Bien qu’elle ait été racontée de long en large, l’histoire des Colocs inspire un nouveau documentaire. Mais contrairement aux nombreux livres, émissions et autres articles ayant creusé le sujet au cours des deux dernières décennies, ce long métrage ne braque pas seulement les projecteurs sur André « Dédé » Fortin ; il s’intéresse également, en parts égales, au deuxième membre disparu du groupe, l’harmoniciste Patrick Esposito di Napoli.

Judicieusement intitulé Dédé et Patrick : au-delà des étoiles, le film relate l’amitié entre les deux hommes. Une amitié formée au tournant des années 1980 et 1990, alors qu’on assistait à l’émergence des Colocs, formation phare de l’époque.

En entrevue, le réalisateur Jean-François Poisson (Léo-Paul Dion : confession d’un tueur, L’ordre du temple solaire) insiste : il souhaitait retracer ces deux destins croisés et surtout, pour André Fortin, « se concentrer sur l’être humain derrière l’icône ».

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le réalisateur Jean-François Poisson

J’avais mis les choses très claires au départ : je n’allais pas faire une musicographie. Je n’allais pas faire un documentaire sur Dédé non plus. Parce qu’on l’a fait 1000 fois. Je voulais parler de Patrick à 50 %, et d’André à 50 %. Je voulais faire quelque chose de différent.

Jean-François Poisson

Dédé et Patrick : au-delà des étoiles n’est pas l’œuvre d’un mordu des Colocs. Certes, on entend quelques extraits des grands tubes du groupe québécois, comme Julie, Passe-moé la puck, La rue principale et Bon yeu, mais d’ordre général, on nous montre les protagonistes sans leurs instruments.

« J’ai travaillé à MusiquePlus, rappelle Jean-François Poisson. Je connaissais les bases des Colocs. Mais je n’étais pas fan. Ce n’était pas mon genre de musique. J’étais plus du type new wave. Quand j’ai commencé le projet, j’étais complètement détaché. »

« L’histoire des personnes m’intéressait beaucoup plus que leur musique, poursuit le documentariste de 42 ans. Ça paraît dans mon montage, je crois. »

Comme une thérapie

Produit par Attraction, Dédé et Patrick : au-delà des étoiles débarque cette semaine sur Vrai, la plateforme de contenus non scriptés de Québecor. D’une durée de 90 minutes, le documentaire émerge 12 mois après Marie-Soleil et Jean-Claude : au-delà des étoiles (2022), la précédente offrande de Jean-François Poisson qui revisitait, 25 ans plus tard, la mort tragique du couple formé de Marie-Soleil Tougas et de Jean-Claude Lauzon.

Avec son nouveau film, le réalisateur nous replonge au siècle dernier au moyen d’une vingtaine de témoignages de proches de Patrick Esposito di Napoli et d’André Fortin, dont Jimmy Bourgoing, batteur des Colocs de 1990 à 1997, Marc Déry, Lise Raymond, l’attachée de presse du groupe, et Mara Tremblay. Devant l’objectif, la chanteuse s’ouvre sur plusieurs sujets sensibles, dont sa relation amoureuse secrète et « extrêmement torturée » avec Dédé Fortin.

« J’ai été surpris de voir à quel point les gens se livraient, à quel point ils oubliaient la caméra », affirme Jean-François Poisson.

PHOTO FOURNIE PAR VRAI

Mara Tremblay dans Dédé et Patrick : au-delà des étoiles

Le long métrage comprend quelques moments d’émotion, notamment lorsqu’il est question des décès de Patrick et d’André (le premier est mort du sida en 1994, le second s’est suicidé en 2000). On constate qu’encore aujourd’hui, les plaies sont vives pour plusieurs intervenants.

« C’est souvent comme ça, observe Jean-François Poisson. C’est comme une thérapie. Ils pensent qu’ils n’auront pas d’émotions, mais non… Ils finissent par craquer. La même chose est arrivée avec Micheline, la mère de Marie-Soleil [Tougas]. Elle m’avait dit : “Tu sais, moi, je ne pleure pas.” Mais quand ça fait deux, trois heures que tu parles à quelqu’un, les yeux dans les yeux, les émotions remontent, comme chez le psy. Tu pars à pleurer sans jamais t’en rendre compte. »

Selon le réalisateur, il n’aurait jamais réussi à rallier autant d’amis, de membres et d’anciens collaborateurs des Colocs s’il avait décidé d’articuler son documentaire autour de Dédé.

« Ça n’aurait pas intéressé grand monde, parce qu’ils en ont déjà parlé. Quand je leur disais que j’avais envie de parler de Patrick, leurs regards s’illuminaient. Ça m’a ouvert beaucoup, beaucoup de portes. »

PHOTO FRANÇOIS BOUCHER, FOURNIE PAR VRAI

Patrick Esposito di Napoli

Un ex-Coloc a toutefois refusé de participer au projet. Au cœur d’un éternel conflit avec Réal Fortin, le frère de Dédé, le guitariste Mike Sawatzky a exigé qu’on brouille son visage sur toutes les images d’archives, révèle Jean-François Poisson.

Nostalgie 1990

Parlant d’images d’archives, le documentaire en contient plusieurs inédites, comme celles d’une des premières prestations des Sneakers, la formation pré-Colocs, captées en 1985 dans un champ. On peut également voir quelques séquences tournées au fameux 2116, cet immeuble délabré de Montréal, au coin de la rue Sherbrooke et du boulevard Saint-Laurent, où squattaient Dédé et compagnie avant d’obtenir du succès.

« C’étaient des années importantes. Un moment charnière. Une gang de jeunes insouciants qui faisaient le party ensemble… On sent une grande nostalgie quand ils évoquent cette période aujourd’hui », commente Jean-François Poisson.

PHOTO FRANÇOIS BOUCHER, FOURNIE PAR VRAI

André « Dédé » Fortin

À la veille du lancement de Dédé et Patrick : au-delà des étoiles, le réalisateur espère qu’il plaira non seulement au grand public, mais aussi aux témoins de l’époque qui s’y livrent. Un premier test s’est avéré concluant en juillet dernier, lorsque la bande-annonce du documentaire est sortie sur l’internet. Bande-annonce partagée par Mara Tremblay, accompagnée d’un message signalant à quel point elle était « honorée » d’y avoir participé.

« Ça m’a beaucoup touché, avoue le réalisateur. Ça m’a rassuré, aussi. Parce que tous ces gens m’ont fait confiance. Je devais assurer. »

Dédé et Patrick : au-delà des étoiles atterrit sur Vrai mardi.