Les frontières de la province ferment. Les immigrants sans statut et les réfugiés ne sont plus les bienvenus. Des destins s’unissent, des liens improbables se tissent. Telle est la société fictive (mais réaliste) dépeinte dans Le meilleur pays du monde, deuxième long métrage du réalisateur Ky Nam Le Duc, à l’affiche le 3 septembre.

Le meilleur pays du monde est un film humain, mais aussi politique. « J’interroge notre rôle de citoyen, comment on devient Québécois et Canadien », explique Ky Nam Le Duc, joint par téléphone. Pour ce faire, il a imaginé un Québec dirigé par un gouvernement d’extrême droite. Un Québec dans lequel ceux qui ne sont pas « vraiment » Québécois n’ont plus le droit de vivre.

Trois personnages se trouvent et naviguent ensemble cette nouvelle vie qui leur est imposée : un ancien réfugié vietnamien (Nguyen Thanh Tri), un trentenaire qui ne reconnaît plus son pays (Mickaël Gouin) et un enfant dont la mère immigrante est partie sans laisser de traces (Stanley Junior Jean-Baptiste).

Le titre Le meilleur pays du monde fait penser à la célèbre expression de l’American dream, ce rêve américain qui idéalise la terre d’accueil, qui souvent nourrit la déception. L’Occident s’avère souvent cruel pour ceux qui n’y sont pas nés. Ky Nam Le Duc a d’ailleurs été inspiré pour son film par l’élection de Donald Trump aux États-Unis. « À l’époque, on était nombreux à être traumatisés, se rappelle le cinéaste. Je m’étais réveillé le lendemain en me disant que c’était un cauchemar. Et les gens disaient que ça ne pourrait pas arriver au Québec ou au Canada. »

Sans comparer les deux sociétés, Ky Nam Le Duc laisse simplement planer l’idée qu’aucune nation n’est à l’abri d’un revirement idéologique. Mais il ne s’attarde pas à dépeindre de façon concrète le parti politique au pouvoir dans son film. Ce qui l’intéresse, ce sont les conséquences que ses politiques ont sur la population.

Je ne dis pas que ça va arriver au Québec. D’ailleurs, au Canada anglais, les journalistes prennent mon film comme un fait accompli. Ils supposent que ça veut dire que le Québec est fasciste, que je dois avoir du mal à faire des films puisque je suis vietnamien !

Ky Nam Le Duc

Dans un éclat de rire, Ky Nam Le Duc nous explique qu’il doit alors rectifier le tir, expliquer que le propos n’est pas là du tout. « J’essaye de montrer que ce n’est pas juste noir et blanc, qu’il y a des gens qui peuvent être pour la fermeture des frontières, pour le fait qu’on accepte moins de gens. Je pense qu’il faut le voir, il faut avoir une réflexion là-dessus. Sinon, ça en revient à cacher ça en dessous du tapis et c’est là que c’est dangereux. »

Force de conviction

Pour lui, le cinéma doit naître de convictions. Celui qui a suivi une formation scientifique avant de faire des films raconte qu’il n’a pas choisi le cinéma « parce [qu’il] aime le cinéma », mais parce que « c’est un endroit où les gens sont convaincus et croient en quelque chose ».

C’est lors du passage de Pierre Falardeau à son école secondaire, après la projection d’Octobre, qu’il a d’abord compris cela. « J’avais 14 ans, je me souviens être sorti de là en voyant un autre monde, raconte Ky Nam Le Duc. Pierre parlait de cinéma comme d’entrer dans les ordres ; il ne fallait pas être riche, il ne fallait pas être confortable. Sa force de conviction, sa vision politique du cinéma, qui n’est pas là simplement pour nous divertir, mais nous rappeler, nous questionner sur notre québécitude, ça m’avait vraiment marqué. »

Plus tard cette même année, il a vu Yes sir ! Madame…, de Robert Morin, « un des plus beaux films faits au Québec ». « Ces deux films m’ont fait me rendre compte que les films québécois me parlaient au plus profond de moi, que ces deux cinéastes que je ne connaissais pas du tout posaient les mêmes questions qui me touchaient. »

L’effort de la diversité

Ky Nam Le Duc croit fermement en la nécessité d’avoir plus de diversité dans notre cinéma. Sa distribution est composée de visages que l’on n’est pas habitués à voir, qui forment une mosaïque culturelle représentative. « C’est une décision claire et consciente, affirme Ky Nam Le Duc. Tout le monde veut travailler avec des acteurs qui ont de l’expérience. Mais si ce n’est pas moi qui le fait, moi qui viens d’une communauté culturelle, qui va le faire ? Tu ne peux pas critiquer le manque de diversité à l’écran et, quand c’est rendu ton tour de faire un film, ne pas faire un effort. »

IMAGE FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Stanley Junior Jean-Baptiste dans Le meilleur pays du monde

Et c’est un effort « considérable » que de tourner avec des acteurs sans expérience. Il faut plus de prises, plus d’encadrement, plus d’accommodements. Stanley Junior Jean-Baptiste, par exemple, n’avait jamais été devant la caméra. Il a en fait dû être recruté en audition sauvage, par une annonce sur Facebook, à laquelle sa tante actrice a répondu.

Tu iras voir le bottin de l’UDA ; des garçons noirs de moins de 8 ans, il n’y en a pas ! Tu fais quoi dans ce temps-là ? Je ne blâme personne, mais les gens doivent comprendre que c’est vraiment plus difficile de tourner nos films. Oui, l’industrie est sensible à tout ça, mais il n’y a pas beaucoup de gestes qui sont faits.

Ky Nam Le Duc

Le meilleur pays du monde a été primé au Stockholm Independent Film Festival (meilleur film étranger), au Philadelphia Asian American Film Festival (meilleur film) et a remporté le Prix du public du Reelworld Film Festival de Toronto. Il arrive désormais dans les salles de cinéma, après un long délai causé par la pandémie. L’œuvre reste d’actualité (malheureusement ou heureusement), constate Ky Nam Le Duc.

Son cinéma en est un de dialogue. « Il ne faut pas s’attendre à plein d’explosions d’émotions. Personne ne crie. Les gens se parlent et prennent le temps de s’entendre, ce qui est de plus en plus rare », décrit-il. Alors que son œuvre montre « trois personnages qui ne sont pas enclins à s’aimer apprendre à se découvrir à s’apprécier », le réalisateur espère maintenant que « les gens vont avoir la même patience par rapport au film ».

En salle le 3 septembre en version originale française et sous-titrée en anglais