Après 35 ans de mariage professionnel, la flamme de Michel d’Astous et d’Anne Boyer brûle toujours aussi fort. La preuve ? Le tandem de producteurs et d’auteurs connaît sa période la plus foisonnante en carrière avec non pas deux ni trois, mais bien six séries en ondes cet automne. Et c’est sans compter L’homme qui aimait trop et Classé secret, qu’on attend plus tard à l’hiver.

Pour Québecor, Anne Boyer et Michel d’Astous produisent quatre titres par l’entremise de Duo Productions, la boîte qu’ils dirigent depuis une quinzaine d’années : le docuréalité Si on s’aimait (TVA), le thriller psychologique Piégés (addikTV), la série pour jeunes adultes Nous (attendue en décembre sur Club illico) et l’ultime saison de L’heure bleue (TVA), sur laquelle ils agissent également à titre d’auteurs. À Radio-Canada, ils offrent Après, ce poignant drame de François Pagé qui explore les suites d’une fusillade. Et chez Bell Média, ils livrent Campus (VRAK), qui dépeint le quotidien d’un groupe d’universitaires.

Certes, en forçant le report des tournages qu’ils avaient prévus en 2020, la pandémie explique en partie cette bousculade aux portillons. Mais n’empêche. La paire est visiblement demandée.

« La cour est pleine ! s’exclame Anne Boyer. On est habitués de lancer beaucoup, beaucoup de lignes à l’eau, mais qu’un aussi grand nombre de projets émergent la même année, c’est exceptionnel. Je n’ai jamais autant travaillé. Certaines journées étaient complètement folles ! »

« Une chance qu’on avait terminé d’écrire L’heure bleue en début de pandémie, parce que honnêtement, je ne sais pas comment on aurait fait », ajoute Michel d’Astous.

Une histoire d’amitié

Rencontrés aux bureaux de Duo Productions, situés au cœur du Plateau Mont-Royal à Montréal, Anne Boyer et Michel d’Astous nous avertissent d’entrée de jeu : ils parlent. Beaucoup.

Chaque fois qu’ils partent en « retraite fermée » pour commencer l’écriture d’une nouvelle série, comme celle qu’ils entreprendront dans quelques semaines, ils passent la première journée à papoter.

« Anne, c’est ma meilleure amie », lance Michel d’Astous.

Quand on compte les heures dans une année, je vois bien plus Michel [d’Astous] que mon chum. Quand la pandémie est arrivée, c’était vraiment particulier. C’était la première fois en 35 ans qu’on passait des mois sans se voir.

Anne Boyer

Autodidactes

Anne Boyer et Michel d’Astous ont commencé à écrire ensemble en 1986. À cette époque, ils travaillaient pour le même organisme, la SODICC, l’ancienne Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).

Retour en arrière. Un soir, autour d’une bière chez Biddle’s, au sortir d’une projection d’Elvis Gratton au cinéma, ils partagent leur passion pour l’écriture. Après avoir discuté de téléromans et critiqué la télévision de l’époque, ils croient fermement qu’en unissant leurs forces, ils réussiraient à créer « quelque chose d’extraordinaire ». C’est ainsi qu’ils commencent à plancher, au rythme d’un dîner par semaine, sur Jeux de société, une série de bureau qui finira par atterrir à Radio-Canada.

Autodidacte, le tandem se débrouille du mieux qu’il peut pour pondre des scénarios qui respectent les codes établis.

« La seule chose qu’on pouvait faire, c’était de prendre des notes en regardant des émissions, pour calculer le nombre de scènes par demi-heure, leur durée, le nombre de pauses... On avait tout à apprendre », se souvient Michel d’Astous.

Les auteurs se rappellent encore leur déconfiture en quittant la grande tour du boulevard René-Lévesque, après le visionnement de leur premier épisode. « Quand on écrivait Jeux de société, dans notre tête, on faisait L. A. Law [La loi de Los Angeles] », dit en rigolant Anne Boyer.

