Lourd mois de janvier au petit écran. Deux séries documentaires s’attaquent à deux gros enjeux de société distincts. Au cœur du sujet : les femmes. Malmenées d’un côté, sordidement assassinées de l’autre. Accrochez-vous.

Clémence Beaulieu-Patry, Marylène Lévesque, Sonia Raymond, Milia Abrar, Francine Bissonnette, Jaël Cantin, Josiane Arguin et Véronique Barbe. Huit femmes tuées. Huit histoires de féminicide à se remémorer. « Parce qu’on n’a pas le droit de les oublier. »

C’est précisément en ces termes qu’est lancé chaque épisode de la docusérie choc Femme, je te tue, un titre aussi provocant que parlant, pour un sujet tout aussi remuant, animée par la comédienne et autrice Ingrid Falaise (visiblement remuée elle aussi) et présentée dès le 25 janvier sur les ondes d’Investigation.

« C’est un sujet d’une importance capitale », a signalé d’entrée de jeu et en conférence de presse, mardi, Mariane McGraw, la réalisatrice. Les chiffres sont sans équivoque : « Une femme est tuée tous les deux jours et demi au Canada, a-t-elle rappelé. C’est incroyable. C’est un drame collectif qu’il faut mettre en lumière. »

Et pour ce faire, chaque épisode (en hommage à une femme en particulier) est ici construit selon un unique et habile moule : d’un côté, la recherchiste spécialisée en affaires criminelles Sarah Bernard est allée colliger les faits, façon série policière (images d’archives, entrevues d’experts et rythme soutenu à l’appui), et de l’autre, l’animatrice et autrice Ingrid Falaise (Le Monstre) est allée à la rencontre des proches des victimes, pour une touche plus humaine, émotions incluses.

Bouleversant

PHOTO FOURNIE PAR BELL MÉDIA

La mère de Marylène Lévesque, sauvagement assassinée en 2020 dans une chambre d’hôtel, n’avait jamais jusqu’ici eu la force de parler.

Parents, amis, fratrie sont ici questionnés (certains pour la toute première fois, notamment la mère de Marylène Lévesque, sauvagement assassinée en 2020 dans une chambre d’hôtel, qui n’avait jamais eu la force de parler jusqu’ici), avec empathie, sensibilité et surtout humanité. Il faut voir l’animatrice oser demander à l’une ou à l’autre : qu’est-ce qui vous manque le plus ? As-tu peur pour tes filles ? Bouleversant, vous dites ?

C’est de loin la série la plus émotive que j’ai eu à animer. C’est un immense problème de société : que des hommes s’autorisent à tuer des femmes !

Ingrid Falaise

Oui, tuer, faut-il le rappeler, le dire et le titrer, croit-elle. « C’est un titre porteur et nécessaire. On le nomme, a précisé Ingrid Falaise, parce qu’il est de notre responsabilité de se poser la question : pourquoi est-ce que cela perdure dans la société ? »

Un problème qui dépasse largement le « fait divers », qu’on se le dise. « C’est un fléau monumental ! »

Précision : non, les féminicides ne relèvent pas que de la violence conjugale. Mais plutôt d’une pluralité de facteurs, allant de l’exploitation sexuelle à la misogynie en passant par le crime d’honneur, commis certes par des conjoints, mais parfois de vagues connaissances (dans le cas de Clémence Beaulieu-Patry), ou encore de purs inconnus (Sonia Raymond). Seul point commun : « l’iniquité des sexes », a d’ailleurs martelé l’animatrice.

Question en suspens

En filigrane, une grande question demeure : ces drames auraient-ils pu être évités ? Question à laquelle il est malheureusement impossible de répondre, tant les cas sont uniques et les facteurs en cause, multiples (pensez : contexte d’incarcération, troubles psychologiques, etc.). « On ne trouve pas de solutions précises, mais on peut lever des drapeaux sur certaines failles, croit quant à elle la recherchiste Sarah Bernard. On n’est pas là pour jeter des blâmes, mais comprendre. »

Comprendre l’incompréhensible, quoi. Et surtout sensibiliser. Objectif ? « Éveiller les gens aux différents signaux de violence », a-t-elle conclu. Un éveil qui pourrait, ultimement, « sauver quelqu’un… »

Femme, je te tue, série documentaire produite par Anémone Télé en collaboration avec Bell Média, est diffusée à partir du 25 janvier à 22 h, sur Investigation. Le premier épisode pourra être visionné gratuitement sur Noovo.ca après sa diffusion.

