Jill Niquet-Joyal fournit une réponse claire, nette et assurée lorsqu’on lui demande d’estimer le nombre de réalisatrices aux commandes, en solo, d’une grande émission de variétés au Québec : zéro. Son évaluation est toutefois erronée. Il n’y en a qu’une. Et c’est elle.

En prenant les rênes de l’énorme machine qu’est La voix, Jill Niquet-Joyal s’est aventurée en territoire largement dominé. Chanteurs masqués (Luc Sirois), Star Académie (Maxime Bissonnette-Théorêt), Zénith (Alain Chicoine), En direct de l’univers (Luc Sirois), le gala des Gémeaux (Daniel Vigneault), l’ADISQ (Jocelyn Barnabé)… Au cours des 12 derniers mois, ces émissions ont toutes été l’apanage des hommes. Et Révolution ? Le fruit d’une collaboration entre Maxime Bissonnette-Théorêt, responsable des numéros de danse sur scène, et Josiane Lamarre, qui s’occupe des segments dans les coulisses.

« C’est drôle quand on s’en rend compte, observe la femme de 38 ans. C’est comme un plafond de verre. »

Chez Réalisatrices équitables, un organisme qui vise l’équité derrière l’objectif, on parle aussi d’un « nouveau plafond de verre brisé », bien qu’actuellement, « ça semble l’exception qui confirme la règle ».

L’absence de réalisatrices au volant de plateaux d’importance ne date pas d’hier. En 2012, un rapport de recherche à l’initiative de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ) constatait qu’elles n’avaient pas accès aux productions plus costaudes.

Un boys club, la réalisation en variétés ? « Je suis dans ce domaine depuis que j’ai 21 ans, déclare Jill Niquet-Joyal. Je ne me suis jamais sentie bloquée ou évaluée différemment parce que j’étais une fille. J’ai toujours senti que je faisais partie du changement. »

Jill Niquet-Joyal l’admet candidement : les « lunettes roses » qu’elle aime porter teintent assurément le regard qu’elle porte sur l’industrie télévisuelle. Mais elle insiste : elle n’a pas l’impression d’évoluer dans « une chasse gardée masculine ».

C’est vrai que c’est presque juste des hommes de 50 ans qui font ces shows-là, mais je crois qu’ils sont tous heureux de voir une fille débarquer. J’ai toujours senti l’appui de tout le monde.

Jill Niquet-Joyal

Butinage

Jill Niquet-Joyal n’avait pas convié La Presse aux Studios MELS de Saint-Hubert, où elle tourne La voix, mais à Montréal, dans l’enceinte même de TVA, un endroit qu’elle a fréquenté chaque jour durant deux ans, lorsqu’elle réalisait La tour, avec Patrick Huard.

À l’observer se promener librement dans l’édifice du boulevard De Maisonneuve, on voit qu’elle s’y sent comme chez elle. Et lorsqu’on voit l’aplomb avec lequel elle relate son parcours, on l’imagine facilement diriger une équipe d’une cinquantaine de personnes.

« Je suis une passionnée de musique, précise-t-elle. Je suis née avec MusiquePlus. Je l’écoutais huit heures par jour. Les coffrets des Beatles, des Rolling Stones, de Pink Floyd, de Nirvana… J’ai tout acheté ça… En plus, évidemment, de consommer la musique de l’époque. Le Dance Mix 94, je l’achetais aussi. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Jill Niquet-Joyal

Jill Niquet-Joyal raconte avoir beaucoup « butiné » depuis sa sortie de l’École supérieure en art et technologie des médias (ATM) du cégep de Jonquière, en 2005. La native de Saint-François-du-Lac a touché aux téléréalités (Occupation double, Dans l’œil du dragon), aux magazines de voyage (99 envies d’évasion), aux émissions d’information (Téléjournal), ainsi qu’aux magazines culturels (Sucré salé).

