de familles. Au final, elle n’a gardé que cinq récits, les plus complets en matière de documents, distincts, mais néanmoins pertinents pour sa trame narrative. « L’idée, c’est qu’ils parlent d’une seule voix », relate-t-elle.

Si des personnes adoptées peuvent se reconnaître dans son film, Amandine Gay aura gagné son pari. Surtout, si le grand public peut ici vivre un moment d’empathie, ce sera encore mieux. Pour qu’un jour enfin, on en finisse avec les « t’as de la chance » et autres « on t’a trouvé où ? », si grossièrement mal placés.

À la Cinémathèque québécoise, à partir du vendredi 26 août

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