J’adore regarder des films en avion, parce que je n’arrive pas à dormir là-dedans, peu importe la durée du vol. Les passagers étant tassés comme des sardines, il y a parfois des moments gênants quand tes voisins de rangée peuvent te voir pleurer devant un drame émouvant.

Il m’est arrivé un jour un gros malaise, en revenant d’un voyage en Haïti. J’ai eu la brillante idée de regarder 12 Years a Slave, de Steve McQueen, que la critique encensait (Oscar du meilleur film en 2014). Seule Blanche de la rangée entourée d’Haïtiens, je me suis rapidement sentie mal de regarder des esclavagistes sadiques fouetter des êtres humains dans leurs plantations, comme si de rien n’était. J’ai changé pour une petite comédie romantique.

C’est exactement comme ça que je me sentais en regardant les 10 épisodes de Them, série d’horreur créée par Little Marvin qui vient d’arriver sur Amazon Prime, et j’étais pourtant seule dans mon salon. Fan du genre horrifique depuis toujours, j’ai à peu près tout vu, le meilleur comme le pire, est-ce que je deviendrais chochotte ? C’est plutôt qu’on devient difficile avec le temps. Et je sais reconnaître un produit d’exploitation quand j’en vois un.

Il y a eu toutes sortes de modes dans le cinéma d’exploitation qui peut parfois offrir un réel plaisir aux cinéphiles en quête d’émotions fortes, et cela, à peu de frais pour des producteurs qui cherchent des profits faciles. Il y a eu par exemple le « rape and revenge » où, sous l’excuse de montrer l’horreur du viol, on s’en délecte en détail avant de le punir à la toute fin, question de sauvegarder la morale (pensons à I Spit on Your Grave et j’ai envie d’ajouter Game of Thrones). Il y a souvent un mélange de violence et de sexe dans ce rayon où l’on a même vu de la nazisploitation, avec des films comme Ilsa, la louve des SS ou La dernière orgie du IIIe Reich, juste pour vous donner une idée.

Et, bien sûr, il y a eu la blaxploitation, où l’on a surfé un peu tout croche sur le mouvement Black Power, mais surtout découvert qu’il y avait une piasse à faire avec un public afro-américain qui ne se voyait pas à l’écran. On a reproché à ce genre de contribuer à perpétuer beaucoup de stéréotypes, mais il y a tout de même des héros populaires qui en sont sortis, comme Shaft.

Ça m’étonnerait que des héros émergent de la série Them, personne n’ayant envie de s’identifier à aucun de ses protagonistes. L’histoire se déroule en 1953 aux États-Unis. La famille Emory, famille noire, fuit un épouvantable cauchemar qui lui est arrivé dans le Sud ségrégationniste pour s’installer à Compton, en Californie, dans un quartier blanc où les habitants feront tout pour les faire déguerpir. Comme si ce n’était pas assez, les membres de la famille Emory sont aussi harcelés par une entité démoniaque qui souhaite les rendre tous fous. Bref, il n’y a aucune porte de sortie.

Them est pourtant très bien réalisé, visuellement époustouflant, les acteurs et actrices sont vraiment bons (Deborah Ayorinde, Ashley Thomas, Shahadi Wright Joseph, Melody Hurd), mais de bout en bout, on appuie sans relâche sur les traumas des Noirs sans aucune lueur d’espoir. La famille Emory est victime des pires atrocités, insultes et humiliations du début jusqu’à la fin, alors que nous vivons en pleine ère de Black Lives Matter et qu’on sort à peine du procès de Derek Chauvin. Il y a certaines scènes que j’ai dû mettre sur pause, parce qu’elles étaient insoutenables.

Le problème ici est qu’on est en train de se demander si la diversité à l’écran doit passer aussi souvent par l’exploitation de la souffrance noire, en s’appuyant sur l’excuse qu’il faut montrer l’horreur du racisme.

Mon malaise a été confirmé par les critiques assassines de journalistes noirs, qui n’y vont pas de main morte avec Them. « C’est de la pure pornographie dégradante », a écrit Angelica Jade Bastien dans Vulture, qui y constate une « banqueroute morale ». « L’une des œuvres les plus anti-Noirs de la culture populaire que j’ai pu voir. C’est une sidérante réfutation de cette croyance à Hollywood que la représentation devant et derrière la caméra peut corriger son racisme inhérent. »

Dans le journal The Guardian, Jason Okundaye estime que la véritable horreur dans Them est que la série se contente de « bombarder le public de scènes gratuites et de violence raciste en n’ayant rien d’intéressant à dire » – ce qui est la définition même de l’exploitation, en fait, et il nous met en garde contre les « imitateurs » de Jordan Peele, dont l’excellent Get Out, qui a vraiment fait date dans l’histoire du cinéma, a peut-être ouvert une boîte de Pandore auprès de réalisateurs et de producteurs sans imagination et sans scrupules.

La polémique a rebondi jusque dans le Courrier international, où l’on se demande si l’horreur est un « genre approprié pour aborder les violences racistes ». Là-dessus, je ne suis pas d’accord. C’est le genre qui permet d’aborder à peu près toutes nos peurs, une belle voie cathartique. Tout est dans la manière, comme d’habitude. Je me suis demandé tout le long comment un public noir pouvait se sentir en regardant Them. J’ai de la difficulté à croire qu’il puisse y prendre son pied, alors que c’est le but du fan d’horreur, il me semble.

La pente glissante de The Handmaid’s Tale

Ce qui m’amène à la quatrième saison très attendue, puisqu’elle a été retardée par la pandémie, de la série The Handmaid’s Tale (La servante écarlate), que j’ai suivie passionnément, et qui arrivera le 28 avril sur Hulu et sur Crave. Je ne sais pas si ce sont les effets du confinement, la fin de la présidence Trump ou la réflexion entourant la série Them, mais après avoir vu les trois premiers épisodes sous embargo, je constate que je n’en peux plus de voir June (Elisabeth Moss) souffrir en gros plan et des servantes se faire assassiner sous Gilead. On reprend là où on avait été laissés, June a réussi à faire sortir du pays des femmes et des enfants qui ont trouvé refuge au Canada, mais elle va le payer très cher, vous verrez.

Il était fascinant, au début de cette série dystopique, de voir comment une démocratie peut s’effondrer et faire place à un régime autoritaire en s’appuyant sur la religion et le sexisme, mais est-on en train d’étirer la sauce, puisque c’est le plus grand succès de Hulu ? Arrive-t-on au mur de la saison de trop ? Difficile à dire après trois épisodes, car c’est censé être la saison de la rébellion et de la revanche, mais je crains beaucoup qu’on nous fasse poireauter, à coups de scènes choc gratuites, jusqu’à une finale sur une maigre note d’espoir qui ne sera qu’un le tremplin vers la cinquième saison. Si c’est le cas, on pourra commencer à parler d’exploitation.