Le Québécois Cristobal Tapia de Veer traverse une période effervescente. Architecte de l’enivrante musique du Lotus blanc, la nouvelle série phénomène de HBO, le compositeur reçoit aujourd’hui des appels de Disney et de Marvel.

En entrevue, le multi-instrumentiste d’origine chilienne s’étonne de l’intérêt qu’il suscite depuis la diffusion du drame satirique américain. Non seulement parce qu’il ne croyait pas que l’offrande de Mike White (Year of the Dog, School of Rock) allait remporter autant de succès, mais aussi parce qu’il a toujours pensé que tout ce qu’il faisait était beaucoup trop niché pour rallier les masses.

« Mes affaires allaient bien, mais avec The White Lotus, c’est vraiment la totale ! », s’exclame l’artiste de 48 ans, en conversation FaceTime.

Composée de six épisodes d’une heure, la première saison du Lotus blanc relate le séjour hautement imprévisible et singulier d’un groupe de riches vacanciers dans une station balnéaire hawaïenne.

PHOTO FOURNIE PAR HBO

Scène tirée du premier épisode du Lotus blanc

Omniprésente, la partition entêtante de Cristobal Tapia de Veer, alias Cristo, rythme les scènes et installe un climat anxiogène que plusieurs grandes pointures de l’industrie ont encensé sur Twitter, comme Mia Farrow, l’actrice Sarah Paulson ou encore Finneas O’Connell, frère et proche collaborateur de Billie Eilish.

L’irrésistible thème musical – judicieusement intitulé Aloha ! – a également inspiré les DJ, qui l’ont remixé pour faire danser les couche-tard dans les boîtes de nuit.

Écoutez Aloha !, thème musical du Lotus blanc

« Mes chansons rejoignent des gens de différentes générations. Je trouve ça cool », lance le créateur.

De manière artisanale

Cristobal Tapia de Veer a été pressenti pour signer la musique du Lotus blanc en janvier dernier. HBO avait remarqué son travail sur d’autres séries, dont Utopia (Channel 4), Black Mirror (Netflix) et National Treasure (Channel 4), pour laquelle il s’était emparé d'un prestigieux BAFTA en 2017.

Le Lotus blanc représentait un défi supplémentaire : il fallait faire vite. Le mixage sonore prévu pour mars, Cristo n’avait que quelques semaines pour remplir ses engagements.

Sans voir d’images, seulement à partir du scénario, l’artiste s’est réfugié dans son studio d’enregistrement des Laurentides, une grange située en forêt, près de Sainte-Agathe-des-Monts, pour concocter les sons étrangement hypnotiques qui allaient bientôt charmer la planète. Le tout, au moyen d’instruments faits maison ou peu communs, comme la cuica, ce tambour à friction brésilien disposant d’un fût qui imite le cri des singes.

J’ai toujours fonctionné de manière très artisanale. Au Chili, quand j’étais enfant et qu’on n’avait rien, je faisais des percussions avec des seaux, des bols ou même des boîtes en carton.

Cristobal Tapia de Veer

Pour les voix légèrement trafiquées, Cristo s’est tourné vers Stéphanie Osorio, chanteuse montréalaise et complice de longue date.

L’objectif était de créer une « anxiété tropicale », indique le musicien. « La musique devait donner un sentiment de danger comme s’il allait y avoir un sacrifice. Mike [White] voulait qu’elle annonce quelque chose de dangereux, quelque chose d’un peu Hitchcock. »

Du Chili au Québec

C’est au cœur des années 1980 que Cristobal Tapia de Veer est débarqué au Canada comme réfugié. Fuyant le régime de dictature militaire d’Augusto Pinochet au Chili, il s’est installé, avec sa mère, à Québec.

Après avoir appris le français à l’école secondaire Cardinal-Roy, l’adolescent, alors âgé de 15 ans, s’est immédiatement concentré sur la musique. Sa détermination a porté ses fruits, car quelques années plus tard, il terminait une maîtrise en musique classique au Conservatoire de Québec.

Membre du défunt groupe One Ton, mieux connu pour Supersex World, un tube datant de 2002, Cristobal Tapia de Veer a produit des albums pour de nombreux artistes québécois bien connus, dont Mario Pelchat, Alfa Rococo, Véronic DiCaire et Bran Van 3000.

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Cristobal Tapia de Veer

Depuis 10 ans, il poursuit sa vocation de compositeur audiovisuel à temps plein. Son travail sur Série noire lui a d’ailleurs permis de remporter trois prix Gémeaux.

« Je peux m’exprimer davantage en m’impliquant dans des projets de films ou dans des projets de séries qu’en produisant des tounes pop en format radio. Chaque film, chaque série est un nouvel univers, une nouvelle histoire. J’aime le côté créatif. Et j’ai toujours l’impression de faire mon propre album. C’est une situation de rêve, mais c’est beaucoup de travail, surtout quand tu dois faire affaire avec 20 producteurs différents. Mais je suis toujours content du résultat. »

À son rythme

Les producteurs du Lotus blanc, dont HBO a commandé une deuxième saison, ont déjà contacté Cristobal Tapia de Veer pour qu’il signe la musique des épisodes à venir. Ce dernier n’a pas encore accepté leur offre puisqu’il concocte – en catimini – la trame d’un « gros film de peur hollywoodien », un projet qui devrait l’occuper jusqu’en mai 2022.

« Si j’avais des assistants ou d’autres compositeurs qui m’aident comme c’est l’habitude à Los Angeles, je pourrais combiner des contrats, mais je n’ai pas envie d’avoir une grosse machine derrière moi. Je n’ai pas envie de faire 100 millions de projets. Pour moi, le danger est trop grand. J’aurais peur de diluer la qualité. Je préfère faire moins de choses, mais bien les faire, à mon rythme. »

La série Le Lotus blanc (version française de The White Lotus) est offerte sur Crave Super Écran.

La trame sonore composée par Cristobal Tapia de Veer est offerte sur Spotify et d'autres plateformes de musique en ligne.