Avec Désobéir : le choix de Chantal Daigle, les intentions d’Alexis Durand-Brault sont claires : ériger en héroïne la Québécoise qui s’est battue jusqu’en Cour suprême pour faire valoir son droit d’avorter en 1989. « Elle devrait avoir une rue, une statue à son nom », déclare le réalisateur.

En attendant de pouvoir circuler sur l’avenue Chantal-Daigle ou d’admirer une sculpture la représentant au beau milieu d’un parc, Alexis Durand-Brault poursuit jusqu’au 22 octobre à Montréal le tournage d’une minisérie qui retrace son sinueux parcours, lorsqu’elle tombe amoureuse puis enceinte de Jean-Guy Tremblay, un homme qui se révélera manipulateur et agressif. Destiné à Crave, le drame signé Daniel Thibault et Isabelle Pelletier (Ruptures, Mirador) montrera comment, après leur rupture, le mécanicien, blessé dans son orgueil et désireux de maintenir leur relation, saisira les tribunaux pour empêcher Daigle d’interrompre sa grossesse, un acte qui avait pourtant été décriminalisé l’année précédente.

L’affaire fera couler beaucoup, beaucoup d’encre au pays et relancera le débat sur l’avortement. « Cette petite fille de 21 ans a tenu tête à tout le monde, à tous les groupes de pression, aux tribunaux… Moi, je sais que j’aurais choké devant l’attention médiatique », indique Alexis Durand-Brault lors d’une pause de tournage.

« C’est une héroïne et on n’en parle pas assez. J’espère qu’en regardant la série, les jeunes vont voir à quel point les femmes, et l’être humain en général, doivent beaucoup à cette fille, qui a fait quelque chose d’extraordinaire. »

Sur le plateau de tournage de Désobéir : le choix de Chantal Daigle
  • Visite du plateau de Désobéir : le choix de Chantal Daigle. Le réalisateur Alexis Durand-Brault, entouré des acteurs Éléonore Loiselle (Chantal Daigle) et Antoine Pilon (Jean-Guy Tremblay).

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Visite du plateau de Désobéir : le choix de Chantal Daigle. Le réalisateur Alexis Durand-Brault, entouré des acteurs Éléonore Loiselle (Chantal Daigle) et Antoine Pilon (Jean-Guy Tremblay).

  • L’actrice Éléonore Loiselle (Chantal Daigle)

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    L’actrice Éléonore Loiselle (Chantal Daigle)

  • Les acteurs Antoine Pilon (Jean-Guy Tremblay) et Éléonore Loiselle (Chantal Daigle)

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    Les acteurs Antoine Pilon (Jean-Guy Tremblay) et Éléonore Loiselle (Chantal Daigle)

  • Le réalisateur Alexis Durand-Brault

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    Le réalisateur Alexis Durand-Brault

  • L’acteur Antoine Pilon (Jean-Guy Tremblay)

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    L’acteur Antoine Pilon (Jean-Guy Tremblay)

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Coiffée (du volume, beaucoup de volume), maquillée (fard à joues qui remonte jusqu’aux tempes, rouge à lèvres rose pastel) et costumée (vive les épaulettes !) au diapason des années 1980, Éléonore Loiselle, qui incarne Chantal Daigle à l’écran, fait écho aux commentaires du réalisateur en qualifiant la protagoniste de « très, très, très grande femme ».

Je trouve ça dommage qu’elle ait été aussi vite oubliée. J’espère pouvoir lui rendre justice. Pour tout ce qu’elle représente.

Éléonore Loiselle, qui incarne Chantal Daigle

De son propre aveu, la comédienne de 21 ans, qu’on peut notamment voir dans L’échappée à TVA, n’avait jamais entendu parler de l’arrêt Tremblay c. Daigle avant d’être conviée aux auditions de Désobéir.

« Je suis fâchée ! J’aurais dû connaître cette histoire ! Pourquoi on ne m’en a pas parlé à l’école ? Pourquoi on n’en parle pas à l’école ? Aucune idée. C’est tellement important. Pour notre mémoire collective. Il y a encore un tabou sur l’avortement. Il y a comme un silence. Je suis contente qu’on en parle de façon aussi profonde et concrète. »

Un rôle dur à porter

Mercredi, le plateau de Désobéir s’était déplacé au Mamma Mia, un restaurant italien du quartier Notre-Dame-de-Grâce. La Presse a assisté au tournage d’une scène durant laquelle Jean-Guy Tremblay, jaloux et possessif, dérange Chantal Daigle au travail pour l’encourager à quitter son boulot, histoire de l’isoler davantage.

« Jean-Guy a toujours voulu contrôler son entourage, souligne son interprète, le comédien Antoine Pilon (Entre deux draps, Pour toi Flora). Sa manière de gagner le contrôle, c’était en mentant, en manipulant, en étant violent. »

Aux dires d’Alexis Durand-Brault, Antoine Pilon « s’est imposé au premier casting » pour camper Tremblay.

C’est le seul acteur qui n’a pas eu peur du rôle. Dès le départ, j’ai vu qu’il n’avait pas peur d’être ce que Jean-Guy Tremblay était, c’est-à-dire un homme un peu niaiseux, vulgaire, pas très intelligent. Il a assumé c’était quoi, être vulgaire, macho, prétentieux, lâche… Ce n’est pas très glorieux.

Alexis Durand-Brault, au sujet d’Antoine Pilon

« C’est un rôle dur à porter. Mais Antoine y est allé à fond. Il est rentré dedans avec toute son énergie. Il n’a pas essayé de l’adoucir », poursuit le réalisateur.

Le réalisateur, qui produit la série avec Sophie Lorain, n’a aussi que de bons mots pour Éléonore Loiselle, qu’il décrit comme une comédienne incroyable.

« Je crois sincèrement qu’elle va devenir une des plus grandes actrices du Québec et qu’on va probablement la perdre quand elle va s’en aller en France. Elle est tellement talentueuse. Toute l’équipe est sous son charme, d’ailleurs. Sa candeur, sa fraîcheur, son intelligence émotive, sa capacité à absorber les choses… Dans toute ma vie, c’est une des personnes avec qui j’ai préféré travailler. »

Toujours d’actualité

Mise en chantier en 2018, la série Désobéir : le choix de Chantal Daigle atterrira en ligne au printemps 2023, moins d’un an après l’annulation du droit à l’avortement aux États-Unis, après le renversement de l’arrêt Roe c. Wade. Selon Alexis Durand-Brault, l’actualité américaine confirme la pertinence de revisiter ce chapitre de l’histoire du Québec.

« Ce qui arrive aux États-Unis, c’est épouvantable. C’est sans nom. Mais ça ne tient pas à grand-chose non plus ici. Encore aujourd’hui, il n’y a aucune loi sur l’avortement au Canada. Tout est basé sur Tremblay c. Daigle. C’est la jurisprudence qui fait la job. Aucun gouvernement n’a eu le guts de faire une loi officiellement. »

« Jean-Guy Tremblay, c’est un pauvre type, mais le gros problème, c’est le système de justice. Ce sont les vrais coupables de cette histoire. Deux fois plutôt qu’une, on a permis à l’injonction [de Tremblay] de subsister. La Cour supérieure, puis la Cour d’appel. La magistrature québécoise l’a échappé deux fois. Et solidement. »