La cérémonie des Oscars, diffusée dimanche soir en direct de Union Station, à Los Angeles, a célébré une brochette de lauréats très méritants (vive Chloé Zhao, Frances McDormand et Nomadland !). Mais des discours interminables, un manque cruel de rythme, des lauréats répartis sur plusieurs continents, une quasi absence d’extraits de films, des œuvres qui ont été peu vues et une fin en queue de poisson (les meilleurs acteurs après le meilleur film ?!) ont donné lieu à une émission de télévision assez pénible. La Soirée des Oscars la plus ennuyeuse de tous les temps ? Je n’y étais pas en 1934, mais c’est possible.

Une pensée pour George Floyd

Sans animateur, la soirée a débuté avec une entrée en scène cinématographique. Regina King, actrice et cinéaste de One Night in Miami, est arrivée dans Union Station d’un pas décidé, comme si elle tournait la scène d’un film de Steven Soderbergh intitulé Oceans 21. D’emblée, elle a évoqué le climat social des derniers mois aux États-Unis. « Nous pleurons la mort de tant de gens. Si les choses s’étaient passées autrement cette semaine à Minneapolis, j’aurais échangé mes talons hauts pour des bottes de marche », a-t-elle déclaré, en évoquant le procès de Derek Chauvin, ex-policier condamné pour le meurtre de George Floyd. « En tant que mère d’un fils noir, je connais la peur avec laquelle tant de gens vivent, et ni l’argent ni la notoriété ne peut changer ça », a-t-elle dit en parlant du mouvement #BlackLivesMatter.

Zoom out

Le cinéaste Steven Soderbergh, appelé en renfort pour dynamiser la cérémonie des Oscars, avait promis qu’elle n’aurait pas l’air d’une réunion Zoom entre collègues plus ou moins célèbres. Il a tenu parole. L’ambiance plus décontractée et intime de la soirée, avec son plan de tables rondes, évoquait celle des Golden Globes. Il manquait en revanche cruellement d’extraits pour mettre en valeur les films, et le rythme faisait souvent défaut. On a présenté un court documentaire de type Vision mondiale avant de remettre un prix humanitaire, dans un décor qui ressemblait au lobby d’un Days Inn. Dans la foulée, le réalisateur de Parasite, Bong Joon-ho, a présenté depuis Séoul les cinq finalistes à l’Oscar de la meilleure réalisation. Longuement. En coréen. Avec une interprète. Je n’ose imaginer combien de téléspectateurs ont dû décrocher à ce moment précis.

#BlackLivesMatter

Les discours à saveur sociopolitique ont dominé cette soirée au cours de laquelle on ne coupait pas la parole aux lauréats avec l’habituelle ritournelle. « En moyenne, la police tue trois personnes par jour aux États-Unis, ce qui équivaut à environ 1000 personnes par an. Ces victimes sont disproportionnellement des personnes noires », a rappelé Travon Free, l’un des lauréats de l’Oscar du court métrage de fiction pour Two Distant Stangers, œuvre originale et troublante, en citant James Baldwin et en appelant tout le monde à moins d’indifférence. « Merci à nos ancêtres, qui se sont fait refuser des places, mais qui n’ont jamais abandonné », a de son côté déclaré la première lauréate noire de l’Oscar des meilleurs costumes et maquillages, Mia Neal, pour Ma Rainey’s Black Bottom. « Un jour, une femme noire trans sera sur cette scène, et ce ne sera pas inhabituel ou révolutionnaire. Ce sera juste normal. »

Des rires et des pleurs

Elle était adorable, Yuh-jung Youn, en allant cueillir son Oscar de la meilleure actrice de soutien pour le tout aussi adorable Minari. « Je suis plus chanceuse que vous ! a-t-elle dit à ses cofinalistes. Ce doit être l’hospitalité américaine pour les Coréens. Merci à mes fils de m’avoir poussée à travailler ! » À l’autre bout du spectre émotif, le cinéaste danois Thomas Vinterberg, lauréat de l’Oscar du meilleur film international pour Alcootest, a évoqué la mort de sa fille de 19 ans dans un accident de voiture, deux mois avant le début du tournage du film. « Elle nous manque et nous l’aimons, a-t-il dit, très ému. Elle devait être dans le film. Elle est peut-être ici avec nous et elle applaudit. Ce prix est pour elle. C’est un miracle. Tu fais partie de ce miracle. » Mon cœur de père s’est serré.

Avec pas de masque

Pendant toute la cérémonie, il n’a à peu près pas été question de pandémie. Comme si la COVID-19 n’était qu’un film catastrophe de fiction. Les 200 finalistes ont tous été vaccinés, testés et retestés, a assuré Regina King en début de soirée. Angela Bassett a parlé des victimes de la pandémie brièvement en fin de gala, dans une présentation très théâtrale des disparus de l’année. Tous les protocoles ont du reste été respectés, comme sur un plateau de cinéma. Rebelle devant l’Éternel, l’actrice Frances McDormand a décidé de garder son couvre-visage tout au long du gala, peut-être pour rappeler à tout le monde que nous ne sommes pas sortis du bois. Ce que l’on n’aurait pas deviné pendant le rocambolesque quiz musical concocté par le directeur musical de la cérémonie, Questlove, et les déhanchements de Glenn Close.