Il n’est pas toujours facile d’écrire de bonnes histoires d’amour. Bien qu’elles soient payantes dramatiquement, elles présentent plusieurs défis aux auteurs télé qui s’y attaquent.

Marie-Andrée Labbé aime dépeindre des relations de couple au petit écran. Dans Trop, elle l’a fait durant trois saisons par l’entremise du tandem Marc-Antoine (Éric Bruneau) et Isabelle (Evelyne Brochu).

Cet hiver, elle poursuit son exploration dans Sans rendez-vous, une comédie sans tabou dans laquelle (alerte au divulgâcheur) Sarah (Magalie Lépine-Blondeau) rompt avec Maude (Mylène Mackay), sa blonde de longue date.

Pour Marie-Andrée Labbé, les histoires d’amour sont « incontournables ». Elle croit toutefois qu’on devrait les aborder avec doigté, et prendre le temps d’asseoir les sentiments des protagonistes avant d’inonder leur quotidien de disputes répétées. L’auteure dénonce ce qu’elle appelle « la tyrannie du conflit », c’est-à-dire générer des intrigues à grands coups d’accrochages, de ruptures et d’infidélités.

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Marie-Andrée Labbé

Des fois, quand je regarde une série, je suis comme : “Ben voyons ! Qu’est-ce qu’ils font ensemble, ces deux-là ?” Si on n’a jamais vu qu’ils s’aimaient, si on sent qu’ils sont juste en train de se haïr pour toutes sortes de raisons, on décroche. Quand c’est juste une suite de conflits, c’est plate.

Marie-Andrée Labbé

Pour illustrer son propos, Marie-Andrée Labbé mentionne un classique datant du début des années 1990 : Les filles de Caleb.

« Émilie et Ovila, ce n’est pas pour rien qu’on s’en souvient. On l’avait vécu avec eux : leur coup de foudre, leurs premiers émois. On connaissait les raisons pour lesquelles ils étaient attirés l’un par l’autre. C’est pour ça qu’après, leurs conflits venaient nous chercher. On était autant bouleversés qu’eux ! »

Entretenir la flamme

Auteurs de plusieurs séries de longue haleine, comme L’auberge du chien noir, Pierre Poirier et Sylvie Lussier s’y connaissent en histoires d’amour qui perdurent. Celle qu’ils développent en ce moment dans 5rang entre Marie-Luce (Maude Guérin) et Charles (François Papineau) leur tient particulièrement à cœur. « Ce sont deux personnes d’âge mûr qui renouent après s’être aimées à l’adolescence, après avoir vécu beaucoup de choses difficiles », décrit Pierre Poirier.

La clé, selon le tandem, c’est d’aimer profondément ses protagonistes. « Il faut les regarder avec émerveillement, déclare Sylvie Lussier. Ç’a l’air cucul, mais c’est vrai. »

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Les auteurs Pierre Poirier et Sylvie Lussier

Les auteurs connaissent l’expression « les couples heureux n’ont pas d’histoire ». Ils savent également qu’ils doivent générer des intrigues pour garder le public captif. Tout est une question d’équilibre, jugent-ils.

Au début des années 1990, alors qu’ils amorçaient l’aventure 4 et demi, ils s’étaient donné la mission de ménager leur couple vedette, Louis et Isabelle, campés par Robert Brouillette et Isabelle Brossard. Pourquoi ? Parce qu’ils jugeaient qu’il y avait « bien assez de drames » au petit écran. « On voulait qu’ils s’aiment tout le temps, indique Pierre Poirier. On s’était dit qu’ils vivraient des embûches, mais qu’ils allaient passer au travers, et qu’ils n’allaient jamais divorcer. »

Le tandem d’auteurs a tenu promesse, mais non sans peine. « On recevait souvent le même reproche, se rappelle Sylvie Lussier. Les gens disaient qu’il ne leur arrivait rien ! C’est difficile de garder l’intérêt du public sans grand drame. »

Dans Alertes, Julie Hivon s’est lancé un défi semblable avec Dominic (Charles-Alexandre Dubé) et Pénélope (Catherine Bérubé).

« Je voulais qu’ils forment un couple solide. Mon but, c’était qu’ils soient le sourire d’Alertes, qu’ils viennent ajouter un peu de tendresse. Parce que trop souvent, on crée des couples, et une fois qu’ils sont ensemble, on défait tout. »

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Catherine Bérubé et Charles-Alexandre Dubé dans Alertes

Selon Julie Hivon, à qui l’on doit également Nuit blanche, le plus grand défi d’un auteur qui ausculte les relations de couple, c’est d’éviter les stéréotypes. « Quand tes personnages sont assez complexes, c’est plus facile de créer quelque chose de ressenti et d’incarné », note-t-elle.

Romantique avouée et grande amatrice des romans de Jane Austen, la scénariste et réalisatrice serait incapable d’écrire une série sans histoire d’amour. Du moins, elle n’aurait pas envie de tenter l’expérience.

Ce n’est pas évident d’être original, quand tu écris des histoires d’amour. Parce que c’est un sujet vieux comme le monde. Mais je crois qu’elles sont importantes.

Julie Hivon

« On s’attache davantage aux personnages quand l’auteur nous dévoile leur intimité », ajoute-t-elle.

Pour accrocher le public

« C’est le meilleur moyen d’avoir accès rapidement à l’essence des personnages, leurs failles, leurs fragilités, leurs peurs », ajoute Catherine-Anne Toupin, qui signe avec Karina Goma Moi non plus !, une comédie dramatique décapante à propos d’un animateur intello de gauche et d’une politicienne de droite.

Malgré tout, l’actrice et dramaturge n’a aucune envie d’écrire un scénario entièrement articulé autour d’une liaison amoureuse. C’est selon elle un moyen efficace d’accrocher le public... pour ensuite aborder toutes sortes de sujets.

« C’est une excuse pour tenir un discours sur d’autres choses, plus denses et plus complexes, explique-t-elle. Avec Moi non plus !, je voulais parler de polarisation. Je l’ai fait avec deux personnages qui n’ont aucune valeur en commun, qui sont opposés sur tout, mais qui, à force de s’apprivoiser, se rendent compte qu’ils partagent pas mal de choses. »

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Catherine-Anne Toupin et Vincent Leclerc dans Moi non plus !

En 2022, Catherine-Anne Toupin estime qu’il faut s’abstenir de présenter des relations toxiques enrobées d’une couche de romantisme. Le mot d’ordre : prudence.

« La société a beaucoup, beaucoup évolué au cours des cinq dernières années, souligne l’actrice et dramaturge. C’est quand même vertigineux. Je viens d’une génération où plusieurs relations toxiques homme-femme étaient proposées comme idéal. C’est fou ! Quand j’avais 12-13 ans, je regardais Cheers et j’adorais Sam [Ted Danson] et Diane [Shelley Long]. Mais avec le recul, un homme alcoolique et coureur de jupons, avec une femme qui n’a plus rien, ce n’est pas l’affaire la plus saine. »