Eldorado : «pays merveilleux, de rêves et de délices», nous dit le Petit Robert. Dans son récit datant de 1541, l'explorateur espagnol Francisco de Orellana décrit un pays regorgeant d'or situé en Amérique du Sud. Bien des années plus tard, la légende est démentie, mais elle demeurera vivante dans la mémoire collective, si bien qu'aujourd'hui encore, le mot eldorado symbolise l'or ou le paradis.

C'est avec beaucoup d'à-propos que Cadillac choisit en 1953 de baptiser ainsi sa nouvelle et très exclusive décapotable. Basée sur la Serie 62, inaugurée en 1949, cette voiture se distingue de plusieurs façons. D'abord, à 7750 $, c'est la plus coûteuse des Cadillac même si les Serie 60 et 75 sont plus longues et plus lourdes, des caractéristiques qui, à l'époque, valent leur pesant d'or. En 1956, l'Eldorado est aussi offerte en version «hard top» deux portes. Pour éviter la confusion, le modèle décapotable prend le nom très exotique de Biarritz. L'année suivante, une autre Eldorado, encore plus exclusive, s'ajoute au catalogue. Il s'agit de la Brougham, la première voiture américaine dotée de quatre phares à l'avant. Notons que les Brougham 1959 aux ailes arrière démesurées, ainsi que le millésime 1969, seront construits dans les ateliers de Pininfarina en Italie.

Une traction signée Cadillac

Mais c'est en 1967 que l'Eldorado fait véritablement les manchettes en adoptant la traction avant, une solution technique jusque-là réservée aux petites européennes du type Mini. Reprenant le châssis de l'Oldsmobile Toronado dévoilée l'année précédente, l'Eldo 67 présente une toute nouvelle carrosserie. Malgré ses dimensions réduites (façon de parler), c'est pourtant l'Eldorado qui propose le plus grand habitacle, un gain que l'on doit à l'absence du tunnel central qui abrite normalement l'arbre de transmission.

Parmi les exclusivités de l'Eldorado 1970, mentionnons l'affichage de la cylindrée du moteur en litres plutôt qu'en pouces cubes (en l'occurrence un énorme V8 de 8,2 litres ou 500 pouces cubes). C'est une première pour une voiture américaine, une décision sans doute prise pour marquer l'adoption par les États-Unis du Metric Conversion Act. Trente-six ans plus tard, l'Amérique s'accroche encore farouchement au système impérial, alors que la planète presque au complet «parle» métrique. Mais ça, c'est une autre histoire.

D'Indianapolis à Granby

Le millésime 1971 est marqué pour l'Eldorado par d'importants changements esthétiques. Plus long, plus lourd et affichant des lignes plus carrées, le modèle amiral de la flotte de Cadillac continue de voguer de succès en succès. Offerte en versions coupé et cabriolet, l'Eldorado aura même l'insigne honneur de défiler à titre de «pace car» officiel des 500 Milles d'Indianapolis de 1973.

Martial Choinière, un des membres fondateurs du club des Voitures Anciennes de Granby, possède une Eldorado décapotable 1975. Passionné de Cadillac depuis sa tendre jeunesse, notre homme s'est porté acquéreur de sa voiture il y a environ deux ans. Malgré l'excellent état de l'Eldorado, il a décidé de se lancer dans une restauration complète. Il en a profité aussi pour faire installer un «Continental kit», une roue de secours apparente qui trône sur le pare-chocs arrière.

Portant allègrement ses 87 ans, M. Choinière affirme que son Eldorado, bien que pesant plus de deux tonnes et demie, peut facilement faire «crisser» ses pneus lors d'un départ mais au prix d'une consommation aussi démesurée que la cylindrée de son V8, le plus gros moteur jamais proposé sur une voiture de série. Avec une moyenne de 28 L/100 km (environ 10 mi/gal), avouez qu'il y avait de quoi piquer une déprime, surtout que le choc pétrolier de 1973 était encore frais à toutes les mémoires.

Un an plus tard, en 1976, l'Eldorado est le seul modèle américain décapotable sur un marché dorénavant soumis aux diktats des compagnies d'assurances, qui veulent en découdre avec la mode des «muscle cars» et autres modèles «trop exposés».

L'Eldorado amincie qui nous arrive en 1979 a perdu 520 kilos et 51 cm en longueur. Pourtant, l'habitacle est plus vaste. Dès l'année suivante, Cadillac dévoile la Seville, une voiture aux dimensions plus «internationales» (euphémisme pour éviter de dire plus petite), dotée d'un style radicalement différent. Dès lors, l'Eldorado vivra dans l'ombre de sa jeune soeur.

Vers la fin des années 80, l'industrie automobile est en pleine campagne de rationalisation, question de contrôler la flambée des coûts. Dès 1986, l'Eldorado partage son châssis et ses principales composantes mécaniques avec les Buick Riviera et Oldsmobile Toronado. Mais cet embourgeoisement ne plaît pas aux fidèles de la marque, et les ventes de l'Eldorado s'en ressentent. Puis, en 1992, la Seville et l'Eldorado sont redessinées et affichent une carrosserie plus dynamique. Les deux voitures ont droit dès 1993 au fameux moteur V8 Northstar, mais elles doivent composer avec la présence d'une autre semi-italienne, l'Allante, construite partiellement en Italie par Pininfarina.

Les dernières Eldorado sortent des usines Cadillac en 2002. La disparition de ce modèle marque un nouveau chapitre dans l'histoire centenaire de Cadillac, une des rares marques de GM en voie de retrouver son prestige d'antan.

Pour joindre notre chroniqueur : alain.raymond@lapresse.ca

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DANS LE RÉTROVISEUR DE LA CADILLAC ELDORADO 1975

Empattement / longueur / largeur (cm) : 321 / 571 / 203
Poids : 2344 kg
Moteur : V8, 8,2 L (500 po3), 190 ch. à 4000 tr/min, 360 lb/pi à 2000 tr/min
Consommation : 28 L/100 km combiné ville/route
Transmission : automatique 3 rapports
Freins : disques/tambours
Pneus : L78-15
Production 1975 : 44 752 dont 8950 décapotables
Prix 1975 : 10 354 $US
Valeur 2006 : env. 15 000 $

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LA MÊME ANNÉE (1975):

» William H. Gates et Paul Allen, deux étudiants américains sans trop d'expérience en informatique, créent Microsoft.

» En Espagne, décès du général Francisco Franco, qui dirige l'Espagne d'unemain de fer depuis 1939. Deux jours plus tard, Juan Carlos 1er est proclamé roi d'Espagne.

» Les États-Unis adoptent le Metric Conversion Act of 1975, mais le système métrique est tout simplement boudé par le grand public.

» La crise du pétrole de 1973 laisse un goût amer. Le gouvernement canadien crée la société Petro-Canada, dans l'espoir de réduire la dépendance au pétrole étranger.