Ce jeudi, Trevor Noah offrira ses adieux télévisuels à son public du Daily Show, le talk-show de Comedy Central où il sévit à titre d’animateur depuis septembre 2015.

Lorsque le nom de ce stand-up sud-africain a été dévoilé comme successeur de Jon Stewart, davantage de scepticisme que d’enthousiasme a fait surface. De fait, les paris ne penchaient guère en faveur du succès de ce quasi-inconnu de 30 ans, choisi pour occuper une place si en vue, dans le circuit des talk-shows de fin de soirée états-uniens. Et le quasi-inconnu en question s’était dit peu intéressé par le convoité poste.

Sept ans plus tard – après l’ère Trump, la pandémie, l’affaire George Floyd et une nouvelle sensibilité aux enjeux raciaux qui touchent des États-Unis de plus en plus polarisés –, Trevor Noah n’a plus à défendre sa place sous les projecteurs. Son récit autobiographique Born a Crime a été chaleureusement accueilli. Il a été vu au bras de Dua Lipa, s’affiche sur Instagram en compagnie des Will Ferrell et Will Smith. En 2021, au plus creux de la pandémie, il a animé la cérémonie des Grammy.

Et voilà qu’il plie bagage, retournant à ses anciennes amours : la scène. Son appartement-terrasse new-yorkais a été mis en vente pour 13 millions. À compter de janvier, il reprend la route de la tournée internationale.

Trevor Noah laisse un legs fortement empreint de ses origines mixtes sud-africaines. Et son départ n’est provoqué ni par un scandale ni par la lassitude du public. « J’ai réalisé qu’après ces sept années, mon temps était écoulé. Peut-être que ça vient du fait de ne pas avoir été élevé en Amérique, mais je crois que tout doit avoir une fin. Pour de nombreuses entreprises de médias américaines, la pratique est de faire durer les choses le plus longtemps possible. Mais je pense qu’il est sain que les choses se terminent lorsqu’elles sont encore dans un bon état », a dit Trevor Noah récemment au Hollywood Reporter.

De la diversité en fin de soirée

Avant de prendre le relais de Jon Stewart, Trevor Noah s’était surtout fait connaître en tant qu’humoriste à la sensibilité cosmopolite. Sur les scènes de Montréal, de Johannesburg ou d’Édimbourg, il faisait un tabac avec ses imitations de Mandela, ses récits aussi poignants que comiques sur son enfance à Soweto, son don pour prendre toutes sortes d’accents et ses impitoyables imitations d’Américains stéréotypés. Lui-même semblait le premier étonné par sa popularité : c’est un peu par erreur qu’il est devenu humoriste, ayant été découvert dans une soirée de micro ouvert de Johannesburg où il était venu encourager un ami qui avait des velléités d’humoriste.

Jeune humoriste pour qui le vaste monde semblait être un terrain de jeu, Trevor Noah racontait sur la scène, avec une désinvolture non sans sensibilité, des situations inconcevables qu’il a vécues dans l’Afrique du Sud de l’apartheid. Plus tard, dans Born a Crime, il est entré plus dans le détail de son enfance déchirante, comme enfant d’une mère noire et d’un père blanc, à qui la loi interdisait de vivre sous le même toit que ses deux parents.

Son expérience sur le sol américain a apporté une profondeur à son travail de satiriste social.

Si Jon Stewart a pris position contre les politiques de George W. Bush (surtout face à l’invasion de l’Irak), Trevor Noah a poursuivi le travail en teintant ses blagues à teneur critique de son expérience personnelle de la division raciale et économique qui s’agrandit.

« En vivant dans cette période en Amérique […], je suis témoin de plusieurs choses semblables à ce que nous avons vécu en Afrique du Sud. Le chômage de masse, un gouvernement qui ne semble pas avoir les intérêts du peuple à cœur. Des gens qui sont de plus en plus en colère », a-t-il confié en entrevue au Los Angeles Times, en août 2020.

En sept ans à la barre d’une quotidienne prisée des amateurs d’humour à saveur critique, Trevor Noah a ratissé large et utilisé sa tribune pour s’exprimer franchement et librement sur la politique et la société américaines. Avec son humour teinté de finesse et porté vers l’absurde, il a surtout aiguisé ses dents de satiriste par ses observations et commentaires des dérives de l’administration Trump, qu’il n’a pas hésité à comparer aux Jacob Zuma, Idi Amin et Robert Mugabe.

« Étant donné que la scène satirique de la télévision de fin de soirée aux États-Unis reste peuplée d’hommes blancs, Noah a offert un point de vue africain “noir” unique sur les questions qui touchent les Noirs américains. Il a également fait preuve de lucidité lorsqu’il a abordé les questions qui ont un effet sur l’Afrique et les Africains », a récemment écrit l’intellectuel sud-africain Gibson Ncube, dans un texte publié dans La Conversation Afrique.

Au-delà de l’info spectacle

En plus de succéder à Jon Stewart, Trevor Noah s’inscrit en continuité avec les satires du bulletin d’information dans l’esprit des British Spitting Image, des Guignols de l’info en France ou de La fin du monde est à 7 heures au Québec. D’ailleurs, sous sa direction, le Daily Show a souvent pris des tournures graves. Comme au moment où il a pris la parole pendant neuf minutes pour évoquer la réalité des tensions raciales aux États-Unis, au lendemain de l’assassinat de George Floyd. Ou lorsqu’il a longuement interviewé le DAnthony Fauci.

Trevor Noah a aussi attiré des téléspectateurs afrodescendants, comme l’a démontré une étude de Nielsen Media Research de 2017 : si 84,5 % de l’auditoire de Jon Stewart était blanc, la situation s’est renversée avec l’arrivée en poste de Trevor Noah. Ce dernier a perdu 40 % des téléspectateurs blancs et rallié 16 % de plus de fans noirs que son prédécesseur. « Tu n’es pas là parce que tu es le plus drôle. Tu es là parce que tu es le plus intéressant », lui a un jour confié son ami et mentor Dave Chappelle.

Chose certaine, le paysage des talk-shows de fin de soirée ne sera plus le même sans la présence de son unique animateur noir et africain. Non seulement Trevor Noah est-il profondément branché sur une culture vaste, mais il était aussi celui dont l’auditoire était le plus jeune.