Aucune réconciliation avec les premiers peuples n’est possible si aucune relation n’est d’abord établie avec la majorité, estime la réalisatrice abénaquise Kim O’Bomsawin. Sa série Laissez-nous raconter tend la main en invitant les téléspectateurs à tendre l’oreille à ce que les 11 peuples autochtones du Québec ont à dire d’eux-mêmes et de notre histoire commune.

L’envergure de la série Laissez-nous raconter se traduit par des chiffres impressionnants : quatre ans de travail, de la recherche au montage, 75 jours de tournage, une centaine de protagonistes issus d’environ 30 villages et communautés. « Tout ça permet de présenter une série où, pour la première fois, les gens des 11 premiers peuples du Québec vont se répondre et donner un portrait sincère de ce que nous sommes », souligne la réalisatrice Kim O’Bomsawin lors d’une conférence de presse pour présenter la série.

IMAGE TIRÉE DU DOCUMENTAIRE LAISSEZ-NOUS RACONTER

Scène du documentaire Laissez-nous raconter

Sa série, découpée en quatre épisodes, propose un portrait à la fois vaste et intime des premiers peuples qui, pour une rare fois, ont l’occasion de raconter l’Histoire et leurs histoires de leur point de vue. « C’est une série de cœur où il n’y a pas d’experts, poursuit la réalisatrice abénaquise. Les experts, ce sont les gens. »

Le premier épisode s’intéresse au territoire et souligne l’importance qu’il a sur le plan politique, mais aussi intime pour les premiers peuples tant la nature fait partie de leur identité.

« Tout ce qui nous entoure est en vie. Tout ce qui nous entoure mérite le respect », rappelle l’animateur et comédien Brad Gros-Louis dans le documentaire, qui parlera aussi de culture, d’identité et de « réparation ».

Avant l’arrivée de Jacques Cartier, les premiers peuples cohabitaient sur ce territoire qui les nourrissait. « Nos ancêtres n’ont jamais fonctionné avec un tape à mesurer », souligne Éloïse Tremblay (Innue), qui participe au documentaire. La colonisation n’a pas seulement mis à mal la cohabitation et la collaboration entre les différentes communautés, elle les a aussi dépossédées de leurs milieux de vie, jusqu’à les enfermer dans des réserves.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Kim O’Bomsawin

Ce qui ressort, malgré tout, ce n’est pas de la rancœur. Plutôt la valorisation de l’esprit de partage qui animait et continue d’animer les premiers peuples. « On ne se met pas des lunettes roses : on va à des endroits qui ont fait très mal à nos peuples, mais on s’attarde davantage à ce qu’on est en train de se réapproprier, indique Kim O’Bomsawin. C’est une série qui célèbre nos cultures, mais aussi notre résistance et qui démontre que nos voix méritent d’être entendues, qu’on a beaucoup à apporter à la société. »

L’envie de montrer de la lumière s’est imposée non seulement pour faire contrepoids aux discours médiatiques qui mettent en général l’accent sur les problèmes des premiers peuples, mais aussi parce que cela reflète ce qu’elle constate dans les communautés. « Ce sont des gens accueillants, qui nous invitent à manger, à partager, à raconter des histoires, dit-elle. C’est cet accès-là que je veux donner aux gens. »

Se faire entendre

Comme Kim O’Bomsawin, Quentin Condo, qui apparaît dans Laissez-nous raconter, constate une renaissance des premiers peuples au Québec. Il croit que c’est l’un des effets positifs de l’internet et de l’émergence des réseaux sociaux, qui permettent aux citoyens issus des premiers peuples de parler en leur nom sans que cela passe par le filtre des médias traditionnels. « On a une chance [de se faire entendre] », se réjouit-il, en conférence de presse. D’autant qu’il a le sentiment que les gens sont curieux de leurs histoires.

Kim O’Bomsawin croit d’ailleurs que c’est en « rectifiant l’histoire » que le racisme et les préjugés envers les premiers peuples finiront par cesser.

L’air du temps lui semble d’ailleurs favorable à l’établissement d’un dialogue : elle perçoit de l’ouverture tant chez les non-autochtones que chez les autochtones. « Nos communautés sont rendues à une étape de guérison assez avancée. Elles sont portées vers l’avenir, constate-t-elle. La fierté d’être membre des premiers peuples est revenue. »

Et de plus en plus de voix se font entendre dans les différents domaines artistiques comme en politique. Aux dernières élections provinciales, on comptait d’ailleurs un nombre record de candidats issus des premiers peuples et, pour la toute première fois, le Québec compte une ministre aux racines autochtones : Kateri Champagne Jourdain, sur qui la réalisatrice fonde beaucoup d’espoirs.

L’une des urgences, selon Kim O’Bomsawin, est la protection des langues autochtones. « M. Legault nous a promis une loi 101, ça presse, dit-elle. Je pense qu’il n’y a pas mieux que les Québécois pour le comprendre. […] J’espère que Mme Jourdain va s’attaquer à la question. J’ai beaucoup d’attentes, c’est sûr. »

Laissez-nous raconter, les samedis à 21 h, sur ICI Télé à compter du 19 novembre