(Bombay) Avec des cinémas fermés depuis mars en Inde et sans perspective de réouverture imminente, la pandémie de coronavirus a intensifié la bataille entre salles obscures et plateformes vidéo au pays de Bollywood.

Soudain privés de débouchés pour leurs films, certains producteurs de Bollywood se sont tournés vers Amazon Prime, Netflix ou Disney+ Hotstar pour sortir leurs longs métrages, provoquant la fureur des réseaux de cinéma traditionnels.

Le mois dernier, Amazon Prime a ainsi mis en ligne le film Gulabo Sitabo, avec la mégavedette de Bollywood Amitabh Bachchan, sans passage préalable par le grand écran. Un choix également fait par d’autres films en hindi, mais aussi issus des importantes industries cinématographiques régionales en tamoul, télougou et malayalam.

« Une sortie sur l’internet a été une décision difficile à prendre », confie à l’AFP Shoojit Sircar, le réalisateur de « Gulabo Sitabo », pour qui l’impératif économique a finalement primé.

« Beaucoup de techniciens dépendent de moi », dit-il. « Le magie du cinéma ne peut pas être remplacée par l’expérience de la télé, de l’iPad ou de l’ordinateur portable. Mais il fallait que j’avance. »

Deuxième plus grande chaîne de multiplexes d’Inde, INOX Leisure Limited a prévenu les producteurs concernés qu’ils s’exposaient à de possibles « mesures de représailles ».

« Les vedettes de films ne se font pas sur le petit écran, mais sur le grand écran », explique à l’AFP Siddharth Jain, directeur général d’INOX.

Face à des rivaux aux poches profondes, les cinémas ont du souci à se faire, reconnaît-il : « aucun modèle d’affaires dans le monde ne peut concurrencer l’argent gratuit, et Netflix ce n’est que de l’argent gratuit ».

L’Inde est le plus gros producteur de films de la planète, avec près de 1800 sorties en 2018 dans tout un éventail de langues. Certaines vedettes font l’objet d’une adoration quasi religieuse, les fans les plus fervents allant faire des pèlerinages jusqu’à leur domicile.

La salle de cinéma est immensément populaire et abordable en Inde. Pour à peine un euro, un ticket offre trois heures de divertissement dans une salle climatisée.

Cinéma dans le sang

Certains multiplexes, plus hauts de gamme et plus chers, proposent même de confortables fauteuils inclinables, des couvertures contre le froid de la climatisation et toute une gamme de plats amenés directement au spectateur sur son siège.

Mais avec un Indien sur deux âgé de moins de 30 ans, pour beaucoup avides consommateurs de contenus sur mobile, le pays de 1,3 milliard d’habitants attise les convoitises des géants du streaming, qui y ont massivement investi ces dernières années.

Désormais propriété du groupe Disney, le leader du marché local Hotstar revendiquait 300 millions d’utilisateurs mensuels en 2018. La plateforme offre certains contenus gratuits et en réserve d’autres aux abonnés payants.

Professeur à Bombay, Nigel D’Souza, 27 ans, a longtemps résisté aux sirènes d’internet, préférant visionner les films en salle.

Pourtant, lorsque l’Inde a décrété la fermeture des cinémas pour limiter la propagation du nouveau coronavirus, il a franchi le pas et s’est abonné à Amazon Prime — à peine 1,5 euro par mois — et Netflix.

Désormais accro, il regarde des films à la chaîne sans avoir à se soucier du virus. « C’était très peu cher [...] car il n’y a pas besoin de dépenser d’argent pour le popcorn ou le trajet », décrit-il.

Directeur des contenus pour Amazon Prime en Inde, Vijay Subramaniam assure que les plateformes de streaming ne cherchent pas à ce que les cinémas mettent la clé sous la porte.

« Les cinémas jouent un rôle important dans la distribution des films et nous ne cherchons à changer cela », indique-t-il à l’AFP.

Toutefois, juge-t-il, « au fur et à mesure que la technologie va continuer à modifier le secteur, les préférences des consommateurs sur ce qu’ils souhaitent regarder et où vont continuer à évoluer. »

Les cinémas indiens se préparent à la réouverture, mais s’attendent à devoir respecter des normes sanitaires qui diminueront encore davantage leur chiffre d’affaires. Ils sont cependant loin d’avoir dit leur dernier mot.

« L’expérience du cinéma est dans notre sang », estime Girish Johar, analyste de l’industrie du cinéma basé à Bombay, « ça ne passera jamais de mode ».