Elles reviennent en force cette semaine, 20 ans après avoir crevé nos petits écrans à 30 ans. Avec les mêmes personnages, dans les mêmes rôles, et surtout le même univers. C’était à prévoir, nos copines new-yorkaises ont pris quelques rides. Ou pas. Et alors ? Trois chercheuses analysent avec nous la (vive) réaction.

C’était à prévoir. À peine de retour sous les projecteurs (même si la presse à potins ne les a jamais vraiment lâchées), Sarah Jessica Parker (SJP), Kristin Davis et Cynthia Nixon font l’objet de tous les commentaires, et surtout toutes les critiques. On les a comparées aux Golden Girls. On a reproché à SJP ses rides, et surtout sa repousse grise, aperçue notamment un midi à une terrasse avec, ô ironie, un homme quant à lui franchement grisonnant (Andy Cohen).

PHOTO JAMES DEVANEY, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Kristin Davis, Sarah Jessica Parker et Cynthia Nixon

Inversement, le teint jugé trop frais de Kristin Davis a fait l’objet de toutes les conjectures (analyse de chirurgiens plasticiens en sus). « And just like that, Charlotte has a new face ! » (Et tout à coup, Charlotte a un nouveau visage), a titré le Daily Mail de Londres, parodiant le titre de la suite de la série Sex and the City (SATC). Trop vieilles ici, trop jeunes là, toujours perdantes, quoi ?

Pas une surprise…

Elle n’est pas surprise, mais « désolée ». Marie Charrel, journaliste au quotidien Le Monde et autrice de Qui a peur des vieilles ?, publié le mois dernier chez Peregrine, s’y attendait.

PHOTO HANNAH ASSOULINE, FOURNIE PAR L’AUTRICE

Marie Charrel

C’est vraiment l’illustration de la double injonction à laquelle sont soumises les femmes. D’un côté, il faut être naturelles, de l’autre, il faut rester jeunes, belles et minces.

Marie Charrel, journaliste et autrice de Qui a peur des vieilles ?

Une double injonction qu’elle s’efforce de déconstruire dans son livre, et qui est par ailleurs généralement à son paroxysme dans la presse féminine, illustre-t-elle, où les articles prônant le bien-être et l’art de « rester jeune sans tricher » côtoient allègrement des publicités de produits antirides. Trouvez l’erreur…

« On a toujours une grande réticence à laisser vieillir les personnages qu’on a aimés, ajoute Sandrine Galand, autrice de l’essai Le féminisme pop. Leur vieillissement nous parle du nôtre ! » En témoigne la réaction entourant, de la même manière, les personnages de la série Friends, lors de leurs retrouvailles le printemps dernier. Cette fois à propos d’acteurs masculins (Matt LeBlanc et Matthew Perry), faut-il le signaler.

N’empêche : ces commentaires sont toujours plus « violents », affirme-t-elle, quand on parle de femmes. Et c’est sans équivoque. D’ailleurs, glisse-t-elle, l’aviez-vous remarqué : d’autres personnages de SATC ont aussi pris quelques rides (Big, quelqu’un ?), « mais eux, personne n’en parle »…

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Sandrine Galand, autrice de l’essai Le féminisme pop

Parlant de « violence », elle ne le cache pas : les commentaires entourant la prétendue intervention de chirurgie plastique du personnage de Charlotte l’ont « tuée », indique cette grande amatrice de culture populaire. Ils sont en effet d’autant plus durs à avaler quand on sait que Kristin Davis est l’une des rares actrices à avoir osé se prononcer sur la difficulté d’« exister physiquement » dans son milieu.

« Qu’est-ce que ç’aurait été si un personnage avait pris du poids ? Est-ce qu’elle aurait pu réintégrer la série ? », ose-t-elle demander.

« Vieillir sans devenir vieilles »

« Je pense qu’on est encore, et surtout dans la culture populaire, dans un monde où l’on voudrait vieillir sans devenir vieilles », renchérit Line Grenier, spécialiste de la culture populaire et du vieillissement et professeure au département de communication de l’Université de Montréal. C’est un « paradoxe », dit-elle, parce qu’on veut à la fois que « les femmes restent jeunes, on n’apprécie pas qu’elles cachent leurs rides, mais on voudrait bien qu’elles les cachent ». Un paradoxe quasi exclusif aux femmes, confirme la chercheuse, parce que effectivement, socialement et culturellement, il y a encore une très forte « objectivation » du corps féminin.

Il y a tellement d’exemples d’hommes âgés auxquels on continue d’accorder le même regard. […] On ne se pose pas la question des rides, d’une opération chirurgicale, ni de sa pertinence. Or dans beaucoup de secteurs culturels, pour les femmes, passé 40 ans, c’est presque impossible.

Line Grenier, professeure au département de communication de l’Université de Montréal

Et pourquoi donc, enfin ? Pas qu’à cause de l’âgisme, croit-elle. Mais parce que toutes les pratiques de ces milieux encouragent en prime la jeunesse. « Innovation rime avec jeunesse, dit-elle. Et vieillir est associé avec déclin et conservatisme. »

Alors, que faire ? Les Sarah Jessica Parker de ce monde doivent-elles s’excuser d’avoir vieilli ? Tirer leur révérence ? Bien évidemment que non. Au contraire. Et les trois chercheuses le confirment : plus il y aura de présence de femmes âgées (qu’elles aient 50, 60, 70, 80 ans ou plus !), une présence variée, diversifiée, naturelle ou pas (grand bien leur fasse !), mieux on se portera tous.

Objectif : « Qu’on n’entende plus de commentaires sur leur physique, mais sur le scénario ! », conclut la journaliste et autrice Marie Charrel.

And Just Like That, sur Crave et HBO Max dès jeudi