Rock Demers s’est éteint, a annoncé sa famille mardi en fin de journée. Le célèbre producteur laisse en héritage une œuvre colossale, empreinte de valeurs humanistes et appréciée partout dans le monde, réalisée au fil d’une riche carrière s’échelonnant sur six décennies.

Il s’était donné pour mission d’« aider les enfants à grandir ». Aujourd’hui, des générations de jeunes spectateurs ayant découvert le cinéma grâce à des films comme La guerre des tuques, Bach et Bottine, La grenouille et la baleine ou l’un ou l’autre des longs métrages faisant partie de la célèbre série Contes pour tous pleurent la disparition d’un homme ayant toujours eu à cœur de leur présenter des œuvres de qualité, dans lesquelles le jeune public pouvait se reconnaître.

La nouvelle de la mort de Rock Demers a évidemment suscité de nombreuses réactions. À La Presse, Serge Losique a confié sa tristesse d’avoir perdu un « très grand ami ».

« Rock est l’un des plus grands humanistes du Québec », a déclaré le directeur du Festival des films du monde de Montréal, dont le disparu fut l’un des plus fidèles alliés. « Il a toujours défendu les plus justes causes. Sa contribution à la culture du Québec est telle que j’espère qu’il aura droit à des obsèques nationales. »

Des commentaires saluant la mémoire de Rock Demers ont également circulé sur les réseaux sociaux. Le premier ministre du Québec, François Legault, a offert ses condoléances aux proches en ajoutant : « Que de beaux souvenirs. “La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal” fait maintenant partie des expressions québécoises. »

Quelques messages sur les réseaux sociaux
  • MESSAGE TIRÉ DU COMPTE INSTAGRAM _VINCENTBOLDUC

  • MESSAGE TIRÉ DU COMPTE TWITTER DE SIMON BRAULT

  • MESSAGE TIRÉ DU COMPTE TWITTER DE NATHALIE ROY

  • MESSAGE TIRÉ DU COMPTE TWITTER DE MARIE MONTPETIT

  • MESSAGE TIRÉ DU COMPTE TWITTER DE PIERRE-YVES LORD

1/5
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a tenu à rendre hommage au disparu sur Twitter : « C’est avec nostalgie que j’apprends le décès de Rock Demers. Il a su offrir des films d’une qualité exceptionnelle en donnant une voix à de jeunes personnages riches et touchants dont les histoires résonnaient fort. J’offre mes plus sincères sympathies à ses proches. »

Denis Coderre, candidat à la mairie de Montréal, s’est aussi exprimé : « C’est toute une génération qui est en deuil aujourd’hui. C’est un grand, qui savait faire rêver les plus jeunes comme les plus vieux, qui nous quitte. »

Implication immédiate

Né le 11 décembre 1933 dans le petit village de Sainte-Cécile-de-Lévrard, Rock Demers, aîné d’une famille de huit enfants, se destinait pourtant d’abord à l’enseignement. Un tour du monde de 18 mois, entrepris à la suite d’un stage en audiovisuel à Paris, l’a cependant fait changer de vocation.

« Au début de la vingtaine, j’ai eu l’occasion d’étudier en Europe », avait-il raconté au cours de l’un des nombreux entretiens accordés à La Presse au fil des ans. « À 25 ans, j’ai fait un grand voyage en autostop Paris-Tokyo. Je me suis senti chez moi partout et j’ai toujours eu la communication très facile. Ça m’a surtout donné l’occasion de constater que l’être humain est le même partout. Surtout chez les enfants ! »

Lisez « Rock Demers : l’être humain est le même partout »

De retour de son périple, le jeune homme décide de travailler dans le domaine du cinéma et se joint alors à l’équipe du Festival international du film de Montréal, dont il prend la direction en 1962. En compagnie de Guy L. Côté, il fonde l’année suivante la Cinémathèque québécoise. L’organisme du boulevard De Maisonneuve a d’ailleurs réagi à l’annonce de la mort de M. Demers en rappelant que ce dernier avait aussi présidé le conseil d’administration de 1980 à 1982, une période cruciale dans l’histoire de l’établissement.

« Rock Demers a joué un rôle majeur à la fois dans la fondation de la Cinémathèque et dans sa professionnalisation », a affirmé Robert Daudelin, directeur général de la Cinémathèque de 1972 à 2002. « Il a été présent à des périodes déterminantes de son histoire, et l’institution lui doit beaucoup. »

En 1965, Rock Demers fonde par ailleurs Faroun Films, société se spécialisant dans la distribution de films pour enfants, souvent venus de la Pologne, de la Tchécoslovaquie ou de la Hongrie, pays où l’homme a forgé de solides amitiés.

La carrière de producteur de Rock Demers commence avec Le martien de Noël, film de Bernard Gosselin qui, en 1971, a obtenu un beau succès.

Au début des années 1980, l’homme de cinéma fonde les Productions La Fête, qui se spécialise dans le créneau du film jeunesse à travers des projets de longs métrages – il devait y en avoir neuf au départ – qu’il comptait regrouper dans une série intitulée Contes pour tous. Le premier conte est La guerre des tuques, film qu’André Melançon réalise à partir d’un scénario de Danyèle Patenaude et de Roger Cantin. Le succès est tel que, 30 ans plus tard, la série comptera finalement 24 longs métrages. La société, vendue en 2015 au réalisateur Dominic James, a en tout produit 31 longs métrages, six séries et une série d’animation, lesquels ont reçu plus de 250 prix et sélections de par le monde.

Offrir des modèles différents

Quand, en 1985, le Hollywood Reporter le surnomme le « Walt Disney du Nord », Rock Demers accepte le compliment, mais tient à faire une distinction.

« Il y a quelque chose de très manichéen dans les films de Walt Disney, avait-il alors noté. Toujours cet affrontement entre le bien et le mal. Dans les Contes pour tous, nul n’est complètement méchant et nul n’est complètement gentil. »

Citoyen du monde, Rock Demers tenait en outre à offrir aux enfants des modèles différents de ceux que présentaient les films hollywoodiens. À cet égard, il a volontairement visé le public préadolescent.

« Si les jeunes ne voient que des films américains, comment en viendront-ils, à l’adolescence et à l’âge adulte, à s’identifier à des héros différents de ceux que présente le cinéma ? Être heureux, c’est difficile, mais ça s’apprend. Pour que les enfants apprennent, il ne faut pas leur cacher les côtés plus durs ou plus laids de la vie, mais leur affirmer, leur montrer surtout, qu’elle vaut la peine d’être vécue. À mon avis, voilà la seule morale acceptable. »

Au fil de sa longue carrière, Rock Demers s’est aussi occupé de mise en marché, s’est fait un temps exploitant de salle de cinéma et a présidé l’Institut québécois du cinéma (l’ancêtre de la Société de développement des entreprises culturelles). En plus des prix obtenus par les films qu’il a produits un peu partout sur la planète, des honneurs personnels lui ont été décernés. Il a reçu notamment le prix Albert-Tessier en 1987 et l’Iris Hommage à la soirée des prix Jutra (aujourd’hui le Gala Québec Cinéma) en 2003. Il a été promu au rang de Compagnon de l’Ordre du Canada en 2008.

Avec André Duchesne, La Presse