(LONDRES ) Sonnez les trompettes et préparez les bijoux : la troisième saison de la très royale série The Crown sera accessible sur Netflix à partir de dimanche, avec une distribution entièrement renouvelée.

Des millions de téléspectateurs de partout sur la planète prêtent allégeance ces dernières années à l’émission et au reste de la telly britannique, plus populaire que jamais à l’extérieur du Royaume-Uni.

L’an dernier, l’industrie britannique du petit écran a dépassé les 2 milliards en exportations, un sommet jamais vu et seulement concurrencé par les États-Unis. Des concepts de téléréalité aux grandes fresques historiques en passant par les séries policières complexes, la télé britannique semble avoir trouvé la recette du succès international. Les télévisions d’Allemagne ou de France, pays pourtant plus populeux, ne lui arrivent pas à la cheville.

Les Chinois ont adoré Downton Abbey, les Russes craquent pour Sherlock et toute l’Europe est rivée aux documentaires animaliers de la BBC. Les Canadiens n’échappent pas à la tendance. Le marché d’ici est le quatrième acheteur de télé britannique.

La meilleure ambassadrice de l’industrie en ce moment ? L’actrice Olivia Colman, gagnante de l’Oscar de la meilleure actrice en février dernier, et nouvelle reine de The Crown

PHOTO FOURNIE PAR BBC ONE

Une scène de la série Sherlock

La recette du succès

Cette série est produite par Left Bank Pictures, une entreprise londonienne qui fait partie de l’Alliance des producteurs de cinéma et de télévision (PACT), l’association des producteurs indépendants du Royaume-Uni.

« Le Royaume-Uni est un assez petit marché, il n’y a pas beaucoup d’acheteurs différents sur le plan intérieur ici », a expliqué Dawn McCarthy-Simpson, une porte-parole de PACT, à La Presse. L’exportation est donc une voie de croissance naturelle pour les entreprises du secteur.

Nous avons bâti une industrie internationale dans les 13 ou 14 dernières années. Nous avons révolutionné notre secteur de la production télévisuelle.

Dawn McCarthy-Simpson, porte-parole de PACT

La recette précise pour fabriquer un succès d’exportation demeure mystérieuse, mais Mme McCarthy-Simpson remarque que beaucoup des succès britanniques misent justement sur des icônes britanniques : la famille royale, Sherlock Holmes, la Metropolitan Police ou la bucolique campagne anglaise.

« Je parlais à une conférence encore hier et nous disions que le monde aimait entendre parler de l’Angleterre et du mode de vie anglais », a-t-elle dit, se réjouissant du fait que l’histoire du pays recelait encore une foule de sujets à explorer au petit écran.

Matt Forde est directeur des productions internationales chez BBC Studios, la filiale de la société publique chargée de vendre ses émissions à l’étranger. C’est cette organisation qui vend les documentaires animaliers narrés par David Attenborough, la saga historique War and Peace ou le thriller policier Luther partout sur la planète.

Il refuse de s’avancer sur une recette exacte du succès, mais remarque que les tendances des dernières années s’alignaient bien avec les productions britanniques : « des détectives, des séries sombres, des séries où une femme joue le rôle principal ».

PHOTO RICHARD SHOTWELL, ASSOCIATED PRESS

Jodie Comer, Sandra Oh et Fiona Shaw, les trois têtes d’affiche de la série primée Killing Eve, présentée sur BBC America

« Nous osons »

Si les ingrédients à mettre dans la potion demeurent inconnus, M. Forde et Mme McCarthy-Simpson pointent tous les deux des facteurs financiers pour expliquer le succès de leur industrie.

La BBC est toujours exempte de publicité, ce qui lui laisse une marge de manœuvre pour garder à l’antenne des émissions qui n’attirent pas immédiatement leur public, explique Matt Forde.

La BBC a toujours donné beaucoup de liberté à ses créateurs. Nous acceptons de prendre des risques avec des idées audacieuses : nous osons. Ça a notamment à voir avec le fait que nous n’avons pas à nous soucier de l’opinion de publicitaires, mais ça fait aussi simplement partie de notre ADN. Ici, il n’y a rien d’impossible.

Matt Forde, directeur des productions internationales chez BBC Studios

Les concepteurs d’émission font « le meilleur produit possible pour une audience britannique » et BBC Studios croise les doigts pour que le résultat soit exportable. L’année dernière, les ventes à l’international ont rapporté plus de 400 millions à la télévision publique.

Dawn McCarthy-Simpson souligne pour sa part qu’au Royaume-Uni, les maisons de production continuent à avoir un rôle à jouer même après la diffusion.

« C’est le secret de notre succès, explique-t-elle : les maisons de production gardent la propriété intellectuelle sur leurs émissions. »

Avant 2006, les diffuseurs étaient propriétaires de la propriété intellectuelle des émissions qu’ils achetaient. « C’est ce qui fait qu’en 10 ans, nous avons doublé nos revenus d’exportation. Les producteurs sont attachés à leurs projets, c’est bien différent d’un gros diffuseur qui a une quantité énorme de produits à vendre et qui ne va se concentrer que sur les grosses productions. »

PHOTO TIRÉE D’IMDB

Richard Madden et Keeley Hawes dans la série politique et d’action Bodyguard, présentée sur la chaîne BBC One

« La qualité fait la différence »

Si les séries dramatiques finies (diffusées telles quelles ou simplement doublées) demeurent le meilleur produit d’exportation de la télévision britannique, le Royaume-Uni exporte aussi de plus en plus de concepts à adapter (les « formats »).

« Nous avons fait 57 versions de Dancing with the Stars et plus de 30 versions de Great British Bake Off, explique Matt Forde, de BBC Studios. Qui aurait pu prédire qu’une émission de danse allait être vendue à des dizaines de pays, tout comme une émission de cuisine ? La vraie raison, c’est la qualité du programme qui fait la différence. Mais ce n’est pas une science exacte. »

Autre tendance en croissance : les fictions adaptées, avec distributions et références locales. « La version française de la série Doctor Foster, baptisée Infidèle et diffusée sur TF1, est plus populaire que la version originale, a dit M. Forde. C’est un nouveau marché et un marché en expansion. »

« Le format de The X Factor [un concours de chant] a été vendu dans plus de 45 endroits, mais le programme lui-même est diffusé dans plus de 150 marchés, ce qui veut dire qu’en tout, à peu près un demi-milliard de personnes regardent une version de cette émission », a ajouté Dawn McCarthy-Simpson, de PACT.