L'année dernière en Chine, 5 millions de véhicules neufs ont trouvé preneurs parmi les ressortissants. Et une autre année record se dessine à l'horizon: plusieurs études estiment en effet que 30% des ménages chinois auront les revenus nécessaires pour s'offrir une voiture en 2008.

Tant mieux, car en Chine, posséder une voiture, c'est clairement afficher sa réussite. Et l'industrie ne ménage aucun effort pour rendre ce rêve accessible en multipliant les offres de financement.

 

Mais à Shanghai, comme dans les autres provinces chinoises, cet engouement inquiète. Consciente des problèmes liés à la consommation automobile de masse, Shanghai, pour une, applique délicatement les freins. Elle plafonne le nombre des immatriculations et pratique une politique de prix dissuasifs: le prix d'un espace de stationnement équivaut parfois au prix d'un loyer et une plaque d'immatriculation vaut environ la moitié du prix du véhicule, car vendue aux enchères. Pour contourner le problème, plusieurs automobilistes choisissent d'ailleurs de faire immatriculer leur véhicule dans une province voisine. L'ennui est que, ce faisant, ils se voient interdire certains axes routiers de la ville en heure de pointe.

Mais l'automobile progresse. Le nombre de détenteurs de permis de conduire augmente, les commerces aussi. Dans certains quartiers de Shanghai, les distributeurs de pièces et de services automobiles poussent à l'ombre des nouveaux gratte-ciels et prennent peu à peu le relais des marchands de vélos et de cyclomoteurs. Les postes d'essence, eux, sont plus rares et il faut parfois parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour ravitailler.

Ici, le chic automobile prend la forme d'une berline obligatoirement trois volumes, c'est-à-dire avec coffre indépendant de l'habitacle; de marque internationale et noire de préférence. Si la berline représente 75% des ventes, le VUS est lui aussi très bien vu, ses ventes ayant progressé de 60% au cours de la dernière année.

Actuellement 70% des véhicules vendus en Chine sont issus de sociétés mixtes sino-étrangères, une obligation pour s'implanter dans ce pays. On y retrouve Volkswagen et GM en tête de peloton, mais aussi Honda, Nissan et Toyota. Quelque 120 constructeurs chinois se partagent les 30% qui restent. Les autorités souhaitent maintenant renverser les rôles et rendre ses constructeurs nationaux plus concurrentiels sur le marché intérieur et mondial.

Jusqu'ici, l'apprentissage de l'automobile par les Chinois s'est construit de façon plus ou moins loyale au contact de partenaires étrangers (VW, GM, Ford, etc.). Ces derniers ont tous à un moment ou à un autre déposé des plaintes pour plagiat contre des constructeurs chinois devant les tribunaux. En vain. Si la Noble ressemble à une Smart, la QQ à une Spark (Chevrolet), «c'est le fruit du hasard». La protection de la propriété intellectuelle existe en Chine, mais son application est toute relative, pour ne pas dire inexistante.

Conscient de ce problème, l'empire du Milieu veut donner à son industrie ses lettres de noblesse et obtenir la reconnaissance de ses pairs, elle doit faire de l'innovation sa priorité absolue. C'est pourquoi Pékin favorise depuis peu les regroupements entre les différentes sociétés chinoises dans le but d'augmenter les ressources en matière de recherche et de développement. Ce faisant, quelques marques, de «futurs champions nationaux», émergent du peloton et affichent des velléités de développement autonome. La question reste de savoir ce qu'il adviendra des partenariats établis entre les constructeurs chinois et étrangers. Un indice peut-être: le constructeur chinois Nanjing a racheté les participations détenues par Fiat dans une de ses sociétés mixtes...

Avec l'aide notamment des chercheurs de l'Université de Tongji (auteurs du Surmount III, un véhicule alimenté en hydrogène par une pile à combustible) dont l'un des mandats est de mettre sur pied une cité internationale de l'automobile, la Chine annonce ses couleurs et entend être «un pionnier actif des nouvelles technologies» comme l'affirmait son ministre de la Science et de la Technologie, Wang Gang, lors des cérémonies d'ouverture de la neuvième présentation du Challenge Bibendum.

La Chine a d'ailleurs profité de cette compétition internationale sur la mobilité durable pour inscrire 43 véhicules (huit automobiles, 20 deux-roues et 15 autobus) et faire mentir les constructeurs occidentaux qui prétendent à mots couverts que, «sans notre technologie, les constructeurs chinois ne peuvent espérer jouer dans la cour des grands». La Chine compte par ailleurs sur les prochains Jeux olympiques (Pékin) et l'exposition universelle de 2010 (Shanghai) pour promouvoir son savoir-faire technologique et du coup, démontrer qu'elle a la capacité d'innover sans l'aide des constructeurs américains, asiatiques et européens.

C'est pour bientôt?

Au North American International Auto Show (NAIAS) qui se déroulait en janvier dernier à Detroit, les observateurs de la scène automobile ont été à même de constater que les constructeurs automobiles chinois évoluent rapidement. Très rapidement même. Mais pas encore assez pour prétendre rivaliser avec les productions occidentales, coréennes ou japonaises actuelles sur le plan de la sécurité, de la technologie ou encore du design.

En fait, leur seul atout passe par la compétitivité au chapitre des prix. On évoque des prix de 30% inférieurs à ceux de la concurrence. À cela s'ajoutent une filière de fournisseurs locaux en pleine expansion, une connaissance du marché de l'exportation et, bien entendu, une main-d'oeuvre bon marché. Mais pour affronter le marché occidental et remettre en question le partage mondial actuel entre les grandes marques, la Chine devra en faire plus, beaucoup plus.

Annoncée en 2007 sous forme d'un tsunami pour les constructeurs occidentaux, l'offensive des voitures chinoises se fait pourtant toujours attendre en Amérique du Nord. En conférence de presse au dernier salon automobile de Detroit, Chamco, un distributeur chinois aux ambitions aussi grandes qu'un Wal Mart, a clairement indiqué son intention de devenir «le premier importateur de voitures fabriquées en Chine aux États-Unis, au Mexique et au Canada», sans donner plus de détails si ce n'est que «l'homologation de ces produits est en cours». Refrain connu et entonné deux ans plus tôt par un certain Malcolm Bricklin, un entrepreneur fort en gueule, qui prétendait qu'il serait le premier à offrir aux Américains les clés d'une voiture chinoise qui, toujours selon lui, connaîtrait un destin comparable à celui de Toyota. Rien de moins.

 

Bricklin n'avait peut-être pas tout à fait tort de croire que Chery, son partenaire chinois, allait devenir le premier constructeur chinois à poser ses roues en Amérique. Ce que Bricklin ignorait est que son entrée se ferait sans doute au bras de Chrysler et non du sien. Mais rien n'est encore officiel, malgré les coups de sonde du constructeur américain. Vrai qu'il existe un partenariat entre les deux constructeurs, mais plusieurs observateurs prétendent que Chrysler cherche d'abord et avant tout à faire pression sur le syndicat américain de l'automobile (UAW) pour obtenir certaines concessions... Un épouvantail alors?

Si l'Amérique du Nord se trouve dans la ligne de mire de plusieurs constructeurs chinois, le Gotha de l'automobile américaine, asiatique et européenne doute de retrouver la Chine sur sa route avant une bonne dizaine d'années. D'ici là, les Chinois se font la main en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique où les législations sont plus conciliantes (voire inexistantes) dans le domaine de la sécurité et de l'environnement. L'Amérique peut encore attendre.