Nous sommes en 2009. Chuck Hughes s’apprête à enregistrer Chuck’s Day Off, son premier projet télé, lorsqu’une styliste l’apostrophe dans les coulisses : « Va falloir te trouver un chandail à manches longues pour couvrir tes tattoos. Tu n’iras pas à la télé de même ! »

Alors âgé de 33 ans, le chef et copropriétaire du Garde Manger accueille cette demande avec consternation. Heureusement, la situation se résorbe quelques minutes plus tard, lorsque la productrice de l’émission intervient pour permettre à Chuck de procéder au tournage en t-shirt, tatouages bien exposés.

« À l’époque, certaines personnes avaient encore cette idée un peu française du chef cuisinier, avec la toque blanche, le tablier, etc. Mais je disais : “Si tu allais voir en cuisine, tu verrais qu’il y a pas mal plus de gens comme moi” », raconte Chuck Hughes en entrevue.

Cette anecdote montre combien l’image publique des chefs s’est transformée au cours des dernières décennies au Québec. Une évolution en partie attribuable au temps d’antenne colossal qu’on leur accorde.

Leur omniprésence médiatique perdure ce printemps. Un seul coup d’œil au guide télé suffit pour s’en rendre compte.

Depuis deux semaines, la plateforme Vrai relaie Bienvenue chez Chuck, une série tournée au chalet familial de Chuck Hughes, en Estrie, dans laquelle il cuisine des plats en exploitant des produits locaux.

Depuis lundi, TVA diffuse la première saison de Chefs de bois, une compétition pilotée par Mathieu Baron et jugée par Martin Picard qui rassemble – en forêt – 10 chefs du Québec. La deuxième saison sera offerte en exclusivité sur Vrai à partir du 12 avril.

Le 10 mai, le service de vidéo sur demande de Québecor proposera la nouveauté Resto Pop-Up avec Hakim Chajar, le gagnant des Chefs en 2014.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

L’animatrice des Chefs, Élyse Marquis, avec Normand Laprise, Isabelle Deschamps Plante, Pasquale Vari, Jean-Luc Boulay et Colombe St-Pierre

Parlant des Chefs, la téléréalité pilotée par Élyse Marquis reprendra l’antenne d’ICI Télé le 18 avril avec Colombe St-Pierre en remplacement de Daniel Vézina.

Au Canada anglais, Food Network présente depuis quelques jours Wall of Bakers, compétition de pâtissiers amateurs dotée d’un panel de 12 chefs canadiens dont Ricardo Larrivée et Patrice Demers font partie.

PHOTO KATIA TAYLOR

Wall of Bakers avec Ricardo et Patrice Demers

On peut également mentionner Aide demandée avec Louis-François Marcotte (ICI Tou.tv Extra), Un chef à la cabane (Télé-Québec), Cinq chefs dans ma cuisine avec Marina Orsini (ICI Télé), Station Potluck avec Stefano Faita (Zeste), L’avant-match des foodies avec Martin Juneau (Zeste) et Trois fois par jour & vous avec Marilou (TVA).

Une progression fulgurante

Aux premières loges du phénomène depuis ses débuts à l’émission de Josée di Stasio à Télé-Québec en 2003, Patrice Demers parle d’une progression fulgurante.

« Quand j’ai commencé, on voyait seulement Daniel Vézina et Normand Laprise, rappelle le pâtissier en entrevue Zoom. Dans la rue, c’était les deux seuls chefs que monsieur et madame Tout-le-Monde pouvaient nommer. Maintenant, c’est complètement différent. »

Aujourd’hui copropriétaire de Patrice Pâtissier, un comptoir, atelier de formation et restaurant du quartier Petite-Bourgogne à Montréal, l’entrepreneur applaudit la multiplication des émissions de cuisine, parce qu’elles contribuent à « démocratiser la gastronomie ».

