Rose-Marie Perreault est l’une des têtes d’affiche de Nuit blanche, diffusée à ICI Radio-Canada Télé dès le 13 septembre. Elle y incarne Louise, une jeune militante felquiste. La comédienne de 26 ans a récemment présenté au Festival d’Angoulême le premier long métrage de Catherine Therrien, Une révision, et tient le premier rôle féminin de la télésérie Germinal, adaptation du classique de Zola diffusée en France.

Marc Cassivi : Jouer un personnage révolutionnaire, felquiste, à une époque que tu n’as pas connue, c’est ce qui t’a attirée dans le rôle de Louise ?

Rose-Marie Perreault : Cet aspect-là m’a particulièrement touchée. Je trouvais génial, à la lecture du scénario, comment était amenée la crise d’Octobre avec des faits réels et des images d’archives. En même temps, le personnage de Louise est fictif. Elle est la leader d’un trio felquiste, avec son amoureux et leur grand ami. J’adorais l’idée de jouer une femme qui est née en 1950. C’est une enfant de la fin de la Grande Noirceur avec une mère très catholique. Elle représente cette modernité-là, ce vent de changement. C’est une révolutionnaire. C’est fascinant à incarner, une poseuse de bombes.

M. C. : À une époque très effervescente au Québec…

R.-M. P. : C’était une période qui m’intéressait. J’avais déjà vu Octobre, Les ordres. La COVID a décalé le tournage, donc j’ai vraiment eu le temps de me préparer. J’ai lu énormément. J’ai vu les documentaires sur Pauline Julien et Gérald Godin. J’ai vu Corbo, Les rois mongols, Les Rose, j’ai lu le livre de Francis Simard, Pour en finir avec Octobre. Je suis arrivée sur le plateau bien documentée, avec des enjeux qui m’allumaient et qui me touchaient déjà. J’étais habitée vraiment concrètement. J’adore ce travail de préparation et j’ai eu un an pour le faire, dans mon appartement, confinée.

M. C. : Ta préparation tient autant à la COVID-19 qu’à ton intérêt pour le contexte sociopolitique du Québec de l’époque ? Ou tu vois toujours huit films pour chaque rôle que tu prépares ? [Rires]

R.-M. P. : Je pense que je suis une comédienne assez instinctive, mais j’aime faire l’effort de me documenter. Oui, il y a des rôles qui s’y prêtent plus que d’autres. Cette fois-ci, c’étaient des enjeux qui m’intéressaient d’emblée. On m’a parlé de la crise d’Octobre au secondaire, mais en lisant différents points de vue sur cette histoire, j’ai réalisé que la façon dont on nous la raconte dans les cours d’histoire n’est pas la façon dont Francis Simard en parle dans son livre ou Félix Rose la présente dans son film. L’angle de l’intérieur, l’idée de résistance, les échos de cette histoire aujourd’hui, tout ça est fascinant. Il y a eu des victoires, mais il reste encore du chemin à faire. J’ai aimé me tourner vers le passé pour comprendre quelle est ma place en ce moment. Où est ma prise de parole comme jeune humaine, pas juste comme comédienne ? J’ai trouvé tout ce processus-là vraiment intéressant.

M. C : Est-ce qu’il y a une crainte, lorsqu’on incarne un personnage comme celui de Louise, de glorifier ou de proposer une vision romantique de ce qui était une action révolutionnaire décrite comme étant terroriste ?

R.-M. P. : Déjà, la cellule que dirige Louise n’a rien à voir avec l’enlèvement de Pierre Laporte. Oui, elle pose des bombes. On a donné aux felquistes l’étiquette de terroristes. Mais quand on lit le livre de Francis Simard, on se rend compte que ce sont aussi des humains qui souffraient d’inégalités, qui ont vu leurs pères dans les usines se faire maltraiter. La violence venait des deux côtés. Ils ont répondu à la violence par la violence. En plongeant dans les ouvrages, on comprend que la mort de Pierre Laporte n’était pas ce qu’ils souhaitaient et que les choses ont dégénéré, en réponse aussi à un Pierre Elliott Trudeau qui était complètement méprisant face à leurs aspirations. Mais oui, au départ, je craignais que ce soit peut-être une glorification de la violence et que les nuances ne soient pas assez bien soulignées. Mais ce qu’on dépeint comme l’action politique de Louise, j’étais à l’aise avec ce que ça représentait en termes de défense de notre culture et de notre langue. Je ne crois pas que la série va choquer.

M. C. : Est-ce que le fait d’être une jeune actrice bien en vue et de jouer un personnage comme celui-là est pour toi une façon de transmettre cette vision de l’histoire à des gens de ta génération ? Les jeunes de 25 ans ne semblent pas, de façon générale, très intéressés par les luttes du passé liées à la question nationale.

