Toutes les deux semaines, La Presse convie des créateurs chevronnés à nous parler de leur amour de la télévision. Et des nouveaux défis de la création télévisuelle. Aujourd’hui, Fabienne Larouche.

De Virginie à Fortier en passant par Scoop, Urgence et 30 vies, Fabienne Larouche est de plusieurs succès populaires de la télévision au Québec. En carrière, l’auteure a écrit plus de 1500 heures de fiction pour le petit écran. Depuis quelques années, la productrice de District 31 joue le rôle de showrunner (consultante) sur des projets de séries qu’elle produit avec son conjoint, Michel Trudeau. Et elle demeure une éternelle téléphage !

Qu’est-ce qui a le plus changé en télévision depuis vos débuts dans le métier, au début des années 1990 ?

La plus grosse révolution dans l’industrie, déjà amorcée au tournant des années 2000, c’est l’arrivée des artistes et artisans du cinéma en télévision. Autrefois, le cinéma et la télé étaient deux univers différents et complètement étanches. Si on voyait des stars du cinéma à la télévision, c’était une rétrogradation, une « démotion ». Aujourd’hui, des actrices comme Nicole Kidman et Reese Witherspoon, des cinéastes tels que Jean-Marc Vallée et David Fincher s’illustrent à la télévision. Et ils ont transporté avec eux l’esthétique, la profondeur et la façon de faire du cinéma à la télévision.

Et dans l’industrie au Québec ?

Il y a de plus en plus de gens qui travaillent en télévision... avec beaucoup moins de moyens. On fait davantage de séries, tandis que les budgets fondent comme neige au soleil. Il y a 20 ans, la moyenne par heure pour une série était autour de 1 million de dollars. On est maintenant à 600 000 $, 500 000 $ par heure. Les autres pays (la Suède, l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre...) ont plus d’argent par heure. La saison 5 de The Crown a coûté 13 millions US par épisode. C’est plus d’argent, pour un seul épisode, que le budget de 120 épisodes de District 31 !

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Fabienne Larouche sur le plateau de tournage de la série District 31 en octobre 2016

Les nouvelles technologies, la révolution numérique et la prolifération des plateformes d’écoute ont-elles bouleversé la manière d’écrire pour la télé ?

Non, parce qu’une bonne histoire restera toujours une bonne histoire. Les nouvelles plateformes changent les habitudes pour l’utilisateur ; pas pour le créateur. Un auteur puise dans les thèmes universels pour écrire : l’amour, la famille, la mort, la guerre, la trahison, etc. Ensuite, notre angle pour aborder ces grands thèmes est teinté par notre culture québécoise.

Vous avez déjà dit que la série britannique Prime Suspect, avec Helen Mirren, a été un point d’ancrage pour Fortier. Ce qui se fait ailleurs vous influence ?

Je regarde plein de séries anglaises et américaines. Je suis une fidèle des séries créées par des scénaristes (et des showrunners) comme David E. Kelley et Steven Bochco. Or, ce qui m’inspire le plus, moi Fabienne, depuis mes débuts, c’est Janette. À ce jour, Janette Bertrand demeure probablement mon plus grand moteur pour écrire. Janette a toujours été préoccupée par notre humanité. Ce qui unit les êtres humains et, inversement, ce qui les déchire.

Si vous étiez directrice de programmation, que changeriez-vous ? Qu’est-ce qu’on voit trop (ou pas assez) à la télévision ?

Ce qu’on voit trop, selon moi, c’est les émissions d’information. Il y a trop de nouvelles qui roulent en boucle pendant des jours sur le même sujet. Il y a aussi trop de rectitude politique. Les gens ont peur d’exprimer une opinion différente, qui va à l’encontre du discours général et de la pensée consensuelle. Un gars comme Pierre Falardeau serait-il invité sur les plateaux de télévision aujourd’hui ?

Alors que les réseaux sociaux débordent d’opinions divergentes, polarisantes ?

Bien sûr, on peut s’exprimer librement sur les réseaux sociaux, mais c’est très agressif. Ce n’est pas une discussion... Discuter ne veut pas dire insulter.

Fabienne Larouche produirait-elle une émission de débats non consensuels à la télévision, où s’opposeraient différents points de vue ?

Oui, absolument. Car les vrais débats nous font progresser, avancer, évoluer. Ils servent à mieux comprendre le point de vue de l’autre. Les points de vue différents font émerger autre chose. C’est ce que j’aime dans mon travail en télévision. Lorsqu’on a un désaccord dans une équipe, on en discute, puis on trouve une idée nouvelle.

Vos plus récents coups de cœur télévisuels ?

Kalifat. Un thriller qui se passe entre la Suède et la Syrie. C’est la première série qui va aussi loin sur l’infiltration de jeunes adolescentes radicalisées par des terroristes. Une histoire qui nous plonge au cœur du groupe armé État islamique. (Netflix)

Succession. Une formidable série américaine qui raconte les relations compliquées et les rivalités au sein de la famille d’un magnat d’un conglomérat médiatique avec ses quatre enfants ? C’est shakespearien ! (HBO)

The Undoing. Un polar du scénariste David E. Kelley, avec Nicole Kidman, Donald Sutherland et Hugh Grant. Un très bon thriller psychologique qui se déroule à New York. C’est une fiction de six heures bien ficelées qui nous tient en haleine jusqu’à la fin. (HBO)

Ted Lasso. Une comédie feel good. Une dose de bienveillance pour se sentir bien à une époque où tout est tellement morne et agressif. On suit les aventures de l’entraîneur de football américain Ted Lasso, recruté par une équipe de soccer britannique, bien qu’il n’ait aucune expérience dans ce sport. (Apple TV+)

Ses projets télé en 2021

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Fabienne Larouche au tapis rouge pour le lancement de la programmation d'Ici Télé de Radio-Canada en août 2019

Outre District 31, Toute la vie et Sans rendez-vous, une comédie sur la santé sexuelle signée Marie-Andrée Labbé, Fabienne Larouche et Michel Trudeau (Aetios Productions) produiront cette année Un doute raisonnable. Cette nouvelle série écrite par Danielle Dansereau, d’après une idée originale de Mme Larouche, sera réalisée par Podz. Elle met en vedette Julie Perreault, dans le rôle d’une policière du Groupe d’investigation sur les crimes à caractère sexuel, et exposera la difficulté d’enquêter sur les agressions sexuelles. (Diffusion à Radio-Canada, en primeur sur ICI Tou.tv Extra, pendant la saison 2021-2022.)

Fabienne Larouche écrit aussi Terre de sang. Une série historique en développement depuis cinq ans. Cette saga se déroulera au milieu du XVIIe siècle à Montréal (Ville-Marie) et brosse le portrait d’une adolescente de 16 ans, fraîchement arrivée en Nouvelle-France.