Jennifer Lopez, Janet Jackson, Shania Twain, Sheryl Crow, Jane Birkin, Diam’s, Sinead O’Connor, Selena Gomez… Les documentaires musicaux qui s’intéressent aux chanteuses foisonnent. Une flambée attribuable au boom du pop féminisme, ainsi qu’au désir de corriger certaines inégalités du passé, estiment les experts.

Cette année, le blitz de docus musicaux « au féminin » a commencé en janvier avec l’arrivée sur A & E de Janet, une minisérie de quatre épisodes dans laquelle la sœur de Michael Jackson relatait son parcours en montagnes russes, notamment sa prestation au 38e Super Bowl, durant laquelle son sein droit à demi dénudé est apparu (pendant une fraction de seconde) en pleine télé. Sont ensuite sortis Jane par Charlotte, un portrait intime et pudique de Jane Birkin réalisé par sa fille Charlotte Gainsbourg, et Sheryl, un long métrage du réseau Showtime (offert sur Crave au Canada) qui retrace la carrière de Sheryl Crow.

Netflix participe également au phénomène. La plateforme a lancé Halftime sur Jennifer Lopez, et Not Just a Girl sur Shania Twain. On peut aussi relever Salam, sur l’ex-rappeuse française Diam’s (paru dans l’Hexagone en juillet) et Nothing Compares, qui décortique la carrière de Sinead O’Connor jusqu’en 1993. Et dans moins d’un mois, Apple TV+ servira Selena Gomez : My Mind & Me, d’Alek Keshishian, le réalisateur du célèbre Madonna : Truth or Dare, paru en 1991.

PHOTO FRANK OCKENFELS, FOURNIE PAR APPLE

Dans moins d’un mois, Apple TV+ proposera un documentaire sur Selena Gomez.

Cette explosion avait commencé en 2021. Alanis Morissette (Jagged), Tina Turner (Tina), Billie Eilish (The World’s a Little Blurry), Demi Lovato (Dancing With the Devil), Angèle (Angèle), Pink (All I Know so Far) et Britney Spears, trois fois plutôt qu’une (Framing Britney Spears, Britney vs Spears, Controlling Britney Spears), s’étaient toutes retrouvées au cœur de productions semblables.

PHOTO JORDAN STRAUSS, INVISION/ASSOCIATED PRESS

Britney Spears a fait l’objet de trois documentaires en 2021.

Rattrapage

Comment expliquer cette soudaine recrudescence ? L’animateur Mike Gauthier croit qu’il pourrait s’agir d’une sorte de rattrapage. Observateur du paysage culturel depuis 40 ans, le journaliste et chroniqueur rappelle notamment l’existence des fameux Behind the Music du réseau américain VH1, ces mini-documentaires d’une heure, articulés autour d’un artiste différent chaque semaine, que MusiMax présentait en version française (Musicographies) au tournant du millénaire. D’après un bref recensement, les chanteuses et groupes féminins étaient représentés dans seulement 25 % des épisodes.

« La proportion de gars était beaucoup plus élevée. Les femmes avaient beaucoup moins de place. »

Pour Anouk Bélanger, professeure et directrice au doctorat en communication à l’UQAM, ces docus abondent et rallient un large auditoire parce qu’ils exploitent le filon du pop féminisme, une idée « assez populaire depuis deux, trois ans ».

Ça marche, ce canal d’inspiration. En plus, ça vient de femmes qui sont belles, riches et populaires.

Anouk Bélanger, professeure et directrice au doctorat en communication à l’UQAM

« Ces documentaires beurrent épais et suivent presque tous la même trame, poursuit Anouk Bélanger. C’est presque toujours cette petite fille, the girl next door [la fille d’à côté], qui s’élève au-dessus de tout le monde pour devenir une star planétaire. C’est un success-story [un exemple de réussite] qui appartient au concept du rêve américain, qui fonctionne encore bien aujourd’hui, parce qu’il vient redoubler l’idéologie néo-libérale, selon laquelle le succès de chacun repose d’abord et avant tout — sinon entièrement — sur l’effort individuel. »

Un outil promotionnel

La nouvelle vocation promotionnelle des documentaires musicaux explique également leur foisonnement, tout comme la multiplication des plateformes de diffusion en continu, qui cherchent constamment à abreuver leurs abonnés de nouveaux contenus.

La sortie du documentaire sur Shania Twain s’accompagnait du lancement d’une nouvelle chanson du même titre (Not Just A Girl). Janet Jackson a aussi profité de l’engouement suscité par l’entrée en ondes de Janet pour proposer une pièce inédite intitulée Luv I Luv, qu’on pouvait d’ailleurs entendre au générique de clôture du dernier épisode.

PHOTO TIRÉE DE NETFLIX

Shania Twain

« Les documentaires sont devenus des outils promotionnels, c’est évident », observe Anouk Bélanger.

Pour les artistes, c’est souvent un tremplin pour relancer leur carrière et raviver l’intérêt envers eux. Ça fait l’affaire de tout le monde : des plateformes, des maisons de disques, des artistes…

Mike Gauthier

Au Québec

Bien qu’elle tarde à frapper le Québec, cette vague de documentaires musicaux articulés autour d’artistes féminines a néanmoins inspiré Sophie Proulx-Lachance lorsqu’elle s’est mise à plancher sur Elisapie – Faire face à la musique, son film sur l’auteure-compositrice-interprète inuk, qu’ICI ARTV a diffusé l’an dernier. Jointe au téléphone, la réalisatrice affirme avoir pris modèle sur Miss Americana (Taylor Swift), Homecoming (Beyoncé) et What Happened, Miss Simone ? (Nina Simone), tous trois offerts sur Netflix.

PHOTO FOURNIE PAR ICI ARTV

Elisapie Isaac dans Elisapie – Faire face à la musique

Selon Sophie Proulx-Lachance, les docus musicaux jouissent actuellement d’une grande popularité parce qu’ils exposent « le côté humain derrière la chanteuse ».

« Quelques-uns montrent la force, la puissance, mais beaucoup montrent la vulnérabilité. Est-ce que c’est quelque chose qui nous attire ? Je ne sais pas. Mais c’est quelque chose qui nous fascine, visiblement. Britney Spears n’intéressait plus personne depuis longtemps, et tout d’un coup, parce qu’on la voit qui s’effondre, tout le monde s’est remis à porter attention. »