Amies de longue date, les artistes autochtones Émilie Monnet et Waira Nina ont uni leurs voix pour créer un spectacle où l’eau, les plantes et les pierres chantent. Son titre : Nigamon/Tunai, qui signifie chant dans leur langue respective.

La première est d’origine anichinabée et a passé son enfance entre la Bretagne et l’Outaouais. La seconde est une Inga de l’Amazonie colombienne. L’une vient du Nord ; l’autre, du Sud. C’est toutefois lors de cérémonies tenues dans la communauté de Waira Nina que leur amitié s’est scellée.

« Waira m’a montré son territoire en me permettant de participer à des cérémonies avec les aînés, raconte Émilie Monnet. Elle m’a aussi raconté les histoires de sa famille : les narcotrafiquants, les guérilleros, la déforestation. Les assassinats en toute impunité des leaders environnementaux, dont les deux frères de Waira. Et l’extraction du cuivre par une société canadienne, Libero Copper, directement dans le territoire inga. »

Pour tisser des liens entre le Nord et le Sud, les deux femmes ont décidé de créer un projet artistique où la poésie de la nature cohabiterait avec les voix de différents leaders autochtones.

Pour Waira Nina, leader dans sa nation inga et dans toute la région, cette approche artistique représentait une nouvelle voie. « L’art est éternel, dit-elle. Il m’a montré une nouvelle façon de sortir ce qui m’anime à l’intérieur. C’est un outil pour témoigner de cette violence quotidienne que je ressens. »

À l’écoute

Pendant 10 ans, les deux femmes ont recueilli du matériel sonore auprès de militants écologiques et de leaders autochtones. En Amazonie, au Canada, mais aussi en Guyane française où elles ont fait une résidence.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Émilie Monnet et Waira Nina partagent une longue amitié.

L’écoute de ces différents territoires a ravivé chez les deux artistes le sentiment d’une connexion qui dépasse largement les frontières géographiques.

Tout est connecté. L’eau, les plantes, l’air, le feu et la spiritualité. Il a fallu écouter tout ça pour comprendre ce que ça veut dire, mais aussi nous écouter l’une l’autre.

L’artiste Waira Nina

En échangeant, elles ont découvert des similitudes entre les balafres de leurs deux territoires. Mais elles ont aussi compris que la figure de la tortue est centrale dans leur cosmogonie respective, tout comme le respect des savoirs des anciens et la place des cérémonies.

« Chez les Ingas, la tortue est la mère des eaux, tandis que les Anichinabés considèrent que la Terre a été créée sur la carapace d’une tortue, indique Émilie Monnet. Elle est connectée au cycle lunaire et à la dimension féminine de la vie. » Cette figure a donc été naturellement intégrée à la proposition scénique de Nigamon/Tunai.

Les voix de la nature prennent aussi une place prépondérante dans ce spectacle. « C’est une expérience multisensorielle, estime Émilie Monnet. On a fait appel à des collaborateurs comme la cinéaste Mélanie O’bomsawin à la vidéo ou l’artiste colombien Leonel Vasquez, qui a développé des instruments permettant de capter le chant de l’eau ou des pierres. »

PHOTO HELENA VALLES, FOURNIE PAR LE FTA

Des instruments permettront d’entendre le chant de l’eau.

Elle poursuit : « Ce spectacle nous permet d’être tous ensemble dans un état propice pour entendre ces chants qui nous échappent souvent, parce qu’on est devenus déconnectés de la nature ou en raison de la pollution sonore. Parfois, ces chants se sont éteints. On a voulu créer un espace pour les raviver. Car les vibrations sonores permettent de guérir des choses en nous... »

La voix des femmes

Le spectacle compte aussi un aspect documentaire important, avec les paroles de leaders spirituels autochtones. L’oncle de Waira Nina est de ceux-là. « C’est un médecin traditionnel inga et un défenseur du territoire. Libero Copper est en train de construire une route directement à côté de sa maison cérémoniale... » La militante Sharon Day, qui a fait le tour des bassins des Grands Lacs en priant pour l’eau, a aussi été interrogée.

L’extraction minière et l’exploitation intensive des ressources ont souvent un impact sur la voix des femmes, estime Émilie Monnet. « Dans nos communautés, ce sont elles qui ont la responsabilité de prendre soin de l’eau. Toutes ces questions sont cruciales pour notre survie comme espèce humaine. Il faut de l’amitié et de la solidarité pour traverser ce qui nous attend. On a besoin de ces liens de plus en plus. »

Ces liens s’incarnent notamment dans la multiplicité des langues parlées dans ce spectacle : anishinaabemowin, inga, français, anglais et espagnol. Pour favoriser la compréhension, les créatrices ont choisi d’utiliser un système de surtitrage sonore. De plus, le public ne sera pas assis sagement sur des sièges, mais directement sur la scène, près des deux artistes. Là où le son de la nature résonnera au plus fort.

Nigamon/Tunai est coprésenté par l’Espace Go et le Festival TransAmériques (FTA) jusqu’au 30 mai.

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