Une histoire de science-fiction transposée dans une œuvre qui ne ressemble en rien aux films de science-fiction auxquels le cinéma nous a habitués ? Voilà ce que propose Kogonada avec After Yang, drame intimiste dont les têtes d’affiche sont Colin Farrell et Jodie Turner-Smith.

À l’évidence, Kogonada est un pseudonyme. Préférant mettre en avant ses œuvres plutôt que sa personne, le cinéaste américain, d’origine coréenne, affiche quand même d’emblée ses accointances de cinéphile en choisissant un sobriquet souriant, lequel évoque la mémoire de Kōgo Noda, fréquent scénariste des films du maître japonais Yasujirō Ozu.

Régulièrement chargé par le magazine britannique Sight and Sound ou l’entreprise américaine Criterion de réaliser des essais vidéo sur des cinéastes, ou des suppléments pour des Blu-ray et DVD de collection, Kogonada propose aujourd’hui After Yang, son deuxième long métrage pour le cinéma.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Malea Emma Tjandrawidjaja et Justin H. Min dans After Yang, film de Kogonada

Ce film, adaptation d’une nouvelle de science-fiction campée dans un futur proche, écrite par Alexander Weinstein, relate la dévotion d’un père de famille pour « réparer » Yang, fidèle compagnon de sa fillette Mika, un androïde qui s’est soudainement mis à ne plus fonctionner.

Plus qu’un robot de service d’allure humaine, Yang constitue aussi un lien culturel avec les origines chinoises de cette enfant adoptée par une famille occidentale.

« La nouvelle étant très courte, j’y ai vraiment vu une possibilité de la faire mienne, explique Kogonada au cours d’un entretien en visioconférence avec La Presse. C’est un peu comme un chef cuisinier qui fait son marché en tombant sur des ingrédients qui l’inspirent et qui imagine le plat qu’il pourrait faire en les utilisant. J’étais d’ailleurs heureux de prendre un petit récit peu connu comme point de départ, contrairement à ce qui arrive parfois avec les adaptations de grands romans populaires, pour lesquels le public s’est déjà imaginé le film dans sa tête. Je préfère vraiment prendre une nouvelle et la développer ensuite à ma façon. »

Ton feutré

D’une tonalité très feutrée, toujours très douce, After Yang n’a rien du film futuriste traditionnel. Le cinéaste, qui s’est fait avantageusement remarquer il y a cinq ans grâce à Columbus, son premier long métrage, a préféré se concentrer sur le parcours d’une famille dont les membres doivent ressouder les liens, au lendemain d’un évènement imprévu.

« Je ne voulais pas d’un film de science-fiction traditionnel avec des couleurs métalliques, un arsenal technologique, des hologrammes et tout ça, précise Kogonada. J’ai plutôt fait un film dans lequel je pouvais me projeter. J’aime le genre, cela dit, et Blade Runner reste le chef-d’œuvre ultime à mes yeux. Là, je voulais proposer quelque chose de plus organique, dans un monde ayant dû faire la paix avec la nature et où la technologie se fait discrète. J’adorerais évoluer dans un univers où l’on pourrait utiliser la technologie sans qu’elle nous saute toujours au visage ! »

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Colin Farrell est la tête d’affiche d’After Yang, film de Kogonada.

La tonalité fut discutée en amont, et portée par Colin Farrell. L’acteur irlandais avait déjà travaillé sa partition avant de gagner le plateau de tournage.

Colin avait hâte de jouer son personnage et il était très engagé. Il a tout de suite donné le ton. Si tu es dans une scène avec Colin et que tu le vois jouer ces notes de jazz très douces avec autant de virtuosité, il est certain qu’il y a un effet d’entraînement.

Kogonada

Mettant aussi en vedette Jodie Turner-Smith, Malea Emma Tjandrawidjaja et Justin H. Min (l’androïde), After Yang met par ailleurs en scène une famille américaine multiethnique. Le cinéaste a souhaité faire écho à cet aspect important de l’histoire de la façon la plus naturelle possible.

« Il fut une époque, pas si lointaine, où les mariages interraciaux étaient interdits aux États-Unis, rappelle-t-il. Nous avons fait beaucoup de progrès depuis ce temps, mais on a parfois l’impression que dans certains cercles, on voudrait nous ramener 70 ans en arrière. Je persiste quand même à croire que le monde s’en va dans la bonne direction. »

Le cinéma dans l’ADN

Né en Corée du Sud, Kogonada a immigré aux États-Unis avec sa famille alors qu’il était un jeune enfant.

« Comme beaucoup d’immigrés, je dois composer avec des questions d’identité, encore aujourd’hui », confie-t-il.

Si son amour du cinéma s’est déclaré rapidement alors qu’il fréquentait les complexes multisalles, cette passion n’a pourtant réellement pris forme que lorsqu’il avait déjà atteint la vingtaine.

« Mon intérêt s’est accru à un moment où l’on s’interroge beaucoup sur le sens de la vie, avec les questions existentielles qui en découlent, ajoute le cinéaste. Les films d’Ozu, d’Edward Yang, et ceux de la Nouvelle Vague m’ont permis de comprendre à quel point le cinéma pouvait être beaucoup plus qu’un simple divertissement. »

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Kogonada était entouré de Haley Lu Richardson, Malea Emma Tjandrawidjaja et Jodie Turner-Smith lors de la première mondiale d’After Yang au Festival de Cannes, l’an dernier. Le film a été sélectionné dans la section Un certain regard. « Quand tu aimes le cinéma, Cannes, c’est La Mecque ! », avait déclaré le cinéaste.

Kogonada a aussi découvert très tardivement que son amour du cinéma était aussi… héréditaire !

« Les immigrants sont tellement occupés à se faire une vie qu’ils n’ont habituellement pas le temps pour ce genre de conversations avec leurs enfants. C’est ainsi que j’ai appris très tard que mes parents s’étaient rencontrés grâce à leur amour commun du cinéma. Je n’en savais rien jusqu’au jour où, à la maison, alors que j’étais en train de regarder un film de Jean-Pierre Melville, probablement Le samouraï ou Le cercle rouge, ma mère, qui baragouinait à peine l’anglais, s’est exclamée : “Oh ! Mais c’est Alain Delon !” J’ai dit : “Quoi ?” Jamais l’idée qu’elle puisse connaître des classiques du cinéma français ne m’avait traversé l’esprit. Je crois que la cinéphilie de mes parents est inscrite dans mon ADN ! »

After Yang prendra l’affiche en salle le 11 mars en version originale.