Vincent-Guillaume Otis a réalisé l’ampleur du phénomène District 31 lors d’un appel téléphonique de routine, quand un inconnu l’a démasqué rien qu’en entendant sa voix. « Vous êtes Patrick Bissonnette dans District 31 ! »

Ce point de bascule est survenu quelques mois après l’entrée en ondes du feuilleton sur ICI Télé, alors qu’on était encore loin des cotes d’écoute quotidiennes avoisinant les 1,8 million de téléspectateurs qu’on observe maintenant.

Pour l’acteur, cet épisode marque « un gros switch ». Et pourtant, son curriculum vitæ était plutôt étoffé avant l’entrée en ondes du drame policier. En plus d’avoir joué dans plusieurs pièces de théâtre, il comptait des rôles dans une quinzaine de séries télé (Ruptures, Musée Éden, Série noire) et presque autant de longs métrages (Babine, Gabrielle).

« J’avais toujours travaillé, mais je n’avais jamais été quelqu’un d’extrêmement populaire. Quand les gens reconnaissaient mon visage, j’étais le cousin éloigné, le gars avec qui ils étaient allés au secondaire… Et chaque fois, j’étais comme : “Non, non, non. Je suis un acteur.” District a tout changé. »

En examinant l’évolution des cotes d’écoute de l’œuvre de Luc Dionne, on comprend mieux les raisons qui expliquent l’importante transformation qu’elle a opérée.

D’après les données de Numéris, la série a débuté le 12 septembre 2016 devant 983 000 curieux. Après une année, elle rejoignait une moyenne de 1 213 000 amateurs. Après deux ans, c’était 1 402 000. Après trois ans, 1 585 000…

Directrice de comptes, activation médias chez Cossette Média, Isabelle Fournier parle d’un « phénomène particulier », non seulement parce qu’elle n’a jamais connu de baisse d’auditoire, mais aussi parce qu’il s’agit d’une quotidienne.

Certaines émissions, comme Les beaux malaises et Chanteurs masqués, sont capables d’aller rejoindre autant de personnes, mais elles sont présentées une fois par semaine et pendant seulement quelques mois. District 31, c’est chaque jour, et pendant toute l’année.

Isabelle Fournier, directrice de comptes, Cossette Média

Autre preuve du caractère « particulier » des performances de District 31 : elle domine également le classement des émissions préférées des hommes québécois francophones, tous réseaux confondus. Du lundi au jeudi à 19 h, elle obtient une part de marché de 48 % auprès du public masculin.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Les producteurs Fabienne Larouche et Michel Trudeau, lors d’une visite du plateau de tournage de District 31, en octobre 2016

« Si tu veux faire des cotes d’écoute aujourd’hui, va chercher les gars de 20 à 40 ans, affirme Michel Trudeau, qui produit la série avec Fabienne Larouche chez Aetios. Quand tu vas chercher ce groupe, tu vas chercher plein de monde. »

Le dernier grand succès ?

District 31 pourrait atteindre un nouveau sommet jeudi, lorsque Radio-Canada présentera son 720e et dernier épisode. Après des années de domination, il s’agirait d’adieux triomphaux.

Reverra-t-on un succès d’une telle magnitude au petit écran ? Les experts s’avouent sceptiques. « Globalement, l’écoute baisse, souligne Isabelle Fournier chez Cossette Média. On garde les 55 ans et plus, mais on perd les plus jeunes, qui regardent de moins en moins la télévision. »

Directeur de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, Pierre Barrette parle d’une réédition peu probable, non seulement en raison du nombre croissant de personnes qui délaissent la télévision traditionnelle, mais aussi, surtout, en raison des qualités intrinsèques de District 31.

C’est un art, être capable d’écrire une quotidienne qui accroche un aussi grand nombre de gens. C’est ce qui m’a toujours fasciné dans l’écriture de Luc Dionne : elle ratisse très large. Il sait concocter des intrigues extrêmement intéressantes ancrées dans des personnages qu’on a envie de suivre. L’équipe qu’il formait avec Fabienne Larouche, elle va être difficile à battre.

