Pas la peine de fouiller dans le dictionnaire, «pétropessimisme» n'y figure pas. Dommage, car ce néologisme exprime bien la morosité d'une frange non négligeable des conducteurs (et des conductrices) face à la montée en flèche du prix des carburants.

Pour l'amateur d'automobiles, le «pétropessimisme» peut se résumer comme suit: les normes antipollution, le coût de l'essence, les radars et la sévérité croissante des autorités stigmatisent les belles mécaniques et ne tarderont pas à rendre sans objet les modèles racés, hautement performants. Bientôt, les temps aventureux de l'automobile seront terminés. Et pourtant, en dépit de tous ces obstacles, la race ne semble pas vouloir s'éteindre!

Proclamée sur le ton de la résignation ou de l'indignation, l'annonce du déclin de la voiture de sport est une prophétie un peu éculée, mais étonnamment récurrente. Elle connut un franc succès au moment de la première crise pétrolière, puis avec la seconde. On connaît la suite. Jamais on n'a vu autant de constructeurs produire en série des bêtes de course.

Aujourd'hui, le spectre ressurgit: la chasse aux excès de vitesse couperait les ailes de la sportivité, battant en brèche le plaisir de conduire. Le succès de la petite voiture économique refléterait une stratégie de repli de certains automobilistes, une forme de renoncement aux satisfactions traditionnelles que l'on recherche derrière un volant.

Ce désenchantement conduit à se demander si l'on peut encore conduire un modèle aussi performant que la BMW 135i, évaluée dans ces pages, sans perdre définitivement son permis de conduire? Ou encore trouver logique de voir Dodge et Chevrolet ressusciter les Challenger et Camaro au cours des prochaines semaines, des prochains mois?

D'accord, ces deux sportives font depuis des mois la une des revues spécialisées et elles s'attireront - elles et d'autres sportives du même genre - les regards des passants. Des policiers aussi. Mais elles n'ont pas encore posé les roues sur la chaussée québécoise que déjà l'amateur craint qu'elles soient les dernières de leur espèce. Refrain connu puisque, au cours des deux dernières crises du pétrole, la voiture de sport était un symbole du gaspillage d'une énergie devenue coûteuse. Et juste pour cette raison, ces crises auraient logiquement dû provoquer sa disparition. Mais elle s'accroche.

Une lente agonie...

Pourtant, les voitures sport agonisent. La sensation de s'enfoncer dans son siège à la moindre sollicitation de l'accélérateur... Le sentiment d'avoir sa mécanique parfaitement en main... Le bonheur de prendre le volant d'une sportive a de quoi hérisser les poils des avant-bras! Cependant, au fil des ans, la possession d'une voiture sport est devenue impopulaire (la vitesse tue, rappelez-vous), périlleuse (pour le permis de conduire et le compte de banque) et coûteuse (frais d'acquisition et d'assurances). La voiture sport se meurt.

Au cours des 20 dernières années, le marché de la voiture sport s'est considérablement rétréci. Pourtant, l'offre est là, et une certaine presse spécialisée nous la présente toujours aussi pétante de santé, lui consacre des pages gorgées de superlatifs, feint qu'elle se meurt à petit feu.

Une lecture de l'électrocardiogramme des ventes donne pourtant un verdict implacable. Par exemple, au Québec, l'année dernière, ce segment a chuté de 21,2% et représente moins de 1000 immatriculations. Bien sûr, on craint moins pour la vie des sportives dérivées de la grande série, souvent inoffensives - de moins de 30 000$. Du moins, pour tout de suite. En leur greffant un maximum d'organes mécaniques provenant de la grande série, pour limiter les coûts de revient et contenir le prix de vente, on leur administre le seul remède susceptible de leur faire recouvrer la santé.

 

C'est le cas notamment de la SRT-4 de Dodge, dont la carrosserie bardée d'appendices m'as-tu-vu enveloppe l'architecture d'une «modeste» Caliber. Dans sa livrée SRT, cette Caliber embrasse tous les délires des ingénieurs affectés à son développement: moteur de près de 300 chevaux, boîte manuelle à six rapports, des disques de frein gros comme ça et une monte pneumatique terriblement adhérente.

Y a-t-il un remède, docteur?

Le remède? Il y en a un: une sportive s'apprécie aujourd'hui à condition de solder les «années folles» et d'assumer son statut de voiture réservée à l'esthète capable de considérer séparément l'objet et ses performances, d'apprécier la sonorité du moteur et la précision du train avant sans écraser le champignon. Ces états d'âme autour du plaisir de conduire constituent une spécialité très québécoise.

Au Royaume-Uni, où les routes ne sont pas plus rapides que chez nous et où les radars automatiques sont une vieille tradition, on vend 10 fois plus de sportives qu'au Québec.

En Allemagne, où la vitesse libre ne concerne qu'une portion des autoroutes (partout ailleurs, les limitations sont très strictes), il s'en vend 15 fois plus. Preuve que malgré le chantage des pétrolières, les imprécations des environnementalistes et la démagogie de certains hommes (et des femmes aussi) politiques, il subsiste ici comme ailleurs dans le monde assez de perfectionnistes et d'initiés pour continuer à tout prix à concevoir, construire, acquérir et conduire ces voitures qui inspirent leur commune et ardente passion, et que rien d'autre à leurs yeux ne saurait remplacer. Grâce à eux, l'automobile ne se réduit pas à un objet de préoccupation: elle demeure notre sujet de prédilection.