R.-M. P. : C’est vrai que le nationalisme, ce n’est pas un sujet à la mode. Les partis qui défendent cette idée sont peut-être aussi moins pertinents qu’il y a 40 ans. Donc, oui, ça me fait plaisir qu’on en parle à la télé, à la chaîne publique, à heure de grande écoute. Pour que ça ne nous échappe pas complètement, même si, en ce moment, il y a d’autres enjeux qui semblent peut-être plus pressants. Comme l’avenir de la planète ! [Rires] On peut porter et défendre plus d’une cause. Je ne tiens pas à être une voix politique. J’incarne un personnage qui porte un message. En même temps, ce sont des enjeux qui me rejoignent, surtout par rapport à la langue et à notre identité culturelle. Je reviens d’Angoulême, où il a beaucoup été question de francophonie. Que le Québec soit vu, respecté et écouté pour ce qu’il est, dans sa langue, moi, ça me touche et j’ai envie de porter ce message-là.

M. C. : Ce qui ne veut pas dire que tu fermes la porte à des propositions de l’étranger. Il y a la télésérie Germinal qui arrive en France…

R.-M. P. : Même si j’adore le Québec et que ça va toujours être chez moi – c’est fondamental, mon identité québécoise –, je ne vois pas de problème à aller travailler ailleurs. Je ne comprends pas ceux qui reprochent à des acteurs québécois de faire carrière aux États-Unis. Pourquoi pas ? Il y a quelque chose – je veux faire attention à mes mots – d’un peu « petit Québécois né pour un petit pain » dans cette réaction-là.

M. C. : C’est une vision décomplexée qui est propre à ta génération. C’est rafraîchissant. Le monde est votre terrain de jeu.

R.-M. P. : Exactement. Il y a peut-être ça qui a changé dans le combat national, des années 1960-1970 à aujourd’hui. Je ne le défends sûrement pas de la même manière que le fait le personnage de Louise dans la série, par exemple. On a aussi aujourd’hui une ouverture et un accès à peut-être plus loin, plus vite, et il faut saisir ce qu’on se fait offrir. De mépriser un artiste qui évolue à l’étranger, c’est absurde. Faire résonner le Québec ailleurs, c’est génial. Il faut le voir comme une fierté, plutôt que comme un déni de notre identité. Ça n’a rien à voir.

M. C. : Tu as vu tous ces films sur le FLQ, tu me parles de la question nationale. C’est rare pour quelqu’un de ton âge. Est-ce qu’il y a quelque chose chez toi d’anachronique ? Te sens-tu parfois d’une autre époque ?

R.-M. P. : Je ne sais pas si je suis anachronique, d’aucune époque ou de plusieurs époques à la fois ! Je vais tourner le film La cordonnière de François Bouvier, qui se passe dans les années 1800. J’ai fait beaucoup de séries ou de films d’époque. Je ne sais pas si c’est une question de casting ou si j’ai quelque chose de peut-être intemporel. La musique que j’écoute, c’est aussi beaucoup des vieilles affaires, mêlées avec du contemporain ! La résonance avec le passé me plaît beaucoup, même dans les vêtements que je porte.

M. C. : Je remarque que tu hésites à me parler de tes projets à l’étranger. Est-ce que c’est parce que tu es discrète ou parce que tu te dis « chaque chose en son temps » ?

R.-M. P. : [Rires] Peut-être qu’au moment de la sortie de Germinal, à l’automne je crois, je pourrai en parler. La série a été achetée par Radio-Canada. C’est tellement un beau projet. Je joue le personnage féminin principal. Il y a vraiment de belles choses qui se sont passées et qui continuent de se passer avec cette série-là. Mais c’est vrai que j’ai peut-être une espèce de peur…

M. C. : De mettre la charrue devant les bœufs ?

R.-M. P. : Je le sais que ça va bien, mais j’entends tellement souvent des comédiennes dire : « Oui, mais tu sais, les actrices, c’est pas facile à partir de tel âge. » Je le sais qu’il n’y a rien de gagné avec ce métier-là et que les preuves sont constamment à faire, donc je ne veux rien tenir pour acquis. Parfois, ça me fait peur aussi d’être une comédienne en vogue, comme tu l’as dit. Les gens vont peut-être être tannés de moi dans deux ans ! Je fais ce métier-là pour des raisons profondes et sincères, qui ne vont jamais s’épuiser de mon côté. Mais on est dans une ère où ça va vite et où on se lasse rapidement, parce qu’on veut du nouveau et de la fraîcheur. Alors j’y vais un projet à la fois. Je préfère le voir comme ça. Parce que je doute constamment. J’ai envie de garder cette fébrilité-là, de beaucoup travailler mes rôles, en lisant et en voyant plein de films !