« On avait imaginé de grands bureaux vitrés, des centaines de personnes qui descendent des escaliers... indique Michel d’Astous. Au bout du compte, c’était des mini, mini bureaux sans fenêtres. On aurait dit des garde-robes de cèdre. C’était tout gris ! »

Mettant en vedette Benoît Girard, Robert Toupin, Angèle Coutu et Élise Guilbault, Jeux de société est restée en ondes durant deux saisons, de 1989 à 1990. L’expérience n’a pas été de tout repos, avouent les scénaristes. Mais après s’en être sortis indemnes, ils étaient prêts à recommencer.

« C’est là qu’on a compris qu’on allait être ensemble longtemps », confie Michel d’Astous.

Une crise

PHOTO FOURNIE PAR TVA

Scène de la série Nos étés

Auteurs de nombreuses séries à succès comme Sous un ciel variable, Le retour, Nos étés et Yamaska, Anne Boyer et Michel d’Astous n’ont traversé qu’une seule crise en 35 ans d’étroite collaboration, affirment-ils. C’était en 2005, alors qu’ils étaient producteurs associés et script-éditeurs des Poupées russes à TVA.

« On s’était dit : “On finit cette série-là, pis après, ciao bye !”, raconte Anne Boyer. Mais cinq mois plus tard, quand on devait partir chacun de notre côté, on se disait : “C’était quoi, déjà, la raison pour laquelle on voulait se laisser ?” »

Quand on leur demande d’expliquer ce qui fait perdurer leur association, les principaux intéressés se regardent, l’air songeur. Certes, les valeurs sociales et humaines entrent en ligne de compte, tout comme les champs d’intérêt. Si l’une des parties veut toujours traiter de sujets qui n’intéressent pas l’autre, le partenariat est voué à l’échec.

« Surtout, il faut avoir la conviction profonde que c’est meilleur à deux », signale Michel d’Astous.

Si l’un d’entre nous avait senti qu’en travaillant seul, il aurait été plus libre, plus performant, ou que l’autre l’empêchait d’être soi-même, ça n’aurait pas marché.

Michel d’Astous

« L’autre affaire, c’est qu’on a toujours été solidaires, ajoute Anne Boyer. Très vite, des gens ont essayé de nous diviser pour mieux régner. Mais on n’a jamais laissé personne se mettre entre nous deux. »

Nouveaux projets

Bien qu’ils adorent leur métier et qu’ils continuent de rouler en cinquième vitesse, Anne Boyer et Michel d’Astous commencent – tranquillement – à parler de retraite. Le tandem s’est d’ailleurs donné la mission de former une relève chez Duo Productions.

Ils souhaitent également accorder plus d’importance à la dimension internationale de l’entreprise, pour pouvoir exporter leurs séries. En septembre, la minisérie dramatique Après, avec Karine Vanasse, a d’ailleurs été sacrée meilleure fiction francophone étrangère au Festival de fiction de La Rochelle, en France.

En 2022, sur Noovo, ils proposeront L’homme qui aimait trop, une série qu’ils avaient dans leurs tiroirs depuis quelque temps. Réalisée par Yves-Christian Fournier (Blue Moon, Demain des hommes), elle brossera le portrait d’un homme (campé par Patrice Godin) qui mène une double vie, familiale et conjugale.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Hélène Florent, Patrice Godin et Fanny Mallette, lors du tournage de L’homme qui aimait trop, l’été dernier

On attend également Classé secret, un thriller d’espionnage signé François Pagé (Après, Piégés) et réalisé par Stéphan Beaudoin (Alerte Amber, Chaos). Mettant en vedette Mélissa Désormeaux-Poulin et Patrick Labbé, cette incursion dans l’univers des agents secrets devrait atterrir sur addikTV au printemps.

« C’est une période très excitante », résume Anne Boyer.

Et cette nouvelle série qu’ils commenceront à écrire en novembre... Qu’est-ce qu’ils peuvent en dire ? Pas grand-chose, apparemment. « On part vraiment de zéro », assure Michel d’Astous, en regardant sa partenaire du coin de l’œil. « Tout est possible », confirme cette dernière.

Solidaires, en effet. Surtout face au journaliste.