Le réalisateur Félix Rose montre qu’Offenbach et Corbeau, c’était bien plus que Gerry et Marjo, dans Québec Rock, passionnante série articulée autour de la rivalité entre les deux groupes.

Comme n’importe quel Québécois, Félix Rose aurait pu vous chanter les refrains de Câline de blues et d’Illégal, mais sans plus. « Je suis tombé en amour avec les gars avant d’apprendre à mieux connaître leur musique », explique le réalisateur, qui signe la série Québec Rock – Offenbach vs Corbeau.

C’est durant la création de son populaire documentaires Les Rose (2020) que le cinéaste de 36 ans allait entrer en contact avec le parolier et chanteur d’Offenbach et de Corbeau, Pierre Harel, parce qu’il a coréalisé en 1968 Taire des hommes, un court métrage sur le « Lundi de la matraque », évènement marquant de l’histoire du Québec et de la vie de son père, le felquiste Paul Rose.

Félix Rose s’attendait à rencontrer un membre de la royauté rock, mais il trouvera en Harel un employé de quincaillerie surnageant sous le seuil de la pauvreté.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le réalisateur Félix Rose

Dans ma grande naïveté, je pensais que ces gars-là roulaient sur l’or, puis tout d’un coup, j’étais devant un homme de 77 ans qui me demandait de l’argent pour un lift.

Le réalisateur Félix Rose

Dans un moment d’admirable franchise, le batteur Roger Belval, alias Wézo, se remémore en entrevue avec Rose les regards interloqués qui l’ont accueilli au bureau de l’aide sociale, après la dissolution de Corbeau. Il parviendra à refaire sa vie en tant que boucher. « Wézo s’en est bien sorti, précise Félix, mais reste qu’on ne s’imagine pas Ringo Starr devoir devenir boucher. »

Au-delà de Gerry et de Marjo

En parlant autour de lui de son projet de documentaire sur Harel, Félix Rose comprendra rapidement qu’au tendre royaume du rock québécois, les ravages de nombreuses querelles avaient laissé leurs traces. Plusieurs anciens d’Offenbach étaient d’avis que c’est plutôt sur eux qu’il faudrait braquer les projecteurs.

C’est donc autour de l’ensemble de la vaste nébuleuse de musiciens ayant transité au sein d’Offenbach et de Corbeau qu’il élaborera son récit, un choix pragmatique, mais surtout judicieux, tant Gerry et Marjo éclipsent trop souvent leurs camardes. Après avoir été emporté par un cancer du côlon en juillet 1990, Boulet a été érigé en saint, ce qui pourrait difficilement être plus ironique, dans la mesure où il n’en était pas du tout un.

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Gerry Boulet, en août 1981

Cette compréhensible déification pourrait aussi difficilement être plus réductrice, le son d’Offenbach ayant certes été défini par la voix brisée par l’alcool et la cigarette de Gerry, mais également par le jeu volcanique de Johnny Gravel à la guitare, les textes sculptés dans l’or à fou de Pierre Harel, l’impétuosité de Michel « Willie » Lamothe à la basse et l’apport des cinq batteurs qui figurent dans la docusérie (Offenbach a été en la matière une porte tournante digne de Spinal Tap).

À travers quatre épisodes de 45 minutes, riches d’anecdotes abracadabrantes, d’extraits d’archives et de témoignages contemporains des survivants de cette époque vécue à fond de train, Félix Rose raconte la genèse d’Offenbach au sein de plusieurs orchestres de rock’n’roll de la Montérégie, leur ambition de conquérir les États-Unis, puis leur virage vers le français infléchi par l’arrivée de Pierre Harel, qui désertera la formation en 1975, pour fonder en 1977 Corbeau avec Willie et Wézo.

PHOTO YVES BEAUCHAMP, ARCHIVES LA PRESSE/BANQ

Offenbach en novembre 1972

Mais ce n’est que l’année suivante que le groupe né des cendres de l’autre opposera à Offenbach une véritable concurrence, grâce au recrutement d’une ancienne secrétaire du nom de Marjolène Morin.

On était une gang d’hommes, une gang de gars ensemble, pis le jour où est-ce qu’elle est arrivée [Marjo], ç’a soulevé des passions parmi nous autres, ç’a pas d’ostie de bon sens. Ça nous a appris à s’aimer entre nous autres à travers elle, parce qu’on l’aimait tous.

Pierre Harel, dans une entrevue d’archives

Pas de demi-mesure

C’est le contraire de l’amour qui règnera entre le nouvel alignement d’Offenbach et Corbeau, un sujet généralement éludé publiquement par les acteurs de cette période où une Labatt Bleue (ou une O’Keefe) n’attendait pas l’autre, à commencer par celle qui va. « Marjo n’aime pas être dans le négatif, observe Félix Rose, mais il fallait en parler, parce que ça occupait 50 % des conversations que j’avais avec les autres intervenants. »

PHOTO YVES BEAUCHAMP, ARCHIVES LA PRESSE/BANQ

Corbeau en 1979

Grâce à la franchise d’un Breen LeBœuf, le réalisateur aborde un autre sujet incontournable, celui de la drogue, qui minera la qualité des albums d’Offenbach à mesure que ses membres prendront cette poudre d’escampette communément appelée cocaïne.

« C’était tough, ça », confie le batteur Pat Martel, dont les excès le mèneront jusqu’en prison, en visionnant des images du show d’adieu d’Offenbach au Forum en novembre 1985. « Faque on a fait ce qu’on faisait tout le temps pour ne pas sentir les émotions graves : on est partis sur une monumentale brosse. »

Pourquoi ces musiciens brillants avaient-ils autant de mal à résoudre leurs conflits ? « Je vais emprunter les mots de Gerry et répondre qu’il n’y a pas de demi-mesure avec les rockeurs, dit Félix Rose. Mais je ne voulais pas faire une série juste sur des chicanes, juste sur le sexe, la drogue et le rock’n’roll, parce qu’Offenbach et Corbeau, c’est plus que ça. C’est l’histoire de plein de gars et d’une fille qui ont travaillé fort, qui ont bûché pour vrai. »

« Je n’ai pas eu ben, ben d’argent », conclut Wézo vers la fin du quatrième épisode. « Mais j’ai eu une belle vie. C’est ça, le principal. »

La série Québec Rock est offerte sur la plateforme Vrai.