Depuis quelque temps, elle rêvait toutefois de variétés. En fait, elle en rêve depuis son stage de fin d’études auprès du réalisateur Pierre Séguin (La petite vie, galas Juste pour rire), au cours duquel elle l’avait notamment aidé à capter le grand concert extérieur de DJ Champion au Festival de jazz. « Je me suis dit : “Je veux revivre ce moment. Je veux faire ça toute ma vie. » J’ai vraiment pogné de quoi. »

Voilà pourquoi l’appel de Productions Déferlantes, la boîte derrière La voix, est arrivé à point nommé, l’année dernière. « Quand mon téléphone a sonné, j’étais comme : “Oh shit !” Est-ce que c’est risqué ? Totalement. Est-ce que c’est vertigineux ? Complètement. Est-ce que j’ai tout ce qu’il faut pour y arriver ? Peut-être pas, mais je vais me débrouiller pour livrer. J’ai confiance. »

Coup de balai

Pour Jill Niquet-Joyal, La voix représentait un double défi, puisque l’offre de Déferlantes était également accompagnée d’une mission particulière : renouveler et redynamiser la populaire émission, qui revenait en ondes après une pause de deux saisons.

La voix, c’est un format rigide qui peut avoir un petit côté quétaine, avec son emballage riche en crémage à gâteau. C’est très formaté, très américanisé. Je savais que j’allais passer la hache dans quelques affaires !

Jill Niquet-Joyal

Ainsi, Jill Niquet-Joyal a entamé une opération épurage. De l’habillage graphique aux prestations des candidats en passant par l’éclairage, la réalisatrice souhaitait « retourner à l’essentiel ».

« Au Québec, en variétés, on focalise beaucoup sur l’artiste. Mais quand on va voir un concert en salle, c’est rare qu’on regarde juste la personne qui chante. S’il y a une passe de basse, on regarde la basse. S’il y a une passe de drum, on regarde le drum. On fait son propre découpage. C’est ce que j’ai voulu faire cette saison : montrer le band. On est allés chercher les meilleurs musiciens au monde. On veut les voir jouer !

« Je veux donner des clés aux téléspectateurs pour qu’ils ressentent le plus d’émotions possible, ajoute-t-elle. Ça passe par l’animateur, les coachs, le candidat, son histoire, sa famille et surtout, la musique. »

PHOTO BERTRAND EXERTIER, FOURNIE PAR TVA

La voix

Le « coup de balai » donné par Jill Niquet-Joyal n’a pas réussi à freiner l’érosion des cotes d’écoute du rendez-vous dominical. En 2020, La voix affichait une moyenne de 1 850 000 fidèles. Depuis son retour en janvier, ce nombre s’élève à 1 675 000, selon Numéris. Le concours musical trône cependant au sommet du palmarès des émissions les plus regardées au Québec et affiche des résultats supérieurs aux deux dernières éditions de Star Académie. Mission accomplie.

« Jill, c’est la relève en variétés, souligne Jean-Philippe Dion, vice-président, Contenu et stratégie, chez Déferlantes. Elle a insufflé une nouvelle vision à l’émission, un vent de jeunesse. »

Pour moi, c’est une grande fierté qu’une femme dirige un aussi gros plateau en variétés. Surtout que c’est une première.

Jean-Philippe Dion

Passer la puck

L’aventure La voix est loin d’être terminée pour Jill Niquet-Joyal. Les rondes préliminaires (auditions à l’aveugle, chants de bataille et duels) étant déjà enregistrées et montées, la réalisatrice prépare actuellement l’étape des directs, qui débutera le 19 mars et qui l’énerve et l’excite passablement.

Depuis deux semaines, elle tourne également la compétition culinaire Les chefs, qui reviendra sur ICI Télé au printemps. Pour cette 12saison, elle s’est entourée d’Audrey Potvin, qui réalisera cinq épisodes. « C’est à mon tour de donner au suivant, lance la jeune vétérane. Quand tu réalises, il faut que tu sois capable de passer la puck. »

La voix est présentée à TVA le dimanche, à 19 h 30.