L’animatrice Isabelle Racicot présente le documentaire Pour mes fils, mon silence est impossible, ce lundi 23 novembre, 21 h, à Radio-Canada. Dans la foulée du mouvement Black Lives Matter et de la mort de George Floyd, elle y aborde de manière personnelle les questions liées au racisme individuel et systémique.

Marc Cassivi (M. C.) : La prémisse du documentaire est le mouvement Black Lives Matter et la mort de George Floyd. Ce fut l’occasion d’une nouvelle prise de conscience pour toi ?

Isabelle Racicot (I. R.) : Je dirais que ça nous a forcés à avoir des discussions plus difficiles avec nos garçons. On a toujours parlé de racisme avec eux, à différentes périodes de leurs vies. Mon plus vieux va bientôt pouvoir conduire seul. Un soir qu’il posait des questions à son père sur comment il avait vécu le racisme, on lui a dit : « Si tu te fais arrêter par la police, tu poses tes deux mains sur le volant. » Évidemment, t’es obligé d’avoir cette discussion-là avec eux…

M. C. : LA conversation…

I. R. : En me couchant, je me suis dit qu’on avait essayé de rendre ça le plus normal possible, sauf que ce n’est pas normal ! Autant avec mes amis noirs qu’avec mes amis blancs, j’ai senti cet été, avec toutes les manifestations, qu’il y avait une grande ouverture à la discussion. Je pense que je n’avais pas compris l’ampleur de la situation et ce que moi, je pouvais faire. Je suis animatrice de télé dans la vie. Peut-être que je peux utiliser ce média-là pour répondre aux questionnements de mes garçons et à mes propres questionnements, pour aller vers des pistes de solution.

M. C. : Il y a beaucoup de gens qui, dans les derniers mois, ont appris que c’était presque banal pour les parents noirs d’avoir cette discussion avec leurs enfants, alors que ce n’est pas banal du tout ! Le titre du documentaire, Pour mes fils, mon silence est impossible, c’est une façon de leur dire que tu ne restes pas passive ?

I. R. : Absolument. Je ne suis pas quelqu’un qui aime la confrontation, même à la maison. Il fallait que ce soit plus fort que moi pour que je me mette dans cette situation-là, alors que je sais que mon point de vue est polarisant et que je sais ce qui m’attend. J’ai deux ados noirs, qui vont devenir des hommes. Si je n’avais rien dit, je l’aurais regretté.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Isabelle Racicot sort un documentaire sur le racisme.

M. C. : J’ai beaucoup apprécié ton approche grand public, d’éducation populaire, qui n’est pas du tout hermétique. Ça fait œuvre utile. Tu as décidé de passer par ta famille, tes enfants, ton mari, pour que les spectateurs puissent mieux s’identifier à ce que vous vivez ?

I. R. : On voit la vie à travers les lunettes de nos expériences. Et nos expériences sont diverses. Mon mari n’a pas les mêmes expériences que moi. C’était important pour moi de le mettre à l’écran. On n’est pas un groupe monolithique. J’ai voulu être la plus transparente possible à travers ce documentaire. J’ai de la difficulté à appeler ça un documentaire, tellement on l’a fait rapidement ! C’est une émission spéciale qui est un grain de sable sur une plage qui compte tellement d’autres éléments. Le sujet est extrêmement large. Ç’aurait pu aller dans toutes sortes de directions. C’est une démarche sincère. Ce sont vraiment les discussions avec mes fils qui m’ont donné cette impulsion. Ils m’ont forcée à me questionner. Si je veux apporter des réponses à leurs questions, il faut que je les connaisse !

M. C. : Ton documentaire sera diffusé alors qu’on assiste à un ressac autour de la question du racisme systémique. Le chef de la police de Longueuil, Fady Dagher, te dit que nier le racisme systémique, c’est se mettre la tête dans le sable. Or, chaque fois qu’on en parle, quantité de nationalistes blancs refusent de reconnaître son existence au Québec, à commencer par le premier ministre Legault, qui prétend que c’est un problème américain. Tu sais que tu vas faire réagir…

I. R. : Une des raisons pour lesquelles j’ai insisté pour qu’il y ait une partie historique au documentaire, c’est justement pour rétablir certains faits. Ce sont des choses qui se sont passées et qui se passent au Québec et au Canada, pas seulement aux États-Unis. Tous ces gens qui nient le racisme systémique, je serais vraiment intéressée de comprendre quel est leur vécu. Qu’est-ce qui fait en sorte que, dans leurs histoires personnelles de vie, ils sont convaincus que ça n’existe pas ? Sur quoi se basent-ils pour dire ça ? Pourquoi ils s’entêtent à le nier ? J’ai de la misère à comprendre quelle est la pensée derrière ça. Quand j’entends des personnes qui ne sont pas racisées me dire que le racisme systémique n’existe pas, c’est l’équivalent pour moi d’un homme qui me dirait que ça ne fait pas si mal que ça accoucher…

M. C. : C’est un peu comme nier que le réchauffement climatique touche le Québec parce que les usines sont plus polluantes aux États-Unis. Comme si les données sur le profilage racial ou sur le taux de chômage chez les personnes racisées au Québec n’existaient pas.

I. R. : Ce que j’espère qu’on va retenir, c’est qu’il y a beaucoup de pistes de solution possibles, que ce soit comme parent, comme citoyen, comme employeur ou comme dirigeant. Il y a des gouvernements qui doivent bouger, mais on peut tous faire quelque chose et on peut le faire déjà. Il faut commencer par se questionner et reconnaître ses privilèges. Je suis très consciente que j’en ai. Je voulais le camper très rapidement dans le documentaire, parce que je ne voulais pas m’approprier quelque chose qui ne m’appartient pas. Il y a énormément de gens qui ont vécu le racisme de manière beaucoup plus intense que moi.

M. C. : Tu vas à Montréal-Nord, rendre compte des initiatives de Will Prosper et des gens de Hoodstock. C’est un Montréal qu’on ne voit presque jamais dans les médias. Je vais souvent au mont Royal et les familles que je croise en haut de la montagne ne sont pratiquement pas représentées à la télé. Les gens qui façonnent le Québec, qui font partie de cette société, sont beaucoup plus nombreux que ce que nous renvoient les médias de façon générale. C’est comme si ces gens, qui comptent pour le quart de la population, n’existaient pas.

I. R. : Il y a cinq ans, j’ai fait une sortie pour regretter le manque de diversité dans les médias et ça m’a valu une réaction assez violente. Il faut donner des voix aux personnes racisées, leur donner l’occasion de raconter leurs propres histoires. Il manque de producteurs et d’auteurs qui sont issus de la diversité. Le problème est plus large, mais quand tu ne te vois pas à l’écran, tu n’as pas l’impression qu’il y a une place pour toi dans les médias. C’est un cercle vicieux. Il faut faire une place à ces voix-là.