Sa rencontre avec Tara Emory, artiste trans et éclectique s’il en faut, a changé sa vie. Laurence Turcotte-Fraser en a fait un documentaire qui pourrait bien changer la vôtre.

La fin de Wonderland, lancé mercredi en première mondiale à Amsterdam, puis ce vendredi en première nord-américaine, dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), est le premier long métrage de Laurence Turcotte-Fraser, jeune réalisatrice montréalaise queer qui n’a pas froid aux yeux. Et qui surtout ne recule devant aucun tabou.

Son film porte en effet sur un personnage plus flamboyant que nature : Tara Emory, cheveux roses, lunettes (et poitrine) surdimensionnées, est une pionnière de la photo érotique trans sur l’internet, artiste pluridisciplinaire aux mille projets (dont une odyssée de science-fiction trans : accrochez-vous, elle bricole littéralement elle-même un film porno, à la fois audacieux, épique et… en carton), en prime aux prises avec des soucis familiaux compliqués à gérer (pensez accumulation compulsive, ça vous donne une idée du topo). Vous suivez toujours ?

Disons que de prime abord, Laurence Turcotte-Fraser, rencontrée plus tôt cette semaine dans un café du Mile End, avec ses longs cheveux noirs et ses airs de jeune fille sage, n’a pas exactement le physique de l’emploi. Mais il faut savoir qu’avant de connaître Tara Emory, il y a un peu moins de dix ans, elle était encore plus réservée. Et assurément moins affirmée. « J’ai senti que cette rencontre allait changer ma vie », se souvient la jeune femme, alors plus ou moins dans le placard.

Elle m’a fait énormément grandir dans ma quête personnelle.

Laurence Turcotte-Fraser, réalisatrice

Leur rencontre est le fruit d’un pur hasard, mais un « heureux hasard », prend soin de préciser la réalisatrice. Début 2010, un ami l’invite en effet à filmer une performance au Café Cléopâtre. Laurence Turcotte-Fraser, alors fraîchement diplômée de Concordia, ne connaît encore rien à cette contre-culture, mais tombe littéralement sous le charme (« un coup de foudre ! ») de l’une des artistes présentes… Tara Emory, star trans à l’extravagance exacerbée, par ailleurs si réservée quant à sa vie privée, bref, complexe et attachante, originaire du Massachusetts.

Religieusement, dans les années qui suivront, la jeune réalisatrice suivra l’artiste trans dans son pèlerinage annuel au Week-end Fétiche de Montréal, telle sa « paparazzi personnelle ». « Je suis vraiment curieuse : c’est quoi, ça ? Je ne comprends rien, résume-t-elle, en toute transparence. Je suis une ingénue dans ce monde complexe, fort intéressant. »

PHOTO FOURNIE PAR ARTÉMIS FILMS_LES FILMS DU 3 MARS

Tara Emory

D’où son film, donc, à l’intérieur duquel elle décortique cette dualité entre le public et le privé, révélant un vécu bien plus complexe qu’il n’y paraît (et qui n’a finalement rien à voir avec la transidentité, encore moins la pornographie) : « Toute sa vie, Tara a dû nettoyer ce que ses parents lui avaient laissé, résume Laurence Turcotte-Fraser. Une centaine de voitures. Elle a été toute sa vie dans le nettoyage, et elle a gardé en elle une portion d’accumulation compulsive. C’est à travers le film qu’elle va se guérir. »

Guérir, un peu par la force des choses, puisque son studio (une grange en location, baptisée Wonderland, clin d’œil au titre), véritable caverne d’Ali Baba, a été vendu. Et elle n’a d’autre choix que de le vider. Un exercice douloureux, aussi épique soit-il (elle a près d’une centaine de voitures de collection qui prennent la poussière, faut-il le rappeler, sans parler de tous ses perruques, ses costumes et autres décors fétichistes, dont elle doit se débarrasser), filmé avec beaucoup d’humanité.

C’est d’ailleurs le plus grand souhait de la réalisatrice : « Humaniser ces personnages qu’on voit au premier regard avec des idées préconçues, résume-t-elle. Mettre les gens plus à l’aise avec la communauté trans. Mon rêve : créer des ponts. Comme moi j’ai créé des ponts avec Tara avec le temps. » Un « pont » qui l’a « transformée », confirme-t-elle. « J’ai une admiration énorme pour Tara. Parce qu’elle est capable d’être elle-même, sans concession. […] Mon film m’a permis de m’accepter. D’être la personne que je veux être. Et la morale du film, c’est ça : on a le droit d’être qui on veut être. La vie est trop courte ! Et on sera tous plus heureux comme ça ! »

La fin de Wonderland, un film de Laurence Turcotte-Fraser, Artémis Films
Présenté le vendredi 19 novembre à 21 h au Cinéma du Musée, en présence de la cinéaste et de Tara, la protagoniste.
En ligne du 22 au 25 novembre

Consultez le site des Rencontres internationales du documentaire de Montréal