Pas une de plus : immersion en maison d’hébergement

Ça a tout l’air d’une maison ordinaire. Avec une cuisine commune, des chambres privées. Même des crayons de couleur qui traînent, et des jeux de société à partager. Mais les femmes qui y passent la nuit (la semaine, le mois ?) ne sont pas des femmes ordinaires. Ni celles qui y travaillent, en fait.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

La série documentaire Pas une de plus offre une rare incursion en maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale.

Bienvenue en maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale – une maison où les chambres sont baptisées « estime », « respect » ou « solidarité » –, rare incursion dans un univers méconnu, que nous offre la série documentaire Pas une de plus, réalisée par Ève Lamont et diffusée dès le 26 janvier, sur les ondes d’ICI RDI (diffusion sur ICI télé et à venir sur TOU.TV).

Au menu, huit épisodes pour démystifier ce qu’est la violence conjugale, où les coups ne représentent que la « pointe de l’iceberg », comme l’a rappelé en conférence de presse Yves Thériault, producteur au contenu, plus tôt cette semaine, et qui, oui, peut toucher toutes les femmes, quel que soit leur statut social ou leur éducation. Et surtout, dévoiler les ressources ou plutôt le « filet » disponible. Accessible. À portée de coup de fil. Et ô combien accueillant.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

L’immense empathie des intervenantes (ici, Natahlie) est manifeste.

Un « filet » où les enfants rient le jour, pleurent parfois la nuit, où ils fêtent leurs anniversaires aussi. Ballons inclus. Où règne la bienveillance, et ça paraît.

« Comment tu vas ? », « je t’écoute, je suis là », c’est d’abord l’immense oreille, empathie, bref, présence des intervenantes (Mélanie et Georgia) qui saute aux yeux, dès les premières minutes de visionnement. « Juste être là, diront-elles à la caméra, ça ouvre la porte à la discussion. » Une écoute qui n’a pas de prix, quand on sait l’immense « tourmente » dans laquelle se trouvent les principales intéressées. Une tourmente qui n’est pourtant pas un cul-de-sac. Ni une fatalité.

Non : elles n’ont pas forcément été victimes de violence physique, donc. Elles n’ont pas des bleus apparents non plus. Mais assurément, la violence psychologique, économique ou encore verbale, elles connaissent. Pensez dénigrement quotidien, répété et insistant. T’es moche, t’es grosse, « bonne à rien ». Non, mais, « qui va t’aimer ? ». « C’était intense », laissera tomber une victime, le visage évidemment caché.

Défis « colossaux »

On devine ici les défis « colossaux » posés par le tournage, mené à l’automne, en matière de logistique, d’anonymat et de sécurité. Pandémie en prime. Rien ne permet d’ailleurs d’identifier les lieux où la série a été tournée. « Ça a été très complexe », a aussi avoué la réalisatrice Ève Lamont (Le commerce du sexe), qui en connaît pourtant un rayon en matière de sujets sensibles. « Un tango ! »

« J’aimerais souligner le courage des femmes qui ont osé participer [à la série documentaire] », a dit à son tour l’intervenante Mélanie, en conférence de presse toujours.

Ces femmes sont dans une tourmente constante, vivent des enjeux de sécurité, de garde, et la peur de vivre les conséquences de leur participation à cette série.

Mélanie, intervenante

Pourquoi avoir osé, alors ? « Ce n’est pas dans nos habitudes d’ouvrir nos portes, a renchéri Georgia. On a ouvert nos portes pour démystifier ce qu’est une maison d’hébergement, notre accueil, notre approche bienveillante, dans le non-jugement. […] Et si, à travers tout ça, on a pu rassurer une ou deux femmes qu’elles sont capables, qu’elles peuvent appeler, qu’il y a des ressources pour elles, alors on aura réussi… »

Pas une de plus, série documentaire réalisée par Ève Lamont et produite par KOTV, sera diffusée les mercredis soir à 20 h, sur les ondes d’ICI RDI, à partir du 26 janvier.