Les participants de la téléréalité Occupation double boivent des bulles, engagent des rapprochements dans le spa, argumentent dans un français parfois approximatif. Parce qu'ils ont joué le jeu devant des millions de téléspectateurs, ils deviennent des influenceurs convoités. Productions J l'a bien compris.

Gagnante de la dernière saison d'Occupation double en Grèce, Catherine Paquin est sur un nuage. «C'est encore frais, j'essaie d'en profiter, confie la blonde infirmière. À ma sortie, j'ai trouvé ça intense. Les gens me reconnaissent dans la rue, le nombre de mes followers a explosé.» Elle compte maintenant 237 000 abonnés sur Instagram. «Qu'on le veuille ou non, on devient des influenceurs.»

À peine Catherine et ses compagnons de voyage avaient-ils posé le gros orteil sur le sol québécois - et repris possession de leur téléphone! - qu'on les bombardait d'offres en tout genre : site de rencontres, blanchiment de dents, rehaussement des cils, étui de téléphone, suppléments pour sportifs, Botox. «Avant de partir en Grèce, j'avais exactement 1084 abonnés. J'en ai plus de 137 000. Ça n'arrête pas de monter», se réjouit Renaud Blanchet, qui rêvait de cette visibilité.

«Les candidats sortent d'OD avec une bombe entre les mains. L'an dernier, on s'est rendu compte que des communautés se bâtissaient autour d'eux en claquant des doigts. On n'avait pas prévu un tel impact sur les réseaux sociaux. C'était du jamais vu», dit Charles Lemay, attaché de presse chez Productions J, qui produit l'émission diffusée sur V Télé.

À leur retour de Bali en 2017, les candidats ont donc dû défricher le terrain. Seuls. « Ils n'étaient plus sous contrat avec nous. Certains ont fait des choses incroyables. D'autres n'ont pas su quoi faire, ils auraient aimé être accompagnés. Accepter des repas gratuits, ça ne paie pas un loyer », dit Charles Lemay.

Une stratégie bien huilée

Saisissant le potentiel marchand de ses protégés, Productions J a mis sur pied son agence de marketing d'influence. J'Influence représente les nouveaux candidats issus d'Occupation double pendant deux ans. «On les guide dans la création de contenu, dans l'obtention et la gestion de contrats», indique M. Lemay, qui agit à titre d'agent. En échange, J'Influence empoche 30 % des revenus de ses protégés, a révélé jeudi Renaud Blanchet, de passage à l'émission Dans les médias à Télé-Québec.

Rien n'a été laissé au hasard pour bâtir la notoriété virtuelle des candidats. «Pendant la saison, j'étais à destination. C'est moi qui gérais les comptes Instagram (.odgrece) des 26 candidats. Je faisais du contenu pour eux sur place, j'organisais des shootings photo, je faisais des stories.» Deux employés à temps plein alimentaient le fil Facebook.

«Lors du lancement, les candidats ont tous gagné entre 5000 et 10 000 abonnés.» Certains épisodes, comme celui où l'on a vu Maude en pleurs devant Renaud, ont créé des buzz. «Maude a gagné 25 000 abonnés d'un coup. Les gens s'identifiaient à sa peine», dit M. Lemay.

À leur retour à Montréal, les candidats ont suivi une formation de trois heures sur les réseaux sociaux. Ils ont eu droit à une séance photo professionnelle. Productions J a gardé un accès à la messagerie Instagram de chacun pour gérer les offres entrantes. «Je suis dépassé. Avant OD, j'avais 250 abonnés, je ne savais même pas comment faire une story. Qu'est-ce que je peux attendre de tout ça? Je ne sais pas», confie Jonathan Fortin, le menuisier-charpentier de Saint-Prime.

«Plusieurs candidats s'inscrivent à OD pour aller chercher cette visibilité. Certains souhaitent s'investir à fond dans le marketing d'influence, d'autres, moins. Il n'y a aucune obligation, précise Charles Lemay. De notre côté, on ne peut rien leur promettre, ça fait deux mois qu'ils sont sortis. Plusieurs cherchent encore à se définir, à trouver leur niche. Les clients veulent s'associer à quelqu'un qui a des choses à dire. C'est la clé pour durer.»