Pierre Barrette, directeur de l’École des médias de l’UQAM

Avec humilité, Luc Dionne exprime beaucoup plus d’optimisme. « Ce n’est pas la fin du monde, ce qu’on a fait. La mayonnaise a pogné pour un paquet de raisons : c’est 20 ans d’expérience en quotidiennes pour Fabienne, 30 ans d’écriture pour moi, un casting parfait… Tout est possible. »

Même son de cloche du côté de Radio-Canada. La directrice générale, télévision, du diffuseur public, Dany Meloul, semble confiante.

« À chaque génération, une série à laquelle tout le monde adhère jaillit et surprend tout le monde. Est-ce qu’il y en aura d’autres ? Je pense que oui. Au nombre de fictions qu’on produit au Québec, je trouve qu’on a d’excellentes chances. »

Chose certaine, la pression entourant les quotidiennes actuellement en préparation est énorme. En septembre, TVA proposera le drame judiciaire Indéfendable avec Sébastien Delorme et Anne-Élisabeth Bossé, tandis que Radio-Canada offrira une série médicale mettant en vedette Suzanne Clément.

« L’auditoire va probablement être séparé en deux, estime Isabelle Fournier. Le téléspectateur ne pourra pas regarder chacune des séries assidûment. Parce qu’une quotidienne, c’est très engageant. »

Une aura spéciale

Vincent-Guillaume Otis n’est pas l’unique comédien à avoir constaté une différence entre l’avant et l’après-District 31. Nouvelle recrue depuis octobre, Sébastien Huberdeau, qu’on connaissait notamment pour Polytechnique, Tu m’aimes-tu ? et 30 vies, évoque des visites au Costco « transformées ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Sébastien Huberdeau

« Même avec un masque et une casquette, les gens me spottent ! s’exclame l’interprète du sergent-détective Manuel Dupuis. C’est quand même impressionnant. Les gens écoutent beaucoup ça ! »

Ayant précédemment incarné la détenue Michèle Paquette dans Unité 9, un autre succès monstre, Catherine Proulx-Lemay savait dans quoi elle s’embarquait quand elle s’est emparée du rôle de l’enquêtrice Florence Guindon en 2019. En entrevue, l’actrice parle de « l’aura District 31 ».

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Catherine Proulx-Lemay

Les gens ont l’impression qu’ils nous connaissent. Et c’est compréhensible ; on est dans leur salon quatre soirs par semaine. Je trouve que c’est beau.

Catherine Proulx-Lemay

Malgré des rôles moins centraux, Frédéric Cloutier et Ralph Prosper peuvent aussi témoigner du rayonnement de l’émission. Le premier, qui campe le sergent de relève Jérôme Langevin, a ressenti l’effet de manière quasi instantanée.

« J’ai un personnage peut-être moins important, mais après quelques semaines seulement, les gens se retournaient. Aujourd’hui, quand je parle à mes enfants dans une file d’attente, les gens se retournent parce qu’ils reconnaissent ma voix. »

Prosper, qui incarne François Asselin, le policier à l’accueil, ne croyait pas qu’avec un rôle aussi petit, il attirerait l’attention.

« La première fois, c’est un gars au gym. Il m’a dit : “Toi, j’te connais… Ah ben oui ! T’es sur District !” C’est là que ça m’a frappé : je vivais dans une autre réalité. »

Est-ce que District 31 traversera les époques et deviendra une série culte ? Jeff Boudreault, qui campe le journaliste Jean Brière, croit que oui. « Dans 25 ans, je pense qu’on va parler de District 31 comme on parle encore de La petite vie ou des Filles de Caleb. »

L’évolution de l’auditoire

  • Saison 1 : 1 213 000 téléspectateurs / Part de marché : 36,3 %
  • Saison 2 : 1 402 000 téléspectateurs / Part de marché : 42,1 %
  • Saison 3 : 1 585 000 téléspectateurs / Part de marché : 45,7 %
  • Saison 4 : 1 769 000 téléspectateurs / Part de marché : 47,5 %
  • Saison 5 : 1 799 000 téléspectateurs / Part de marché : 49,7 %
  • Saison 6 : 1 762 000 téléspectateurs / Part de marché : 50 %

Source : Numéris (PPM)

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