Dans Nuit blanche, Stéphanie Colle campe Jeanne Hébert, qu’on suppose au début de la vingtaine. Dans le court métrage Mon cœur de tomate, elle personnifie Madeleine, sexagénaire atteinte de la trisomie 21 composant mal avec le vieillissement. Un rôle qui exigeait d’elle deux heures quotidiennes de maquillage, et une aussi longue période de dépoudrage.

L’apparence aussi juvénile que mature de l’actrice de 39 ans et son regard lumineux lui permettent de tout jouer. Timide en entrevue, offrant de courtes réponses, mais rieuse et à l’écoute, Stéphanie Colle compte de nombreuses autres qualités faisant d’elle une excellente comédienne, selon son professeur et coach de jeu, Martin Perreault.

« Les personnes en situation de handicap sont plus intelligentes que nous sur bien des affaires, estime ce dernier. Stéphanie comprend tout. Elle peut te lire sans que tu dises un mot. Elle ressent des choses que des humains neurotypiques ne capteraient pas. »

Ce qui est beau de Stéphanie, c’est qu’elle aime jouer. Elle consomme beaucoup de télévision québécoise, elle connaît tout, voit tout, et connecte bien avec les acteurs, et particulièrement les actrices.

Martin Perreault, coach de jeu

Vous devriez voir son sourire s’élargir lorsqu’on mentionne les interprètes de sa maman fictive de Nuit blanche (Valérie Blais, remplacée par Brigitte Lafleur dans le deuxième chapitre à venir sur Prime Video).

On a auparavant pu voir Stéphanie dans Unité 9 et dans une scène de hockey cosom aux premières heures de Léo.

Parfaitement prête

Stéphanie Colle a tenu des emplois dans une friperie et un supermarché avant de pratiquer son art. Il y a une dizaine d’années, elle a intégré l’établissement Les Muses (école artistique professionnelle destinée à des personnes vivant avec une déficience intellectuelle, qui déniche des contrats à ses élèves). Elle venait de craquer pour le film Gabrielle, de Louise Archambault, où une jeune adulte touchée par le syndrome de Williams cherche à s’émanciper.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Quand elle débarque sur un plateau, Stéphanie est prête jusqu’au bout des ongles.

« Mon frère avait fait un petit spectacle à son école. Je suis allée le voir. Ça m’a donné le goût d’en faire aussi », explique la résidante de Beaconsfield, actuellement en attente d’un appartement adapté à sa réalité.

Quand elle débarque sur un plateau de tournage, Stéphanie est prête jusqu’au bout des ongles, insiste son coach de jeu : elle connaît son texte, en a décortiqué les intentions avec lui (« Je prends des notes », indique la principale intéressée) et a accompli des exercices de diction, notamment à l’aide d’un bouchon de liège, procédé que l’homme conseille à tous les acteurs, handicapés ou pas.

« Elle ne chiale jamais, elle a toujours le sourire. Son côté professionnel a rassuré l’équipe de Nuit blanche », souligne Martin Perreault.

Comme ses collègues, Stéphanie Colle a dû faire de longues journées de travail, allant parfois de 4 h 45 le matin à 1 h la nuit suivante. Stéphanie a participé à 14 jours d’enregistrement dans le premier volet, et 4 dans le deuxième ; sa présence sera encore importante dans la suite de 8 épisodes, mais moins révélatrice d’indices que précédemment.

À quoi rêve Stéphanie pour l’avenir ? « J’aimerais jouer dans L’œil du cyclone parce que je l’écoute ! »

La deuxième saison de Nuit blanche sera diffusée sur Prime Video vers la fin du printemps, puis à Séries Plus plus tard dans l’année.

« Ça n’a plus sa place en 2024 »

Geneviève Bouchard, responsable de la transition vers la vie professionnelle à l’école Les Muses, reconnaît que de grands efforts sont déployés dans les séries québécoises pour inclure les personnes handicapées.

« Il y a plus d’ouverture aux gens en situation de handicap. Plus on va en voir, plus ça va normaliser la chose, la désacraliser, et faire bouger la société. Plus on constatera à quel point ils sont capables de jouer, plus on développera des rôles avec de la chair sur l’os, où on ne focalisera pas seulement sur la difficulté du handicap.

« Toutefois, on a des artistes qui ont passé une audition l’an dernier, et la production a finalement décidé de choisir des acteurs neurotypiques. Je trouve ça déplorable. Ça n’a plus sa place en 2024. Il y a des artistes professionnels qui peuvent combler ces rôles-là… »

Stéphanie Colle, quant à elle, est-elle offusquée lorsque des acteurs neurotypiques décrochent des rôles de personnes handicapées ?

Elle réfléchit un instant. Puis dégaine candidement son verdict.

« C’est pas la fin du monde ! »