Le succès d'Alanis

Quelques jours après avoir foulé le tapis rouge d'Occupation double à Bali, Alanis Désilets a été la première fille éliminée de l'aventure. Son passage éclair dans la maison des filles, en 2017, a néanmoins suffi à la propulser au rang de star québécoise d'Instagram.

«Au début, je tripais parce qu'on m'offrait du thé gratuit. Je ne comprenais pas pourquoi on s'intéressait à moi, confie-t-elle. Quand j'ai eu un agent, j'ai réalisé à quel point ce que j'avais entre les mains était gros. Un an plus tard, je n'en reviens toujours pas de l'amour que je reçois chaque jour.»

Cet amour est payant. La jeune femme de Mirabel, qui travaillait dans un dépanneur, compte 249 000 abonnés sur Instagram et 58 000 sur YouTube. Elle a décidé d'en faire son gagne-pain, d'être une influenceuse à temps plein. «C'est un changement de vie drastique, mais ça s'est fait naturellement. J'aime le monde, j'aime partager ma vie.»

Le succès de la brunette s'explique par sa bouille sympathique, son authenticité et ses messages qui prônent la diversité corporelle. Tout ça, bien orchestré par son agent Louis-Philippe Fournier, président de Koval Marketing d'influence. Il est titulaire d'une maîtrise en marketing numérique de HEC Montréal.

Contrairement aux apparences, le contenu des publications est rarement improvisé. «Ensemble, on planifie ses posts et ses vidéos pour le mois à venir, les marques qu'on souhaite approcher, explique-t-il. Le contenu doit être spontané, mais réfléchi. On publie dans les moments opportuns avec les bons hashtags (#). Il y a une manière d'écrire, de présenter les photos. Il y a une stratégie cachée qui donne de la valeur au contenu.»

Louis-Philippe Fournier a pris sous son aile cinq candidats d'OD Bali. «Ils ont entre 20 et 25 ans et deviennent des entrepreneurs du jour au lendemain. C'est beaucoup de coaching. Ils ont à négocier des cachets, faire de la promotion, développer des stratégies marketing, corriger les fautes dans les posts, payer des taxes, faire des factures.»

Au Québec, un post d'un influenceur suivi par 100 000 abonnés peut valoir au bas mot 500 $, parfois beaucoup plus. « Des gens croient à tort qu'on va faire un post contre un t-shirt. Trois offres sur quatre ne mènent à rien. On vise les clients d'envergure, les partenariats à long terme », dit l'agent, qui conseille aussi (en toute discrétion) des personnalités publiques.

De nouveaux méga-influenceurs

En 2018, le marketing d'influence a connu un essor sans précédent au Québec. «Les marques ont vraiment pris conscience du pouvoir de la visibilité des influenceurs. Le milieu s'est professionnalisé, les influenceurs mettent davantage d'efforts dans leur ligne éditoriale», indique Nicolas Bon, fondateur de l'agence Clark Influence, spécialisée en marketing d'influence. 

«Au Québec, la majorité des agences proposent maintenant le recours à des influenceurs. Le bon arrimage entre un produit et un influenceur est complexe, mais ça fonctionne», remarque Jean Roy, directeur du département de marketing de l'Université de Sherbrooke.

Pourquoi choisir des influenceurs d'OD? D'abord parce que l'émission atteint un très large public. «Ils sont des personnalités publiques. Il ont une base de fans», dit Andréa Viens, stratège en médias sociaux chez Havas Montréal. 

«Le marketing d'influence marche quand le consommateur a l'impression que l'influenceur pourrait être son voisin ou sa soeur, explique Nicolas Bon. Les candidats d'OD sont proches de leurs auditeurs. Parce qu'on les a suivis, on a l'impression de les connaître.»

OD atteint une popularité sans égale dans les régions. « Plusieurs marques présentes en région arrivent difficilement à atteindre les consommateurs éloignés des centres urbains. Collaborer avec les gens d'OD peut devenir intéressant », souligne M. Bon.

«Les candidats d'OD sont d'abord associés au nightlife, à la mode, aux loisirs. On les invite à des événements, dans des bars, pour que le public puisse les voir en vrai. La clientèle visée correspond à celle qui regardait l'émission», dit Jean Roy. 