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Patrice Demers

À l’heure actuelle, des jeunes regardent des émissions de cuisine, ils font des recettes, ils sont fascinés… C’est génial ! J’en rencontre souvent. Ils viennent visiter la boutique [située rue Notre-Dame Ouest à Montréal]. Et parfois, des plus vieux viennent me dire qu’ils écoutaient mon émission à Canal Vie [Les desserts de Patrice] avec leurs parents quand ils étaient enfants.

Patrice Demers

Ce sujet lui tient à cœur, puisqu’au milieu des années 1990, alors qu’il était au secondaire, c’est en regardant la télévision que Patrice Demers a découvert sa vocation. Les émissions culinaires étant plus rares au Québec, il s’était tourné vers Julia Child et Jacques Torres, présents sur diverses chaînes américaines.

« Au Québec, c’est vraiment l’émission de Daniel Vézina à Radio-Canada [Attention c’est chaud, de 1996 à 1999] qui m’a marqué. Ç’a été un déclic pour moi. Ç'a ouvert quelque chose. Ça m’a montré qu’on pouvait pratiquer ce métier chez nous. »

Aspirer d’abord à être chef télé

L’ascension médiatique des chefs a transformé l’industrie culinaire québécoise, indique Chuck Hughes. Plus les années passent, plus l’animateur de Chuck and the First Peoples’Kitchen, une série bilingue qui expose différentes cultures autochtones sur APTN, sent l’attrait des projecteurs auprès des nouvelles recrues.

« Avant, les chefs, c’était des gars qui restaient en arrière. Aujourd’hui, ce n’est plus vraiment ça. Les nouvelles générations aspirent parfois à être chefs à la télé avant d’être de bons chefs cuisiniers. Je trouve ça triste. Parce que moi, quand j’ai commencé à faire un peu de télévision, j’avais 29-30 ans. J’avais déjà 15 ans d’expérience en restauration. Des carottes, j’en avais coupé. Des claques, j’en avais mangé. »

Aujourd’hui, des producteurs télé m’appellent pour savoir si j’ai un bon chef pour eux. Mais ce qu’ils veulent dire, c’est si j’ai un bon gars de télé.

Chuck Hughes

Ricardo recense deux catégories de chefs télé : ceux qui veulent transmettre leur savoir, et ceux qui veulent davantage divertir. En apparaissant au générique de compétitions comme Wall of Bakers, ces derniers ont contribué à l’essor du genre culinaire, croit l’animateur de Ricardo à Radio-Canada et Ricardo and Friends sur Food Network.

« Ça permet de rejoindre un plus vaste auditoire, parce que [comme téléspectateur], même si tu n’aimes pas cuisiner, tu peux avoir envie de l’écouter pour être diverti. »

La carrière des chefs cuisiniers qui profitent d’une vitrine télévisuelle s’en ressent évidemment positivement. Ricardo, qui pilote sa quotidienne à Radio-Canada depuis 2002, en sait quelque chose.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Ricardo

La télévision a toujours été importante. Son rayonnement est énorme.

Ricardo

Patrice Demers peut diviser son parcours professionnel en deux : avant Josée di Stasio, alors qu’il travaillait au restaurant Les Chèvres, et après Josée di Stasio.

« Médiatiquement, c’est ce qui a tout déclenché pour moi. On a commencé à m’inviter à d’autres émissions, on m’a proposé des projets de livre… D’un point de vue plus personnel, ça m’a permis de découvrir que j’aimais le côté enseignement. Mes deux parents sont profs. Ça doit couler dans mes veines. »

« Quand tu possèdes une entreprise, la télé offre une visibilité qui n’est pas négligeable », ajoute le chef pâtissier.

Même son de cloche du côté de Chuck Hughes.

« La télé m’a permis d’ajouter une corde à mon arc, résume le chef du Garde Manger. Aujourd’hui, je fais plus de télé que je suis en cuisine. Ça m’a donné d’autres opportunités. C’est quand même fou quand j’y pense. Au début, mon but, c’était d’ouvrir un petit resto de 40 places. »

La série Bienvenue chez Chuck est offerte sur Vrai. Food Network présente Wall of Bakers les lundis à 22 h.