Patricia Paquin n’a pas hésité longtemps lorsqu’on lui a proposé l’animation de L’épreuve des mots, une série documentaire inspirée d’un concept du Royaume-Uni (The Write-Offs, diffusé en 2020) et abordant un sujet dont on parle peu : l’analphabétisme. « On m’a envoyé le format britannique, que j’ai regardé avec beaucoup d’intérêt, et j’ai dit : “oui, go, on y va” », résume-t-elle.

Au Québec, la série de quatre épisodes sera diffusée dès le 13 février sur les ondes de Télé-Québec. La télévision publique a convié les médias cette semaine pour leur présenter les deux premiers épisodes de 30 minutes, en compagnie de Patricia Paquin et de deux participantes, Alexe et Sylvie, qui voyaient elles aussi l’émission pour la première fois.

Le concept ? L’équipe suit pendant 16 semaines cinq personnes analphabètes, certaines fonctionnelles, d’autres moins (leur niveau en littératie se situe entre le début et la fin du primaire). Les participants suivent un programme intensif avec un tuteur et témoignent de leurs progrès lors de défis inspirés de la vie quotidienne : faire un rallye dans les transports en commun, faire l’épicerie et une recette, monter un barbecue... Ça saute aux yeux : la société est conçue pour les gens qui lisent bien. Et pour ceux qui butent sur les mots, le quotidien est lourd, et terriblement frustrant.

Une mission

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Patricia Paquin anime L’épreuve des mots.

Patricia Paquin a rapidement été charmée par cette occasion de lever les tabous sur l’analphabétisme, une réalité qui touche beaucoup de Québécois. Ce que la production ignorait alors, c’est que l’animatrice se sent particulièrement interpellée par le sujet : son fils cadet de 13 ans, Gabriel, a reçu un diagnostic de dyslexie et de dysorthographie – des troubles d’apprentissage liés à la lecture et à l’écriture. « Quand j’ai compris que c’était un trouble, et qu’après ça, on a eu des outils pour l’aider, ça a tout changé », raconte Patricia Paquin dans le premier épisode.

C’est un peu la mission de L’épreuve des mots : contribuer à améliorer la vie des cinq personnes qui ont généreusement accepté de se prêter au jeu, malgré la honte et malgré tous les préjugés que la société entretient envers eux.

Lors du premier épisode, Alexe, 29 ans, raconte les moqueries dont elle a fait l’objet sur les réseaux sociaux. Éducatrice en garderie, elle avait partagé sur l’internet ses fiches pédagogiques au bénéfice des autres éducatrices. Ces documents contenaient des erreurs d’orthographe qu’Alexe, malgré toute sa bonne volonté, n’arrive pas à déceler. On lui a écrit bien des choses. « Tu ne devrais pas être éducatrice. » « Tu fais honte à notre français. » « Les gens pensent qu’on ne se force pas », laisse tomber Alexe.

Entourée d’un père et d’un frère qui écrivent comme des dictionnaires, Alexe en était arrivée à la conclusion qu’elle n’était tout simplement « pas bonne ». Elle a néanmoins terminé son secondaire grâce à sa force de caractère et au soutien de ses parents. Alexe rêvait de devenir sage-femme, mais n’avait pas les prérequis. « On aurait des gens plus compétents si on pouvait choisir son métier avec son cœur », estime Alexe, soulignant du même coup que « la vie est bien faite » : elle est aujourd’hui inscrite au certificat en soutien pédagogique à l’université. Son récent diagnostic de dyslexie-dysorthographie lui permet enfin d’obtenir les outils dont elle a besoin (tablette avec lecteur de texte, correcteur automatique, tiers temps, etc.).

Ouvrir les yeux

Coordonnatrice de l’organisme d’alphabétisation Le sac à mots, à Cowansville, Caroline Plaat a versé des larmes en écoutant des passages du premier épisode : quand Alexe aborde ce mépris des autres, quand la mère de Mathys, un participant de 16 ans qui ne sait ni lire ni écrire, exprime son sentiment de culpabilité... C’est elle qui a suivi Mathys pendant l’émission (et encore aujourd’hui). « Ils ont tous des histoires comme ça », confie Caroline Plaat, qui trouve malheureux qu’on juge la valeur des gens à leur capacité de maîtriser une langue « extrêmement complexe ». Elle se réjouit qu’un documentaire mette enfin en lumière leur réalité.

Nommez-moi une autre cause qui touche une personne sur deux dont on ne parle jamais. C’est malaisant, parce que ça illustre l’échec d’un de nos systèmes de société.

Caroline Plaat, coordonnatrice de l’organisme d’alphabétisation Le sac à mots, à Cowansville

Les participants sont loin des clichés. Il y a Sylvie, 63 ans, 8e d’une famille de 17 ; Nicolas, un entrepreneur de 66 ans qui a caché son analphabétisme toute sa vie ; Marc-Alexandre, un brave père de famille de 35 ans ; et son fils Mathys, un charmant gaillard de 16 ans pour qui « l’école, c’est de la marde ».

À la dernière émission, lors d’une grande finale qui promet d’être émouvante, les téléspectateurs pourront découvrir si les participants ont « triomphé dans leur guerre avec les mots ». Après 16 semaines de tutorat, peut-on faire des progrès à ce point ? « À la fin du processus, on a remarqué des progrès que, des fois, les participants eux-mêmes n’avaient pas remarqués, illustre le réalisateur Paul-Maxime Corbin. On a vu la confiance se construire. »

Produite par Sphère Média, L’épreuve des mots sera diffusée les mardis à 20 h dès le 13 février.

En savoir plus
  • 19 %
    Pourcentage des Québécois qui éprouvent de grandes difficultés avec la lecture et l’écriture
    Source : enquête PEICA, 2012
    34 %
    Pourcentage des Québécois qui font le lien entre le texte et l’information, mais n’arrivent pas à lire des textes denses ou longs.
    Source : enquête PEICA, 2012