Dans la capsule web «Après OD: la célébrité», diffusée sur Noovo, Sansdrick Lavoie et Adamo Marinacci, d'OD Bali, disaient avoir été payés 5000 $ chacun pour leur présence au bar Jack Saloon, à Québec. «On nous paie en plus un souper, une chambre d'hôtel et un agent de sécurité!», s'exclamait Sansdrick.

«Parmi les candidats des téléréalités, plusieurs auront une célébrité de très courte durée, mais quelques-uns arriveront à durer», note Jean Roy. Kim Rusk, Mathieu Baron et Maripier Morin en sont. «Elle connaît une belle carrière, a tourné pour Denys Arcand. Elle a su monnayer son influence de diverses façons.»

Être sans tache

Des clients refusent néanmoins de collaborer avec ce type d'influenceur. «Si on vise une clientèle haut de gamme, on ne va pas s'associer à OD. Ça ne fait pas sérieux, pas crédible», nous ont dit des personnes du milieu.

Sur Instagram, on les voit jouer les mannequins, exhiber leur corps souvent peu vêtu. «Qu'on le veuille ou non, ça pogne. Mais si tu ne fais que ça, ça ne marchera pas. C'est une question de dosage. Tu vas être populaire, mais sans profondeur. Ça se reflétera dans les offres que tu auras», soutient Louis-Philippe Fournier, de Koval Marketing d'influence.

«Si une personne aime se montrer en maillot, c'est son choix », dit Charles Lemay. Il y a néanmoins des règles à suivre: pas de débordements dans les bars, pas de nudité. Michael, candidat à OD Grèce, a d'ailleurs retiré un post érotique qui a choqué. «On ne censure pas, on conseille. Un commanditaire va-t-il vouloir s'associer à lui? Il a décidé de l'enlever de lui-même», insiste M. Lemay. 

En novembre, Alanis Désilets a été arrêtée pour conduite avec les facultés affaiblies. Transparente, elle l'a avoué à ses fans dans une story émotive. Elle refuse maintenant d'aborder le sujet. 

La célébrité a ses contrecoups qu'elle apprend à encaisser. «Mon agent m'impose des règles sur ce que je peux ou ne peux pas poster. J'essaie de rester authentique dans les limites qu'il m'impose. Toutes les fois où je ne l'ai pas écouté, je l'ai regretté.»

Sur sa chaîne YouTube, elle admet avoir vécu, l'automne dernier, les pires mois de toute sa vie «à cause de plein de petites situations ou de grosses situations». Elle a eu «un gros debuzz». «J'ai fait des collaborations avec plein de compagnies. [...] J'ai travaillé pour les autres, mais pas sur ce que je voulais faire dans 20 ans. J'étais pu motivée à rien, j'étais vraiment down.»

«Je me sens parfois comme un imposteur. Je n'ai pas de talent, je ne chante pas, je ne danse pas, nous dit-elle. Les gens m'aiment pour ma personnalité, c'est difficile à assumer. Mais c'est une nouvelle ère, et je veux continuer longtemps. Je ne me vois pas faire autre chose.»

Occupation double en 2018, c'est en trois mois 

- L'émission numéro 1 chez les 18-34 ans

- 2,5 millions de téléspectateurs atteints

- 43,4 millions de vidéos (Facebook) 

- 74 millions d'impressions (Instagram) 

Source: Noovo.ca

Marché des influenceurs sur Instagram

- 1,6 milliard en 2018

- 2,38 milliards: prédictions 2019 

Source: Statista.com

Au Québec 

Micro-influenceur: de 7000 à 15 000 abonnés

Macro-influenceur: plus de 30 000 abonnés à 50 000 abonnés

Méga-influenceur: plus de 100 000 abonnées

Source: Échelle de Clark Influence

Photo Olivier Jean, La Presse

Alanis Désilets, influenceuse et ancienne candidate d'Occupation Double Bali. Elle gagne sa vie comme influenceuse. Elle s'est notamment associée au Beach Club, à TRESemmé, à Ardène et à des causes, comme la Fondation Rêves d'enfant.